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Le Système, dites-vous ?

par Chadouli Ahmed

Pensez-vous qu'en changeant le système, les choses iront mieux ? Un système ne change pas, tout prétendant au changement, désire, au fait, occuper une place dans le système. Un système se construit, c'est la synergie des idées et de la volonté politique du pays afin que se concrétise une entité capable de fédérer les aspirations du peuple.

Le mouvement populaire que connait l'Algérie ces derniers

temps est unique dans les annales des histoires sociales des peuples. Jamais, une telle contestation populaire ne s'est manifestée d'une façon spontanée regroupant toutes les couches sociales et exigeant une extirpation du système et un changement de fond en comble de la manière de diriger le pays. Il est difficile d'en déterminer l'origine, mais tout laisse à penser que c'est des spasmes d'une fièvre survenue subitement à la suite d'un état politique délétère, que les politiciens et les plus avertis n'attendaient pas. C'est un soulèvement purement populaire et n'a aucune coloration politique. Bien que cette dernière essaie de se donner un rôle.

Ces marches populaires ont réussi à ébranler tout le concept de l'Etat érigé depuis l'indépendance. Il s'ensuivit des démissions, des départs et des poursuites judiciaires. La joute se poursuit et l'ultime round se joue entre une légitimité populaire alimentée en sourdine par des opportunistes avec un esprit revanchard, et une légalité fragile qui essaie de se maintenir.

Un système nait avec l'Etat et se consolide par les liens entre ses institutions. A partir d'un noyau dur, il s'érige en clan. Plus ses liens sont étroits plus le système devient opaque. Les relations s'établissent par intérêt et tissent leur maillage. La survie du système se fait par concession et compromis avec un équilibre fragile maintenu par des intérêts, des allégeances et la servilité.  Son mode de vie, c'est la répartition des missions et l'inter-connexion des secteurs. La ressource humaine est choisie selon ses aptitudes d'exécution, de ses connivences, de ses accointances et de sa serviabilité. Le système pratique une OPA, dompte la justice en s'appuyant sur sa légitimité historique, et dirige tous les rouages de l'Etat, où, toute action envers le peuple est considérée comme une faveur. Le système se meut dans la complaisance avec une autorité abusive et déploie toute une stratégie pour se maintenir, allant de l'organisation d'une frange de la société qui chante ses louanges par une adoration, pour ne pas dire adulation de ses responsables, jusqu'à ses relais qui perpétuent ses desseins.

Ce système use et abuse des lois selon ses convenances avec une subtilité machiavélique. La dépravation, la cupidité, l'immoralité, les malversations et la concussion sont ses frasques. Ces systèmes font et défont, et se payent la vie du citoyen. Les frasques qui surgissent de temps à autres au niveau des entreprises, des associations, des fédérations, des universités, des corporations, etc., ne sont que les facettes des manigances du système. Il est difficile de donner une définition, mais c'est la résultante entre un club fermé, un lobby, une caste, un trust, une ligue, des compères, une famille maffieuse. Son âme c'est la rapine avec un esprit machiavélique et ses membres sont unis par l'intérêt et pour l'intérêt.

Comment peut-on vivre dans cette turpitude et nager dans les méandres de la déliquescence ? Ce milieu s'accapare l'âme de la nation, son esprit clanique lui confère une immunité et une impunité. Comment arrive-t-on à cette culture de l'immoralité, alors qu'on est les héritiers des valeurs de notre religion ? La nature humaine tombe facilement dans ses défauts et épouse la perfidie.

Il faut le dire, si ce système se gave, c'est dû à l'impuissance du pouvoir, la complaisance de la politique, la bénédiction de la justice, l'inexistence de l'intelligentsia et la passivité de la société civile.

Un système peut-il changer ?

Un système n'a pas une coloration politique mais des concepts de gestion de la nation et des méthodologies appropriées.  Les exemples suivants nous donnent quelques indications quant au devenir du système. Au jour d'aujourd'hui, l'Irak et la Libye se débattent dans des problèmes.  Malgré son assise populaire, leur système, nait dans la douleur, a été ébranlé et disloqué et se trouve dans état létal par la mise à mort du symbole du système et la dissolution de tous les organes de l'Etat. Le pays nage dans la confusion et le peuple subit toutes les affres et vit dans l'incertitude. Le système n'arrive pas à se reconstituer, ni à réunir les conditions pour s'initier. En Tunisie et en Egypte, le système, durement secoué, perdure. Son leader bien qu'écarté, il est préservé, et son symbole fidèlement remplacé. Ce système peut se régénérer dans la mesure où il bénéficie de soutien et d'assurance. Il est à se demander pourquoi les symboles de deux Etats ont été éliminés et les deux autres épargnés ? Les uns sont-ils plus tyranniques pour être écartés? Les autres sont-ils moins despotiques pour être épargnés? Au Yémen et en Syrie, on travaille pour démembrer leur système, et le processus se poursuit.  A vouloir être l'unique et le seul dépositaire de la vie du pays, le système se refuse toute critique allant jusqu'à accuser autrui de la responsabilité de ses revers.

Ce système se tue par sa politique. La genèse du système se trouve à la merci des forces étrangères en conflit d'intérêts.

Les systèmes occidentaux

Ils n'ont guère change depuis leur genèse. Ils se ressemblent. Leurs positions sont immuables, bien que des dispositions conjoncturelles sont possibles. Le pouvoir est érigé par le savoir et l'avoir. Il se partage entre la droite et la gauche, le démocrate et le républicain, le conservateur et le travailleur. Les règles d'alternance sont suivies sans changement dans les principes du système. Mais chaque système à ses particularités, pour l'Amérique, c'est la réalpolitique par la suprématie, pour l'Europe, du fait de son passé colonial, c'est le paternalisme par l'orientation, la Russie, c'est l'autorité par le dirigisme, la Chine, c'est la subtilité par le pragmatisme. Néanmoins, la culture politique délimite le pouvoir du système. La vie politique est suivie par l'opposition qui vit des défauts et défaillance du système et essaie de se positionner. La justice veille sur la légalité des œuvres du système, évite ses dépassements et freine toutes ses ardeurs.

L'autorité est partagée et obéit aux lois. Cette démarche accorde une certaine crédibilité au système. Le système est redevable à une société civile présente et active. La culture de la citoyenneté est bien ancrée dans ces contrées.

Le système algérien

Bien avant l'indépendance, le système était une guéguerre entre tous les acteurs de la révolution algérienne, chaque partie se targuait d'être la légitimité. Cette discorde dura bien après l'indépendance par des déportations, des arrestations, allant jusqu'à l'élimination physique. A partir de 1965, Houari BOUMEDIENE imposa son système et musela toute opposition, c'est la genèse des clans. Il se lança dans le développement économique, social et culturel du pays et posa les jalons des institutions de l'Etat. En 1979, Chadli Bendjedid prôna l'ouverture et c'est l'émergence de la mouvance islamique, la naissance des affairistes et la banqueroute économique. C'est les ingrédients de la révolte populaire. Durant les années 90, l'ouverture du champ politique a ébranlé le système en place, jusqu'à la mise en cause de l'Etat. La mouvance islamique s'opposa au système, il s'en est suivi une confrontation directe entre l'institution la plus stable du pays et l'islamisme qui s'est accaparé des malaises de la société. Liamine Zeroual, lance l'appel à la paix et institua les deux chambres parlementaires. Malgré les appels à la paix, la confrontation dura toute une décennie. A partir de 1999, Abdelaziz Bouteflika concrétisa la paix et entame un programme de réalisations jamais égalé dans l'histoire du pays. Il mata la mouvance islamique et noya l'opposition. Par une légitimité historique et une légalité arrangée à chaque mandat, il devint un leader incontesté. La culture du zaimisme monopolise les débats qui deviennent stériles et les louanges deviennent monnaie courante. L'opposition de façade s'est désœuvrée et l'intelligentsia s'est démobilisée. Le système, maître à bord, phagocyta les institutions de l'Etat et gangrena l'économie du pays. Des fortunes se sont constituées et la gabegie s'installa à tous les niveaux. Toutes les réalisations sont entachées de malhonnêteté. C'est la course effrénée vers le gain, tous les moyens étaient bons et tous les coups étaient permis avec une complaisance généralisée. Depuis l'indépendance, le système adopte la même démarche par l'instrumentalisation de la justice, la gestion de l'économie et la régence de la société. La société, passive et revendicatrice, reste dans l'expectative et cherche toujours à grignoter quelque avantage, même l'Etat se trouve dépassé, étale toute sa faiblesse et son incompétence.

Faut-il le dire, que tout cette agitation politique et toutes ces positions et cette mentalité, et même ce comportement, ne sont que les fruits des politiques socio-économiques menées depuis l'indépendance. Et que les personnalités du jour ne sont que les élèves de ce long processus démocratique qui se façonne et que les évènements que connait l'Algérie ces semaines-ci, ne sont qu'une étape d'un long chemin qui se poursuit bon gré mal gré.

L'avenir

Ces jours ci, on se focalise sur le système qui est à Alger, mais on oublie qu'il existe des copies à l'échelle locale et qui ont le même comportement avec un lien organique avec la tête. Changer le système, c'est substituer un groupe par un autre et tomber dans les mêmes travers. Le système c'est l'ossature d'un pays. Sa raison d'être, c'est l'encadrement du pays, c'est sa noble prérogative, mais ce qu'il faut éviter, c'est l'étouffement de la vie d'un pays par les pratiques du système.

Des dispositions plus que nécessaires pour ne pas dire obligatoires, sont à instaurer. En aucun cas, il ne devrait être l'autorité des mécanismes de l'Etat encore moins le dépositaire du pouvoir. Sans ces deux bras, le système n'est qu'un animateur de la vie d'une nation. Le pouvoir doit être reparti et détenu par les institutions de l'Etat. Celles-ci doivent agir sous l'égide de la loi et conformément aux principes de la légalité institutionnelle. Ne pas obéir et ne pas suivre la loi, c'est en faire un système dégénéré. L'alternance bannit la continuité. Oter la légalité au système, c'est le désarmer de toutes les intrigues.

Le système doit être nourri des valeurs saines et sa composante évaluée et jugée. La justice veille à la santé sociale et œuvre dans la transparence. En dehors des règlements des différents et des délits, elle doit s'autosaisir dans le cas d'une légalité pernicieuse et une légitimité abusive. L'économie doit suivre la politique du pays sans pour autant lui obéir ou la soutenir. Il est admis que tout lien entre la politique et l'économique joue beaucoup plus l'intérêt d'un groupe que de la société.

La société civile est la base du système, tout dépend d'elle. Elle ne doit pas être une figurine des jeux politiques mais le défenseur des intérêts de la population. La société civile, par le biais des associations, des intellectuels, des professions, etc., ne s'érige pas sur les intentions politiques mais sur une assise sociale empreinte des valeurs et de la culture d'une nation.

Quand bien même il y a des dépassements, c'est les valeurs et la morale d'une nation qui freinent les ambitions du système. L'évaluation citoyenne reste la pierre d'achoppement du système.