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Pouvoir gribouille se jette à l'eau, par crainte de «l'ondée vendredienne»

par Benabid Tahar*

Au crépuscule de son chaotique règne, le pouvoir despotique use de ses propres égarements. Il allie, maladroitement, la bonne parole, bonne selon sa conception bien entendu, l'obstruction des libertés citoyennes et la répression.

Il souffle le chaud et le froid. Il sort tantôt les griffes et se montre tantôt avenant, coopératif, élogieux à l'égard du peuple et témoigne de la mansuétude envers les manifestants. Fort embarrassé de faire valoir ses téméraires assertions, il jette l'opprobre sur les uns et les autres et l'anathème sur tout ce qui ne rentre pas dans son moule.

Et ne voilà-t-il pas qu'il finit par nous sortir la meilleure, la quintessence de l'irrationnel. Prosaïquement parlant, il nous dit : «c'est votre problème, je ne suis plus concerné, dialoguez entre vous, négociez, faites ce que vous voulez? mais faites le selon ma conception, dans le cadre de ma feuille de route.

Du reste, je suis toujours aux commandes, en attendant d'y voir plus ne t». En termes plus clairs, le pouvoir nous annonce « une démissionoptionnelle », tout en gardant les rênes. On ne peut plus ambigu. Fatalement, on ne sort d'une ambigüité qu'à son détriment (citation du Cardinal Retz). Néanmoins, au nom de l'Etat, on nous promet d'assurer les conditions d'organisation d'élections libres et transparentes. On y croirait volontiers, sauf que nous n'avons aucune garantie. Une promesse gratuite n'a jamais obligé le promettant. Par ailleurs, le système nous a habitués aux engagements non tenus, aux mensonges et à la tromperie, dont il a fait quasiment son dogme. Qu'en est-il alors de sa vision du règlement de la crise. Si le désengagement de l'Etat est un aveu de faiblesse, ou de déroute face au soulèvement citoyen, c'est dommageable pour le pouvoir, encore plus pour la nation. Est candidat à sa propre perte, qui détient des pouvoirs qu'il ne peut exercer.

Dès lors, son retrait de la gestion des affaires de l'Etat devient une nécessité impérieuse. La jouissance inconsidérée du pouvoir a, forcément, ses travers. En abuser réveille incontestablement des démons qui, à la longue, s'avèrent incontrôlables.

S'ensuit généralement la descente aux enfers. Ecoutons attentivement ce que nous dit à ce propos J.J. Rousseau : « Le plus fort, n'est jamais assez fort pour être toujours le maître, s'il ne transforme sa force en droit et l'obéissance en devoir ».    Si par malheur, comme ils nous ont habitués à le faire, les tenants du pouvoir usent encore de manœuvres dilatoires, visant le maintien du système ou son renouvellement, ils ne feront qu'exacerber la crise et se retrouveront d'avantage acculés, définitivement rejetés, par le peuple. Dans un cas comme dans l'autre, cette attitude s'apparente à de la fuite en avant, à la politique de l'autruche. Gribouille se jette à l'eau par crainte de la pluie, dirions-nous. Se complaisant dans le déni de réalité, refusant obstinément de se plier à la volonté populaire, l'invitant depuis des mois à adhérer à l'approche citoyenne, légitime et souveraine, le pouvoir s'impose, volontairement, un autodafé sociopolitique. Il préfère la gestion, au demeurant inappropriée pour ne pas dire biscornue, de la crise au lieu de faire l'effort de mettre en œuvre les mécanismes adéquats pour sa résolution, en harmonie avec les revendications des quarante millions d'Algériens, en effervescence, qu'ils soient dans la rue ou ailleurs, depuis presque cinq mois. Après multitude tentatives, usant de toutes sortes de manœuvres et autres subterfuges, rustiquement gauches, il se résigne à confesser publiquement son désarroi, à mettre de l'eau dans son vin et à lâcher prise, un tant soit peu, du moins en apparence. La politique est certes l'art de concilier les contradictions, mais elle ne saurait remédier aux errements. Une évidence qui semble échapper aux apôtres du système. Ces opportunistes, ambitieux sans talent, qui ont occupé, sans mérite, les premières loges des institutions de l'Etat pour en abuser à outrance, ont des structures réflexives fondamentalement imprimées par le système. Leur catéchisme ne s'accommode pas des vertus. Ils ne doivent leur ascension qu'a des concours de circonstances, à leur allégeance au pouvoir du moment, aux intrigues des cabinets noirs et autres chapelles du genre. A titre illustratif, je suis tenté d'emprunter à Albert Camus sa fameuse réplique, en réponse aux critiques de Jean-Paul Sartre et Francis Jeanson à l'endroit de son ouvrage, l'homme révolté, qui disait : « Ils n'ont jamais placé que leur fauteuil dans le sens de l'histoire ». Je ne voudrais, cependant, pas me rendre coupable d'irrévérence envers d'éminents intellectuels en citant leurs noms au voisinage de ceux de nos énergumènes, intellectuellement indigents et récurés de toute moralité.

Il me semble peu utile de s'attarder ici sur des faits passés, du reste connus de tous. Je voudrais juste rappeler que les partis dits de l'opposition, par calculs pour les uns, par naïveté politique pour d'autres, peu importe les raisons, ont été d'une grande utilité pour le système. Par leur participation aux élections, qu'ils savaient pourtant d'avance truquées, par leur présence dans les assemblées élues et aussi dans le gouvernement pour certains, ils ont rendu le meilleur service au régime en lui servant de façade démocratique. Fermons la parenthèse. En revanche, je ne saurais passer sous silence le rôle, les prises de position de ces partis et autres associations, dans le déroulement des évènements qui secouent le pays depuis bientôt cinq mois, en particulier, les derniers développements en rapport avec le récent discours du président de la République par intérim.

Premier impact du fameux discours, l'opposition s'est scindée en deux pôles distincts. D'aucuns, séduits à priori par les propositions du pouvoir, semblent adhérer à ses thèses, en raison, nous dit-on, de leur caractère prêchant l'apaisement à même d'assurer un heureux dénouement de la crise. A l'opposé, d'autres restent intransigeants et refusent tout compromis avec les résidus du règne de Bouteflika. Une telle polarisation est préjudiciable à notre belle révolution. Au lieu de se concerter en vue d'accompagner le «Hirak», d'être à ses côtés sur le terrain, les uns et les autres cherchent à persuader, sans convaincre, de la justesse de leur vision. Ils se livrent, parfois, à des pugilats politiques contreproductifs, souvent de basse voltige. Chaque partie organise ses réunions, son forum, sa conférence nationale, etc. L'engagement ne s'exprime pourtant pas uniquement à travers l'évènementiel. Les discours lénifiants sont incontestablement nécessaires, ils s'imposent dans les situations de crise. Encore faut-il qu'ils soient cohérents et, surtout, en phase avec les aspirations du peuple. Ne pas s'accorder avec le mouvement populaire, ne pas tenir compte de ses revendications fondamentales, qui sont le départ du système et la construction d'un Etat démocratique et de droit, passant par une période transitoire, relève du manque de réalisme, de maturité politique et de sagesse. Sans exagérer, je suis ahuri de constater que des partis politiques, déjà sans ancrage populaire, reproduisent les mêmes erreurs et ne mesurent pas les risques réels de leur disqualification politique, de leur rejet définitif par le peuple, de leur rangement dans le même registre que le pouvoir qu'ils sont censés combattre, en leur qualité d'opposants. On ne peut tout de même pas mettre une telle maladresse politique sur le compte de l'inexpérience ou de la méconnaissance de la vraie nature du système. Dire que celui-ci ne fonctionne que par les rapports de force et ne reconnaît aucune autre approche politique est un secret de polichinelle.

Aujourd'hui, qu'on le veuille ou pas, la force réside dans la mobilisation citoyenne. Se démarquer du «Hirak» est une erreur monumentale. Elle relève simplement de la puérilité politique, pour ne pas dire autre chose. Si mes propos sont ou semblent brutaux pour certains, ils n'en demeurent pas moins fraternels et respectueux, à l'égard de ceux qui portent l'Algérie dans leur cœur et qui se battent pour son développement et l'épanouissement de nos concitoyens. Revenons à la feuille de route que propose le pouvoir. Circonscrire la problématique de résorption de la crise à la seule élection présidentielle est trop simpliste, contreproductif. Le comble de l'incohérence, voire de l'incongruité, c'est de vouloir élire démocratiquement, sous l'œil vigilant des suzerains du moment, un président qui sera chargé d'une mission préalablement définie. En somme, un président aux pouvoirs exorbitants, conformément à la constitution actuelle, mais qui est sommé de suivre une feuille de route qu'on lui remet le jour de son institution, en guise de cadeau de bienvenue au palais présidentiel. C'est ce qu'on appelle bousculer violemment la raison, jusque dans sa version primaire. Si l'homme et assez fort et futé, il usera de ses pouvoirs pour imposer son hégémonie. Si ce n'est le retour à la case départ, le pire est à craindre. En revanche, et c'est à mon avis le scénario le plus probable, le nouveau président serait contraint de composer avec le pouvoir de l'ombre. Même s'il arrive, un tant soit peu, à s'imposer en tant que chef légitime, il lui sera difficile d'exercer pleinement ses attributions constitutionnelles. On ne s'affranchit pas aisément d'un système aussi pervers, profondément ancré dans les institutions, par le truchement d'une élection. C'est là un bref aperçu que la précipitation dans la pratique politique fait encourir à notre pays.

Comme je l'ai déjà affirmé dans mes précédents articles, aller aux présidentielles sans passer par une période transitoire, de durée suffisante pour réviser les lois et assainir les institutions, est une option porteuse de réels grands risques d'échec. Incommensurable sera alors notre déception.

Avant le mot de la fin, qu'il me soit permis de lancer un appel aux tenants du pouvoir. Restituez au peuple les clés de son destin. Les pistes que vous avez malencontreusement brouillées, sciemment ou par ignorance, ne l'empêcheront pas de trouver le bon chemin, d'arriver à bon port. Et s'il s'égare par moments, il demeurera au moins libre de chercher encore et encore la meilleure issue. Sans vous, sans vos campagnes de dévoiement, il finira, sans un iota de doute, par trouver la voie de son bonheur. N'en déplaise aux promoteurs de la pérennisation du système, l'histoire se chargera de tout ramener à la juste mesure et au bon sens. Elle ne manquera pas de donner raison à qui de droit et de juger chacun à hauteur de ses actes. Un éveil réflexif, un sursaut de conscience, sont de bon conseil. Est à plaindre qui n'y prête pas attention et crédit.

*Professeur, Ecole Nationale Supérieure de Technologie