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Alger-Paris : du pouvoir de l'ombre à l'ombre du pouvoir !

par A. Boumezrag

«L'ombre va là où veut le soleil»

Dans les bouleversements qu'a connus la société algérienne colonisée puis décolonisée, on insiste toujours sur les conséquences de la colonisation rarement sur la phase de décolonisation. L'Algérie et la France vivent le passé au présent, elles en sont malades, d'une maladie qui semble incurable. Ni l'Algérie ni la France ne veulent regarder ce passé ensemble. Il s'agit de sortir de la prison du passé et d'engager les relations sur la route de l'avenir. Un avenir hors de tous réseaux occultes dont les jeunes font les frais. Les Algériens au milieu de la Méditerranée, les Français dans les rangs du terrorisme international, produit des oligarchies financières qui avancent masquées dans un monde sans état d'âme où l'argent sale coule à flots.

Il s'agissait pour la France d'imposer à l'Algérie indépendante un ordre politique et juridique qui garantisse la prééminence de ses intérêts stratégiques. C'est pourquoi, le rapport entre contestation et répression, domination et émancipation est récurrent en Algérie. Dans la tourmente qui enfante de nouvelles sociétés ou qui les étouffe dans l'œuf, les situations semblables créent des jugements semblables. L'obstination de la France coloniale a produit le FLN, l'intransigeance du FLN au pouvoir a donné naissance au FIS. L'islam est un refuge pour les déshérités, un instrument de mobilisation des masses pour les révolutionnaires et une menace permanente pour l'hégémonie occidentale. Pour les dirigeants nationalistes algériens, une fois l'indépendance acquise, l'islam devait céder la place au socialisme «matérialiste» tout en décrétant l'islam religion de l'Etat et les frais de fonctionnement des mosquées prises en charge par l'Etat. Hier, le colonisateur proposait aux musulmans la citoyenneté française contre le renoncement à l'islam. Aujourd'hui, le pouvoir algérien suggère implicitement aux «islamistes» de participer au gouvernement contre une mise en sourdine de la «charia». Autrement dit, l'obéissance à l'Etat au lieu et place de la soumission à Dieu.

En traitant les «autochtones» de «bougnouls», des «moins que rien», (fainéants-nés, des voleurs-nés, des criminels-nés, des menteurs-nés), la France a fait de l'humiliation et de la soumission des techniques de maintien de l'ordre colonial. Le régime politique algérien n'a-t-il pas institué le mépris et l'arrogance comme mode de gouvernance ? Sur un autre plan, la disproportion des moyens de répression mobilisés ne vise-t-elle pas qu'à humilier et à soumettre une population de plus en plus rebelle à l'ordre établi ? L'histoire se répète, les mêmes causes produisant toujours les mêmes effets. «L'histoire est terrible avec les hommes et d'abord elle leur bande les yeux en leur faisant croire que le pire n'est pas pour eux». La colonisation française a débuté avec le pillage du Trésor d'Alger (la Régence), l'indépendance a commencé avec la disparition des fonds et des bijoux collectés au titre de la Caisse de solidarité nationale sous prétexte de renflouer le Trésor public pour finir par la dilapidation et le détournement de mille milliards de revenus pétroliers et gaziers par les gouvernants condamnant leur propre peuple à une pauvreté certaine. L'ordre colonial français fut une occupation du territoire par «l'épée et la charrue»; l'ordre étatique algérien serait une appropriation privative du sol et du sous-sol algériens par les «textes et le fusil». Si la violence exercée par la colonisation était légitimée par la mission «civilisatrice» de la France, la violence légale de l'Etat algérien s'effectue au nom du «développement». La révolution algérienne, qui a démarré avec la mort d'un instituteur français tué par le FLN dans les Aurès, s'est terminée avec l'assassinat d'un instituteur algérien par l'OAS en Kabylie. C'est là tout un symbole. Les régimes déclinants résistent à la critique verbale. «La force de l'histoire contre la force des armes». L'enjeu des pouvoirs colonial et postcolonial n'est en vérité que la soumission de l'homme à l'ordre établi, c'est-à-dire l'acceptation de son statut de sujet par le «bâton» (la répression) et/ou la «carotte» (la corruption). Les dirigeants, dans leurs délires, se déclarant être «l'incarnation du peuple», considèrent l'Algérie décolonisée comme un «butin de guerre» à se partager et la population comme un troupeau de moutons à qui on a confié la garde. Tantôt, le berger les amène à l'abattoir, tantôt aux pâturages selon les circonstances du moment et les vœux du propriétaire. Ils gèrent les ressources du pays comme conquérants alors qu'ils se proclament ses libérateurs.

La France est partie mais ses intérêts sont       préservés. L'élite dirigeante va reproduire les méthodes du colonisateur et parachever sa politique économique et sociale. Cette gestion autocratique, anarchique et irresponsable de la société et des ressources du pays n'est, nous semble-t-il, pas étrangère à l'influence et l'attraction de la France sur/par les «élites cooptées» du pays, aujourd'hui vieillissantes pour la plupart, maintenues en activité malgré leur âge avancé et pour la plupart finissent presque toutes dans un lit d'hôpital parisien entre les bras de «notre mère patrie la France». Elle s'insère parfaitement dans la stratégie de décolonisation du général de Gaulle, engagée dès 1958 à son retour au pouvoir et parachevée en 1962 par la signature des accords d'Evian dont la partie la plus secrète a été, semble-t-il, largement exécutée. Elle a permis à la France d'accéder à la pleine reconnaissance internationale en tant que grande nation (indépendance énergétique), à l'unité nationale retrouvée (menace de guerre civile évitée) et au rang de puissance nucléaire (premiers essais concluants au Sahara) et a miné l'Algérie postcoloniale par la dépendance économique (viticulture, hydrocarbures, importations), par la division culturelle (langue, religion, ethnie) et par l'émergence d'un régime militaire autoritaire peu soucieux des intérêts de la majorité de la population. En imposant un schéma institutionnel dont la logique de fonctionnement était radicalement opposée à celle de la société indigène, et un modèle économique étranger aux réalités locales des populations, le colonisateur préparait en fait la société postcoloniale à l'échec de la modernisation politique et au développement économique. Les services secrets français ont joué un rôle important. Ce n'est pas un pur hasard que la plupart des ambassadeurs qui sont passés par Alger se retrouvent le plus souvent à la tête de ces services.

Aujourd'hui, la France a-t-elle perdu pied        en Algérie pour que son ambassadeur déclare avoir été surpris par le peuple algérien ? Depuis quand le peuple algérien fait partie de l'équation politique de la France ? «En politique, trahison, lâcheté, et hypocrisie sont des religions, c'est pour cela que nous avons de mauvais gouvernants », nous apprend Laurent Denancy. Déçu par tant de forfaitures et de trahisons, le peuple a tourné le dos aux élites et a décidé de prendre en charge lui-même son destin en mains. Il se méfie de tout, de tous. Il a placé sa confiance en Allah sans passer par des intermédiaires, Allah suffit comme protecteur. Hier, «un seul héros le peuple», aujourd'hui, «un seul sauveur le peuple». N'en déplaise à certains nostalgiques d'un passé révolu immédiat et lointain.