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La règle 51/49 : une grande énigme

par Farouk Nemouchi*

  La Loi de finances complémentaire de 2009 a instauré une règle qui fixe la part de participation d'un investisseur étranger dans une société de droit algérien à 49% : c'est la fameuse règle dite des 51/49. En dépit des nombreux appels émanant des milieux économiques internationaux pour son assouplissement, les gouvernements qui se sont succédé n'ont pas daigné rouvrir le débat sur cette question. Il faut mentionner que cette loi, à grande portée stratégique sur le plan économique, a été adoptée en catimini à la faveur d'une Loi de finances complémentaire et promulguée sous forme d'ordonnance. Le motif avancé pour justifier son adoption est la garantie de la souveraineté économique du pays. Qu'en est-il au juste ?

Si par le passé, pour des raisons géopolitiques et des considérations idéologiques, le capital étranger était perçu comme le fer de lance de l'impérialisme, de nos jours sous l'impulsion de la mondialisation économique et la globalisation financière, la plupart des pays font preuve de pragmatisme économique, en multipliant les efforts pour attirer les investisseurs étrangers.

Le meilleur exemple est donné par la Chine qui, malgré son attachement constant à l'idéologie communiste est devenue la deuxième destination des investissements directs étrangers (IDE) dans le monde après les USA avec 136.320 millions de dollars en 2017. Quels sont les facteurs qui expliquent l'intérêt manifesté pour les IDE ? La réponse à cette question se limite à étudier l'impact de ces flux financiers sur les réserves de change puisque cette problématique est au cœur du débat économique en Algérie.

Les flux financiers sous forme d'investissements directs étrangers (IDE) ont une influence indirecte sur les réserves de change grâce à un processus qui crée un cercle vertueux. La création ou la reprise d'entreprises par des investisseurs étrangers augmente la production de biens et services et cela a pour effet de réduire les importations et diversifier les exportations. L'économie nationale en tire un bénéfice qui se traduit par la croissance du PIB, la résorption du chômage, la baisse des importations, la hausse des exportations et des réserves de change.

Les ressources financières générées par l'apport de capitaux extérieurs produisent un impact direct sur les avoirs en devises du pays. Les échanges entre un pays et l'extérieur porte sur les exportations et les importations de biens et services et sur les flux financiers.

Dans le cas des transactions commerciales, la différence entre les biens et services importés et exportés, constitue le solde de la balance des transactions courantes. Si ce solde est positif, cela veut dire que l'Algérie dégage un excédent ou capacité de financement qui peut avoir deux destinations : alimentation des réserves de change et investissements et placements à l'étranger. Si le solde est négatif, il y a un déficit ou besoin de financement qui peut être couvert par le recours à trois moyens : l'utilisation des réserves de change, l'endettement extérieur et l'entrée de capitaux sous forme d'investissements étrangers. Lorsqu'une firme étrangère investit dans notre pays, elle apporte des ressources financières en devises qui impactent directement et positivement les réserves de change.

Ces observations révèlent les multiples avantages que procurent les IDE et justifient l'intérêt qu'il leur est porté.

Le pouvoir en Algérie semble avoir une autre opinion sur la question et il serait intéressant de savoir si celle-ci est fondée objectivement.

Les partisans de la règle 51/49 doivent faire la démonstration de son efficacité économique à travers une évaluation basée sur des critères quantifiables. S'il s'avère que cette mesure a entraîné une augmentation de la valeur ajoutée des entreprises et donc celle du PIB, le niveau de l'emploi, diversifié la production et consolidé la solvabilité externe du pays, les citoyens ne peuvent que souscrire à une démarche inspirée réellement par un élan de patriotisme économique. Si en revanche, elle a porté préjudice à l'économie du pays, alors la règle 51/49 est une démarche énigmatique qui soulève des interrogations sur ses objectifs réels. Depuis son entrée en application en 2009, les IDE connaissent une tendance baissière qui n'est pas compensée par une croissance de l'investissement des entreprises nationales. En 2017 ils atteignent 1.203 millions de dollars soit 113 fois moins qu'en Chine. Si l'on excepte le secteur des hydrocarbures, la politique d'attractivité des investissements directs étrangers n'a jamais été un objectif de stratégie économique nationale. La règle 51/49 se justifie si l'objectif recherché est la protection des richesses non reproductibles comme le pétrole et le gaz car elles sont la propriété des générations présentes et futures. Elle est également admise si la puissance publique veut s'assurer le contrôle des grands secteurs stratégiques. Elle peut être pertinente si elle s'applique aux investissements de portefeuille car lorsque ces derniers deviennent volatils en cas de crise financière, ils portent préjudice à l'économie nationale.

En revanche l'élargissement de la règle 51/49 aux firmes étrangères qui sont disposées à investir dans les activités de production de biens et services n'est pas soutenable sur le plan économique. Les capitaux étrangers sont les bienvenus lorsqu'ils stimulent la croissance économique, développent le potentiel technologique et compensent, même partiellement, le déficit de la balance des transactions courantes pour maintenir les réserves de change à un niveau supportable.

Un autre avantage et pas des moindres est que lorsque les firmes étrangères investissent en Algérie, elles prennent la responsabilité d'assumer un risque qui les contraint à rechercher la réussite et à faire preuve d'efficacité.

Comment peut-on défendre la souveraineté économique nationale lorsque ceux qui étaient aux commandes du pays érigent des obstacles qui interdisent à l'Algérie de s'intégrer dans l'Economie mondiale par le développement des exportations et accordent toutes les facilités pour son insertion par les importations. Pourquoi freiner ceux qui sont disposés à prendre le risque, en utilisant leurs propres ressources, pour financer leur implantation en Algérie et imposer des partenariats qui font appel aux crédits en monnaie nationale et en devises du système bancaire algérien ?

L'adoption de la règle 51/49 suppose que les entreprises algériennes possèdent les atouts qui leur permettent de jouer les premiers rôles en tant qu'actionnaires majoritaires et possèdent les capacités financières, technologiques et managériales pour promouvoir leurs intérêts, dans un cadre mutuellement avantageux. Les détenteurs de 51% du capital doivent disposer d'une pratique industrielle et posséder les compétences nécessaires pour élaborer les orientations stratégiques de l'entreprise qui répondent aux attentes du partenaire étranger. Cela est-il possible lorsque la valeur ajoutée industrielle de nos entreprises publiques et privés dans le PIB n'excède pas les 5% et qu'elles n'ont aucune stratégie de positionnement sur le marché pour valoriser leur avantage compétitif ? Les firmes étrangères qui viennent avec des stratégies de conquêtes de marché visent la création de la valeur ajoutée avec le souci de satisfaire la demande locale et de se positionner à l'international.

Cependant lorsque ces firmes interviennent comme actionnaires minoritaires, elles expriment des ambitions plus mesurées et leur seule préoccupation est la perception de dividendes, sans perspective de croissance.

Les grandes entreprises nationales, principalement privées, sont dans une logique rentière qui découle d'une vision purement mercantiliste des affaires. Le taux de marge moyen (rapport entre l'excèdent d'exploitation et la valeur ajoutée) sur la période 2001-2015 atteint 75,32% et rend compte d'une forte capacité de financement qui n'est mise au service de l'activité de production. Il est, alors, légitime de poser la question suivante : où va cette richesse ?

L'éclatement de gros scandales liés à la corruption depuis quelque temps, apportent de façon éclatante, la confirmation que le monde des affaires, en Algérie, n'est pas à la hauteur des exigences imposées par la mondialisation économique.

Il découle de cette différence d'approche que le capital économique étranger est susceptible de provoquer un conflit d'intérêt qui peut s'avérer dangereux pour des patrons habitués à s'enrichir sans produire et la règle 51/49 est un artifice destiné à perpétuer un statu quo économique au profit de ceux qui en sont à l'origine. Elle a consacré la domination et la mainmise de groupes oligarchiques dans le processus de distribution et de partage des revenus du pétrole et du gaz.

La règle 51/49 est l'expression d'un patriotisme de façade qui n'a généré aucun bénéfice pour le pays, aggravé les déséquilibres de la balance de paiement et ouvert la voie au transfert illicite de capitaux, à la corruption généralisée et au blanchiment d'argent. En mettant des entraves à la diversification des sources de financement par l'encouragement des flux financiers entrants, les dirigeants en tracé la voie à l'instauration de la planche de billets et bientôt le recours à l'endettement extérieur.

Il est plus que nécessaire de réviser cette disposition juridique pour organiser les relations entre les entreprises nationales et les entités économiques étrangères, par une politique d'encadrement et de contrôle qui fait la distinction entre les investisseurs étrangers soucieux de développer leurs activités en enrichissant le pays et ceux qui profitent des failles d'un système conçu pour organiser le pillage de ses ressources avec la connivence des potentats locaux. Aucun pays au monde ne peut se passer des investissements directs étrangers.

*Universitaire