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Un coup de barre sur la tête !

par Sid Lakhdar Boumédiene*

Quelle stupéfaction d'apprendre que Raymond Barre est accusé, post mortem, de fraude fiscale pour une dissimulation de 7 millions d'euros en Suisse. C'est pour ma génération comme si on vous annonçait que le Pape est athée ou Donald Trump communiste.

Il fut la référence absolue pour tous les étudiants en économie. En 1974, avant mon arrivée en France, nous appelions notre professeur d'économie à l'amphi «Barre a dit». Car toutes les deux phrases commençaient par «Raymond Barre a dit...» en citant un passage du célébrissime manuel en deux tomes de la collection Thémis «Économie politique».

Quelle honneur fut le mien lorsqu'on m'annonça à l'Institut d'Études Politiques de Paris, en 1975, que Raymond Barre était notre professeur en économie. Mais, travaillant quasiment à plein temps pour financer mes études, je me contentais des conférences (travaux dirigés) et du fameux manuel de Raymond Barre. Je n'avais jamais eu l'occasion jouissive et très hypothétique, comme un clin d'œil à mon année précédente, d'entendre Raymond Barre dire « Raymond Barre a dit ».

En février de la même année, on nous annonça que monsieur Raymond Barre n'assurerait plus le cours pour cause de fonctions européennes. C'est qu'il fut très célèbre dans sa fonction européenne.

Et sur le plan interne, ministre des Finances puis Premier ministre avant de terminer sa carrière dans sa ville natale comme l'éternel maire de Lyon qu'il aura toujours été. C'est au poste suprême de Premier ministre qu'il bâtit une autre réputation que celle du « Plus grand économiste de France » comme se plaisait à le dire le président de la République de l'époque, Valérie Giscard d'Estaing.

En effet, il ne se passe pas une semaine sans que les commentateurs économiques nous rappellent que le dernier budget équilibré de la France fut sous Raymond Barre. Appelé le « Père la rigueur » ou « Le Père la vertu », Raymond barre fit la chasse aux gaspillages publics comme personne ne l'avait fait auparavant en ces périodes encore fastes mais où la crise pétrolière de 1973 venait de frapper la France.

Il restera à jamais celui qui redressa l'économie et incita les Français à une rigueur budgétaire qui allait sauver le pays pour le maintenir à flot, au rang encore enviable de puissance économique mondiale malgré la crise.

Alors, ce petit homme « carré dans un corps rond » comme il se plaisait lui-même à le rappeler, fit une chasse terrible à la fraude fiscale qu'il avait qualifié comme étant l'une des plus lourdes fautes morales envers le pays.

Il faut dire qu'à cette époque, la fraude fiscale vers la Suisse était un sport national usuel et qu'il fut vraiment le premier à s'attaquer au fléau. Nous apprenons aujourd'hui que le pompier était pyromane, comme le sera Jérôme Cahuzac, ministre des Finances plus récent en charge de lutter contre l'évasion fiscale.

Mais Raymond Barre n'est pas Cahuzac, il est une icône de notre jeunesse estudiantine, un modèle de compétences et de vertu. Un grand professeur, intelligent et honnête, comme nous nous les représentions dans notre Panthéon des hommes célèbres.

Nous ne connaissons pas les détails de cette affaire mais les révélations qui viennent d'être faites nous apprennent que les fils du professeur avaient déjà négocié une restitution au fisc d'un million d'euros, rendant ainsi l'information crédible dans les faits si ce n'est encore dans les sommes globales annoncées.

Aujourd'hui, je me souviens encore de ce professeur d'économie à Oran en 1974, monsieur « Raymond Barre a dit », et je me dis avec malice qu'il ne le savait pas et personne n'aurait pu l'imaginer.

* Enseignant