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Chantiers à l'arrêt, crédits bloqués, patrons en prison: L'économie nationale en panne

par Yazid Alilat

Tous les économistes algériens tirent la sonnette d'alarme : à une crise financière inquiétante, une stagnation préoccupante de la croissance, s'est ajoutée une dangereuse période d'incertitude sur l'Economie nationale, avec les arrestations en série touchant les grands « patrons» d'industrie, des ministres, des directeurs de banques, des walis et de hauts responsables.

L'opération de lutte contre la corruption et les principaux auteurs de détournements, de dilapidation, d'évasion fiscale et de blanchiment d'argent, en attendant leurs procès, a paradoxalement tétanisé les grands secteurs économiques du pays, provoquant un ralentissement de toutes les activités industrielles, les principaux donneurs d'ordres observant une sorte de méfiance, sinon ralentissant leurs activités. Cette inquiétude sur le front économique a même touché, de plein fouet, le marché ?noir' des devises, les principales monnaies étrangères, dont l'euro, ayant dévissé au cours des ces deux dernières semaines, avec une baisse soudaine, coïncidant avec des tours de vis des autorités bancaires et le ralentissement des opérations d'importation et de domiciliations bancaires. De son côté, le gouvernement Bédoui, contrairement à ses prérogatives limitées du fait de la situation d'inconstitutionnalité des institutions actuelles, ne gère plus que les affaires courantes, en prenant des décisions qui impactent négativement l'Economie nationale.

A commencer par la fermeture d'usines, dont des minoteries, et des limitations drastiques des importations de beaucoup de produits et demi-produits nécessaires au bon fonctionnement de l'Industrie nationale, qu'elle soit privée ou publique.

La révision à la baisse des importations de kits CKD/SKD pour l'industrie automobile et l'électroménager, pénalise déjà des secteurs entiers de production industrielle, et oblige nombre de patrons d'entreprises à revoir leurs programmes, à réduire la voilure de leurs entreprises, et, surtout, à réduire leurs investissements, sinon à les geler tant que la situation politique reste indécise. Ces décisions gouvernementales ont également, provoqué une méfiance des opérateurs économiques, qui ont donné un coup d'arrêt à leurs investissements, créant dans la foulée une situation dangereuse sur le front social avec le risque de dégraissages dans le secteur manufacturier. D'autant que tant que durera la vague d'arrestations qui touche les grands chefs d'entreprises privées, des responsables de banques et des ministres, l'incertitude régnera dans les milieux patronaux. Avec les arrestations qui ont touché beaucoup de «patrons» d'industrie accusés de plusieurs griefs, c'est toute l'Economie nationale qui est atteinte, de plein fouet. Les usines marchent au ralenti, les investisseurs attendent des signaux positifs, alors que la production nationale de biens et de services stagne, sinon recule à l'ombre d'un ralentissement des importations. Certes, le ?Hirak', le mouvement populaire de protestation du 22 février, appelle à un changement radical dans le mode de gouvernance, la poursuite de ceux qui ont dilapidé les richesses du pays et les ont détournées à leur profit, mais n'a jamais milité pour des dommages économiques collatéraux. La poursuite en justice de plusieurs responsables, a, selon des sources bancaires, bloqué les opérations de crédits et d'investissements. Dans les milieux bancaires, l'opération «mains propres» menée par la Justice, après l'arrestation du P-DG de la BNA, Achour Aboud, fait peur, et a créé un malaise. Des chefs d'entreprises affirment même que «les comités de crédit ne se réunissent plus», depuis plusieurs mois. En fait, les banques se murent dans un silence, qui en dit long sur l'état d'esprit actuel, au sein des milieux bancaires, où une simple opération de montage de crédits de quelques millions de dinars doit prendre un cheminement compliqué. Une situation qui a provoqué le gel, pratiquement, des opérations d'octroi de crédits aux investisseurs, ce qui fatalement va se répercuter sur les activités économiques et le programme des entreprises. Les experts ne se privent plus, de leur côté, à montrer du doigt la situation de sinistrose qui prévaut au sein de l'Economie algérienne. Selon Mohamed Cherif Belmihoub, professeur d'Economie, «il y a un vrai problème d'industrialisation, en Algérie. Il y a encore quelques possibilités de sortie de crise, à condition de revoir la fiscalité entièrement, revoir l'informel», estimait-il récemment dans une intervention, à la Radio nationale. Il a ainsi sévèrement critiqué la décision, la semaine dernière, du gouvernement de fermer des minoteries en difficultés financières. «Il ne faut pas fermer les usines, mais taxer lourdement. La fermeture n'est pas la meilleure des solutions, c'est anti-économique de fermer des usines, et mettre au chômage les travailleurs, car nous avons besoin d'emplois dans les services et l'industrie», souligne t-il, avant de relever que l'Industrie algérienne «est aujourd'hui à genoux. La fermeture des usines est une mauvaise décision administrative. Chaque jour qui passe rend la solution encore plus difficile. Il faut laisser les gens travailler et investir.» Sur la menace qui pèse sur les usines de montage de voitures en CKD/SKD, il a également souligné que «ce qui est inquiétant, ce sont les autres secteurs, comme le BTPH, qui est dans une situation de crise avec la baisse de la commande publique, car dans le secteur automobile, il y a moins de main-d'œuvre.»

«Nous sommes dans une crise politique déjà, et il faut en sortir rapidement pour prendre en charge la crise économique, et, avec la revendication sociale, cette crise sera très violente. Dés lors, il faut qu'on passe à cette phase sur la résolution des questions économiques, et c'est urgent. Il y a possibilité de redresser l'Economie dans trois ou cinq ans, mais il faut agir dés maintenant.» Car tous les experts économistes sont d'accord pour affirmer que l'Economie nationale est aujourd'hui, en pleine crise, et que des solutions urgentes doivent être prises par les pouvoirs publics pour redresser la situation, dans les trois à cinq prochaines années.

Une vision que partage le Dr Abdelhak Lamiri, qui avait au mois de juin dernier, mis en garde contre une politique trop répressive issue du ?Hirak', au détriment de l'intérêt économique du pays. «Les gens qui ont corrompu le système doivent être certes pénalisés, mais il faut aller vers une logique de sagesse où il faut dépasser l'esprit de prison, de règlement de comptes et de vengeance», estime-t-il, avant de relever dans un entretien à la Radio nationale qu' «il nous faut un esprit de Mandela qui pense de la sorte pour aller vers une politique du pardon et reconstruire cette deuxième République propre, sans corrompus ni corrupteurs où seule la loi est appliquée pour tous.» Le Dr Lamiri pense ainsi qu'il faut qu'il y ait «une politique d'apaisement, parce qu'il y va de l'avenir économique du pays pour permettre de mettre une stratégie d'investissement, de développement de PME, afin que le secteur industriel reprenne ses droits et ainsi tout sera remis dans l'ordre».