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Du dialogue inclusif et exclusif

par Zerrouk Ahmed*

Monsieur Bensalah Abdelkader qui assume la charge de chef de l'Etat, en exécution des dispositions de l'article 102/6ème alinéa de la Constitution pour une durée de quatre-vingt-dix (90) jours au maximum, durée révolue, a invité à un dialogue inclusif, sans la participation de l'Etat, y compris l'institution militaire.

Avant d'examiner cette question au fond, il est utile de se poser quelques questions de forme. Un dialogue suppose la discussion sur un problème donné ou des divergences de quelque nature que ce soit, entre deux (2) parties, chacune ayant une vision et une approche propres. Le but du dialogue, c'est d'arriver à des concessions de part et d'autre, avec pour finalité d'aboutir à un compromis qui puisse satisfaire, peu ou prou, les parties en présence.

Ces derniers s'engagent à exécuter les points arrêtés d'un commun accord, après d'âpres et plus ou moins longues séances de négociations, de discussion.

En politique, et, c'est le scénario que vit actuellement notre pays avec cette crise politique et institutionnelle, qui a débuté le 22 février 2019, le dialogue devrait se tenir entre l'opposition politique, les organisations de la société civile, les organisations professionnelles et syndicales, qui doivent prendre en compte les demandes, voire les exigences des manifestants, du peuple, d'une part, et, d'autre part, le pouvoir actuel incarné par le chef de l'Etat et surtout le gouvernement ainsi que les partis de l'ex- alliance présidentielle et des formations politiques qui gravitent autour d'eux. Ces partis se positionnent automatiquement derrière chaque action ou initiative entreprise par le gouvernement en place, comme ils le faisaient avec l'ancien régime.

Est-ce à ce dialogue qu'appelle le chef de l'Etat. Certes, il utilise le terme «dialogue», mais, sans sa consistance. Concrètement, le chef de l'Etat invite tout le monde, à l'exception «de l'Etat dans toutes ses composantes, y compris l'institution militaire», à une sorte de séminaire ou de conférence ou d'atelier où chacun va y aller pour déclarer ce qu'il veut et faire état de sa vision sur l'organisation de l'élection présidentielle et échanger entre eux, pour «arrêter la configuration de l'autorité électorale à mettre en place et fixer ses attributions, son mode d'organisation et de fonctionnement ainsi que sa composante, y compris, éventuellement les personnalités consensuelles devant la diriger».

Et après et au cas où il y aurait consensus, le document final, un projet, de ce séminaire appelé, selon la terminologie utilisé par le chef de l'Etat «Dialogue», sera remis à ce dernier ou au gouvernement, qui n'a pris aucun engagement vis-à-vis des participants à ce séminaire, car s'étant exclu lui-même du «dialogue national inclusif».

Et là, la machine administrative va entrer en action et faire son travail, conformément à la Constitution et à la législation en vigueur.

De ce qui précède, à quoi va servir un dialogue inclusif, d'où est exclu un partenaire important et décisif qui lui appartient de faire avaliser et de traduire dans les faits le projet de texte qui serait adopté par le Dialogue. Il n'est tenu par aucun engagement vis-à-vis du «Dialogue», car n'étant pas partie prenante.

D'autant plus qu'un tel dialogue est éminemment politique. Et, la politique étant l'art et la pratique du compromis. Aussi, il importe que les parties, non seulement les partis politiques, les organisations de la société civile, les organisations professionnelles et syndicales et les hommes et femmes de bonne volonté, mais également le POUVOIR EXECUTIF, le gouvernement, fassent des concessions qui vont permettre de trouver un compromis satisfaisant pour les deux parties, pour faire sortir notre pays de l'impasse politique à laquelle il est confronté depuis le 22 février 2019.

Or, un tel compromis ne peut être obtenu que si les différentes parties, dont le gouvernement, se rencontrent et discutent entre eux. Autrement dit, un compromis politique n'est possible qu'à la condition de la tenue d'un dialogue entre le gouvernement, l'opposition politique et les organisations de la société civile. Dans le cas d'espèce, le compromis politique, c'est la tenue dans les plus brefs délais possibles de l'élection présidentielle.

On ne peut pas parler d'un véritable dialogue inclusif lorsque le pouvoir exécutif s'exclut. C'est comme si ledit pouvoir veut induire en erreur l'opinion publique, en lui faisant croire que ce sont les autres et non pas lui qui est la cause de la crise politique qui perdure.

En outre, tout texte législatif qui serait adopté par le dialogue, et au cas où il ne subirait aucune modification par le gouvernement, ne serait examiné par l'Assemblée populaire nationale qu'après le 2 septembre 2019. Pourquoi ?

Le Parlement (le Conseil de la nation et l'Assemblée populaire nationale) siège en une session ordinaire par an, d'une durée minimale de dix (10) mois, et l'ouverture de la session ordinaire du Parlement commence le deuxième jour ouvrable de septembre (articles 135 de la Constitution et 4 et 5 de la loi organique 16-12 du 25 août 2016 fixant l'organisation et le fonctionnement de l'Assemblée populaire nationale et du Conseil de la nation ainsi que les relations fonctionnelles entre les chambres du Parlement et le gouvernement). La session ordinaire du Parlement vient de se terminer. La prochaine débutera le 2 septembre 2019.

C'est dire qu'un tel texte législatif ne serait examiné, débattu, adopté et promulgué que vers le mois d'octobre ou de novembre. Et encore la version finale serait, à mon avis, différente de la version qui aurait été élaborée par le Dialogue.

De même, se pose une question, qui va garantir, c'est-à-dire quelle autorité va garantir et même dans ce cas, ce serait fouler aux pieds les attributions dévolues par la Constitution au Parlement dans le domaine de l'élaboration et du vote de la loi, que le dispositif prévu par le projet de loi initié par le Dialogue, soit celui qui serait adopté par le Parlement.

D'autant plus que le Parlement qui est actuellement soumis à une majorité composée des partis de l'ex-alliance présidentielle (FLN, RND, MPA, TAJ) et de quelques autres formations politiques qui gravitent autour d'eux va exécuter les instructions du pouvoir exécutif, du gouvernement, d'adopter ledit projet de loi ou de l'amender en fonction de ses desideratas.

En outre, un tel texte législatif ne peut se suffire à lui-même. Pour son application, des textes réglementaires sont nécessaires. Et, selon la Constitution, notamment les dispositions de son article 143/2ème alinéa: «L'application des lois relève du domaine réglementaire du Premier ministre».

Ainsi, le pouvoir exécutif va devoir prendre des décrets, voire des arrêtés pour l'application de cette loi. Et, là, également, le Dialogue n'aura aucune action ou incidence sur les dispositions réglementaires qui seraient, et qui peuvent remettre en cause d'une manière ou d'une autre, certaines dispositions légales.

En définitive, cette offre d'un Dialogue inclusif mais néanmoins exclusif, ne peut être une voie de sortie à l'impasse politique dans laquelle se débat notre pays depuis le 22 février 2019, et plus particulièrement depuis la démission le 2 avril 2019 du président de la République, sur demande de l'institution militaire, suite à la réunion tenue le 2 avril 2019 par le vice-ministre de la Défense nationale, chef d'état-major de l'Armée nationale populaire avec les comandants des forces, les commandants des régions militaires, le secrétaire général/MDN et les chefs des deux départements de l'état-major de l'Armée nationale populaire. Demande confortée et voulue par les revendications des manifestants, du peuple.

Cette offre de dialogue n'est ni crédible ni opportune, du fait que les détenteurs du pouvoir, les autorités publiques en charge des affaires de l'Etat, se sont exclus de ce «dialogue national inclusif» ; alors que l'adoption et la mise en application de toute décision ou proposition découlant des travaux de ce dialogue sont du ressort exclusif tant du pouvoir exécutif que du pouvoir législatif. Ce dernier étant, d'ailleurs, dévoué corps et âme au premier pouvoir.

Ce qui implique nécessairement, du fait qu'aucune garantie n'a été donnée pour une prise en charge du document final du dialogue, sans aucune modification ou rajout, que les autorités publiques s'accordent le droit d'étudier et de modifier, éventuellement, soit au niveau du ministère de l'Intérieur, du secrétariat général du gouvernement ou de l'Assemblée nationale populaire -c'est le cheminement normal d'un projet de texte législatif-, le projet de loi qui serait initié par le dialogue.

Une telle offre de dialogue est bien décrite par un dicton populaire, bien de chez nous, «je t'offre une fleur. Tu la sens mais je la garde dans ma main». D'aucuns se poseraient la question légitime: comment faire pour sortir de cette impasse et de cette souricière politique qui est tendue aux personnes qui participeraient à un tel dialogue. La réponse est aisée. La réponse est pragmatique. La réponse est conforme avec les revendications des manifestants, du peuple.

Le dispositif législatif et réglementaire devant régir l'autorité indépendante en charge des élections, ne peut être initié que par un gouvernement crédible et légitime aux yeux du peuple algérien. Comment y arriver. Il faudrait la démission du gouvernement actuel, qui est réclamée, voire exigée par les manifestants, par le peuple.

Monsieur le Premier ministre, reste sourd et indifférent, une indifférence qui frise l'indécence, aux revendications quotidiennes, insistantes et fermes des manifestants, du peuple, appelant à son départ. Pourquoi cette sourde oreille. Time will tell.

Dès la démission du gouvernement en place, le chef de l'Etat désignera un Premier ministre parmi les membres de la société civile, connus pour leur probité, droiture et expertise, qui aura toute latitude à choisir, seul et en toute indépendance, les membres de son gouvernement. Il va de soi que le général de corps d'armée Ahmed Gaid Salah continuera dans ce nouveau gouvernement à assumer ses responsabilités de vice-ministre de la Défense nationale, chef d'état-major de l'Armée nationale populaire, avec le même rang protocolaire.

C'est ce gouvernement légitime, car voulu par la majorité des Algériennes et des Algériens, qui aura pour tâche principale l'élaboration du projet de texte législatif et des textes réglementaires qui en découleraient, relatifs à l'autorité indépendante devant organiser, superviser et surveiller les élections ainsi que proclamer les résultats provisoires. Cette mission se fera en concertation étroite avec les partis politiques, les organisations de la société civile ainsi que les organisations professionnelles et syndicales.

Il est temps d'agir dans le bon sens et de ne plus tergiverser. Notre pays, l'Algérie, est en droit d'attendre de ses enfants, les actuels puissants du moment, d'agir en leur âme et conscience, sans parti pris et sans égoïsme, afin que le peuple «source de tout pouvoir» puisse se regrouper, de nouveau, autour de ses dirigeants, et que ces derniers soient «au service exclusif du peuple» et qu'ils n'utilisent pas «les fonctions et les mandats» exercés «au service des institutions de l'Etat» pour s'enrichir, ni pour servir des intérêts privés.

En conclusion, je ne peux que reprendre les termes d'un discours prononcé par le moudjahid, le général de corps d'armée Ahmed Gaid Salah, vice-ministre de la Défense nationale, chef d'état-major de l'Armée nationale populaire: «Nous ne nous lasserons jamais de dire que la priorité aujourd'hui consiste à accélérer l'élection d'un président de la République dans les délais possibles constitutionnels et acceptables dans le temps. Ces délais ont atteint leur limite et il appartient aux Algériens fidèles à leur patrie de trouver, maintenant, la voie la plus efficace pour y aboutir. Je rappellerai encore une fois que trouver ces voies qui mèneraient aux présidentielles ne peut se faire qu'à travers le dialogue dont les résultats pourront satisfaire la majorité du peuple algérien».

Hélas, l'offre de dialogue du chef de l'Etat n'est pas un dialogue entre toutes les parties en présence. Le gouvernement n'est pas partie et, en conséquence, n'est nullement tenu de se conformer stricto sensu aux résultats auxquels aboutirait, je dirais, le séminaire ou la réunion des «autres».

Il est temps, grandement temps, d'agir dans l'unité, l'humilité et le respect des uns et des autres et de sauver notre pays, l'Algérie. Faites preuve de responsabilité et de pragmatisme. Assez d'égoïsme et d'égocentrisme. Il s'agit de l'Algérie, votre pays, notre pays. De la terre qui vous a vu naître et terre sera votre corps, notre corps. Seule l'Algérie fière et altière restera.

Agissez, sans ruse et sans calcul, pour la tenue de l'élection présidentielle, considérée, à juste titre, par le valeureux et authentique moudjahid, le général de corps d'armée Ahmed Gaid Salah, vice-ministre de la Défense nationale, chef d'état-major de l'Armée nationale populaire: «?comme la clé pour accéder à l'édification d'un Etat fort avec des fondements sains et solides».

*Colonel à la retraite, ex-cadre/MDN.