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Le port du burkini, un crime d'Etat dans la patrie des droits de l'Homme ?

par Mourad Benachenhou

L'Algérie «française» était, pour ceux de descendance européenne, une «démocratie libérale,» certes réservée à une minorité, et dont était exclue la «population indigène». Au frontispice des mairies, dites de plein exercice, était gravée en lettres d'or, la devise républicaine :» Liberté, Egalité, Fraternité». Mais l'application de cette devise couvrait exclusivement les membres de la «race supérieure,» et les «indigènes» furent, pendant longtemps, pour ne pas dire jusqu'à l'indépendance nationale, soumis à une législation d'exception, appelée «code de l'indigénat,» qui prévoyait un système de justice et de sanctions pénales n'exigeant pas l'intervention de l'appareil judiciaire, et que les autorités coloniales locales appliquaient avec le plus total arbitraire. On pourrait, en fouillant les archives coloniales, trouver des cas où des Algériennes et des Algériens ont été sanctionnés par ces autorités pour avoir porté un type de vêtement que ces dernières jugeaient inapproprié, ou insultant pour elles.

Le bon vieux temps du système colonial !

On sait qu'il existe encore un Etat où s'applique à la population indigène le code colonial, c'est Israël, qui rappelle à nombre d'ex-colonisés les charmes de l'Algérie de papa, et c'est la nostalgie du système colonial qui les conduit à visiter et embrasser un pays, la dernière colonie occidentale au Moyen-Orient, qui ressemble tant à l'Algérie d'avant l'indépendance ! On ne discute évidemment pas des goûts et des couleurs. Les quelque 5.500 règlements de police des autorités israéliennes et le système judiciaire qui sont appliqués aux Palestiniens rappellent à certains intellectuels branchés, mais passéistes, le bon vieux temps de l'oppression coloniale. Ils vont voir sur place, et dans ce musée colonial à ciel ouvert qu'est Israël, comment leurs grands-parents et parents étaient traités par l'occupant colonial. Mais le masochisme est une maladie psychique difficilement guérissable, surtout chez ceux qui font profession de penser !

On pensait que le passé colonial de la France était derrière elle, et que la population française, ou habitant sur le territoire français, avait les mêmes droits définis par les mêmes lois, et tirant leur source de la déclaration universelle des droits de l'Homme et de la Constitution française.

La France est non seulement la patrie des droits de l'Homme, mais également la patrie de l'élégance féminine, dont les productions sont écoulées et imitées à travers le monde. Il y en a pourtant beaucoup de ces productions qui, aux yeux de certains, sont scandaleuses et ne répondent pas à leurs critères de pudeur féminine ou de bon goût ou d'esthétique dans le sens le plus banal du terme. On ne se souvient pas que les autorités locales ou nationales soient jamais intervenues pour interdire le port de tel ou tel habit produit des multiples maisons de mode, soit qu'il portait atteinte à la liberté et à la dignité des femmes en leur faisant arborer des habits de mauvais goût ou trop dénudés, ou trop serrés au point de déformer les corps des modèles. Rien ne prouve que ces modèles soient totalement libres de choisir les vêtements qu'on leur fait arborer au cours des présentations de mode ! Le métier de modèle n'est-il pas une sorte d'esclavage de luxe, où la personne se voit payer pour mettre en relief ce qu'il y a de plus commercialisable en elle, au détriment de ses vertus et qualités cachées ? La commercialisation de leurs attraits sexuels n'est-elle pas humiliante pour ces femmes ? N'est-ce pas une sorte de prostitution virtuelle, que la loi comme la moralité devraient formellement interdire car elle porte préjudice à l'image de la femme en la dégradant en simple objet sexuel ? L'argent ne peut pas justifier cet esclavage sexuel et tous ceux qui militent pour l'égalité entre l'homme et la femme devraient se révolter contre cette dégradation qu'elle subit, même si elle exerce l'un des métiers les plus rémunérateurs du monde.

On sait aussi qu'en France, la nudité dans les lieux de loisirs n'est également pas sanctionnée. Il y a des piscines et des plages où tout un chacun peut arborer son corps sans autre habillage que les rayons du soleil.

Donc, jusqu'à prouver le contraire, il n'y a, en France, ou dans la Constitution française, aucune loi qui définisse les notions de liberté ou de contrainte, de décence ou d'indécence dans l'habillement, sauf des cas précis définis par le code pénal où la nudité constitue une atteinte à la pudeur assimilable à une agression sexuelle.

Il n'y a pas de police des vêtements en France !

On peut, donc, dire qu'en France la liberté de s'habiller comme on veut est généralement garantie et protégée par la loi, et qu'on accepte sans réserve l'hypothèse que chacun porte l'habit qu'il veut bien porter. Le soupçon d'habillement contraint et forcé n'est inscrit ni dans les codes français, ni dans la pratique judiciaire française.

Un membre des forces de l'ordre n'a donc pas la possibilité ou le droit d'arrêter une personne pour lui demander si elle a été libre de choisir le vêtement qu'elle arbore en public.

Il n'y a pas, sauf si les informations de l'auteur ne sont pas à jour sur l'évolution des institutions et des lois françaises, une police des vêtements, comme il existe une police de la circulation ou une police des mœurs. Car, rien ne prouve, à première vue, que l'habillement porté sur la voie publique par une personne quelconque ait été librement choisi par elle, ou si ses parents, tuteurs ou employeurs ne l'ont pas forcée à porter ce type de vêtement plutôt qu'un autre qu'elle aurait préféré mettre.

Si, de plus, la liberté de se vêtir comme on veut est une liberté fondamentale qui doit être respectée et appliquée par tous, il n'y a aucune base légale à l'obligation de porter un uniforme ou un costume requis par la profession ou les règles du lieu de travail. Un employeur ne peut légalement pas imposer des limites à la liberté de s'habiller et il y a mille et une façons de se vêtir sans porter préjudice à l'exercice de ses fonctions.

Un homme (ou une femme !) forcé de mettre un costume tous les jours pour se rendre à son bureau est illégalement restreint dans sa liberté de se vêtir comme il l'entend, et les restrictions d'habillement qui lui sont imposées par son employeur devraient, en toute logique, être sanctionnées par la loi.

Pourquoi ne laisse-t-on pas la personne aller en pyjama au boulot, si ça lui chante ? C'est là un problème grave de limitation de la liberté personnelle. Pourquoi une petite fille devrait se voir imposer par sa maman de porter une jupe au lieu d'une robe ou vice-versa ?

La liberté et l'égalité sont les deux faces de la même pièce. Si je suis forcé de porter un vêtement imposé par mes parents ou mon employeur, je souffre d'une atteinte à ma liberté comme à mon égalité devant la loi suprême du pays.

Mais, on sait que , dans le cas du port du burkini, ce n'est pas la liberté de la femme ou son égalité avec l'homme qui pose problème, mais le fait qu'elle arbore en même temps une identité qui, apparemment, n'est pas couverte par les principes sacro-saints de liberté ou d'égalité.

Pourquoi ? C'est là la question. Car le droit de s'identifier n'est pas égal parmi les habitants de la France. On peut arborer en toute liberté, le costume des adeptes de Hari Krichna, qui est une secte religieuse. On peut sans aucun doute porter ce costume à la plage sans que ça choque, bien que ce soit un signe évident d'appartenance à un groupe religieux.

Il y a un seul groupe religieux qui n'a pas le droit de dévoiler en public son appartenance. Faire croire que cette interdiction a pour objectif une stricte application des règles sacro-saintes de laïcité ou la défense de l'égalité entre la femme et l'homme est simplement de la lâcheté enveloppée de cynique hypocrisie. On veut bien haïr un groupe religieux, mais il ne faut ni le reconnaître, ni le déclarer clairement et nettement.

Donc, le problème qui se pose n'est pas celui de la liberté et de l'égalité de la femme avec l'homme qui, lui, ne sera jamais empêché d'accéder à une piscine parce qu'il aurait décidé de porter un maillot couvrant ses cuisses et sa poitrine. On ne se souvient pas qu'un arrêt de la préfecture ou de la mairie de l'Hexagone ait imposé aux hommes le port obligatoire d'un maillot laissant apparaître leurs poitrines, une partie de leurs cuisses et de leurs jambes.

Le problème qui se pose est celui de la liberté religieuse. On l'a souvent répété et écrit, dans l'Hexagone la laïcité n'est pas la haine ou le rejet des religions ou même le droit de manifester son appartenance religieuse en public.

Mais la laïcité, telle qu'appliquée en France est, comme beaucoup de droits humains, une laïcité à géométrie variable : « tu peux exprimer ta laïcité comme tu veux, si elle est exclusivement judéo-chrétienne». Et que le gouvernement français ne se défausse de ce problème sur les autorités locales. C'est un problème qui touche à une liberté fondamentale du citoyen et de la citoyenne, et qui ressortit des lois fondamentales françaises : le droit pour elle ou lui de s'habiller comme elle ou il l'entend, et de ne pas être requis de justifier la signification de son vêtement ou si elle a été contrainte et forcée ou libre de le mettre.

L'auteur a-t-il le droit de se mêler d'une affaire strictement franco-française ? Si certains intellectuels français de renom se mêlent de décider du drapeau national, ce qui est un problème de stricte souveraineté (on ne se souvient pas que des Algériens aient jamais commenté l'absence du drapeau corse ou breton, ou basque, ou savoyard, dans les manifestations ou les bâtiments publics français, ou encouragé le sécessionnisme de certaines minorités sur le territoire français, ou se soient demandés si le seul drapeau officiel national français devrait ou non être le seul légitime) pourquoi un Algérien n'aurait-il pas le droit de se mêler d'un problème trivial intérieur à la France, et qui, même en forçant la dose, n' a rien à voir avec la sécurité de l'Etat français, son intégrité territoriale, ou sa survie, mais que beaucoup, en France, et même des autorités locales, veulent transformer en problème de menace identitaire imminente ? Les Françaises et Français sont-ils si peu sûrs de leur identité nationale qu'un maillot couvrant l'ensemble du corps de la femme leur apparaîtrait comme le début de la fin de leur culture et de leur civilisation ?