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Néo-islamistes (bis) et idiots utiles

par Kamel DAOUD

Ciel incandescent de midi, arbres silencieux, de la poussière et une foule muette, affairée dans le désordre des condoléances. J’assiste à l’enterrement d’une femme, morte dans la douleur de son corps et de ses proches, dans une ville de l’Ouest. Recueillement, moment sacré, tourment des siens. Après la mise en terre dans ce cimetière bien ordonné, un homme prend la parole. Il rappelle l’au-delà, le retentissement des actes après la mort, la foi, Dieu. La foule des présents acquiesce. Les cyprès se penchent, inutilement, dans le feu. Je les regarde puis on lève tous les mains, les paumes ouvertes vers le ciel, pour la prière finale au bénéfice de la défunte. A la clôture, le jeune «volontaire» se met à prier pour l’âme de Morsi, pour que l’Algérie puisse être sauvée par un homme comme Morsi, répète-t-il, forçant la voix. Sentiment de gêne visible chez certains présents. Dégoût. Pendant que les islamistes investissent la ruralité, les chambres de commerce, les syndicats, l’école, les tribunaux et la rue s’organisent et font campagne en douce, font commerce de leur idéologie même lors des enterrements, les rites, d’autres se contentent d’insulter quiconque annonce leur avènement, met en garde contre leurs stratégies. Des idiots utiles dont l’art se limite à «libérer la Palestine» par la salive et à lapider leurs pairs par culpabilité, par jalousie, par lâcheté ou par bêtise, souvent. Dès que je parle d’islamiste, certains ramassent des pierres pour lapider, hurlant à l’atteinte à l’Islam, à la religion ! On vous fait le procès de votre visibilité médiatique, on juge de votre foi et bonne foi et on décide que vous êtes un «traître», un pseudo démocrate, un vendu. Toutefois, je comprends la venimosité des «Allah» autoproclamés, ce que je ne comprends pas ce sont les idiots utiles. Risibles, ridicules. A l’aube du futur califat, un jour sinistre si ce pays n’est pas pris en main rapidement pour sauver les générations futures, ces idiots seront les premiers à être pendus aux lampadaires comme l’ont fait d’autres «révolutions islamiques». D’ailleurs, l’immunité de l’islamisme et son statut de courant intouchable, «divin», s’organise peu à peu, au nom de la dénonciation contre l’islamophobie, prétextant l’atteinte à l’islam, la trahison pro-française, l’identité, les «valeurs». Un jour, on nous vendra la salive de Makri en solution, comme on l’a fait de Belahmar le Docteur en Rokia et autres guérisseurs.

La vérité est que ce pays est en train de nous glisser d’entre les mains.

Ces charognards de la famille de «je suis Allah» ont appris la leçon, sont bien parrainés, investissent les réseaux après des formations discrètes par des parrains, parcourent le pays, sont devenus bons en guérillas électroniques et décident des recettes de provocations pour occuper la scène médiatique. Dans ce cimetière, en un moment, se révéla pour moi l’essentiel : on va marcher un jour par semaine, le Régime reculera d’un pas chaque demi-siècle et ces rats du ciel continueront de creuser quotidiennement. Ils prieront pour Morsi en se juchant sur votre corps. Même le respect dû aux morts ne peut, aujourd’hui, surseoir à leur terrible ambition.

Je suis obsédé par les islamistes ? Non. Ce sont eux qui sont obsédés par des gens comme moi, par nos libertés, nos sexes, nos cadavres, nos appareils génitaux, nos vêtements et nos consommations, nos cimetières. Pour ma part, je ne cherche ni à contrôler l’école, ni à voler des morts, ni à contrôler une chambre de commerce, ni à faire campagne contre un vendeur de vin ou une cuisse de femme. Je ne veux pas le pouvoir. Eux le veulent, absolument et à n’importe quel prix. Hier c’était au prix de massacres d’Algériens et cela ne leur a pas suffi (autant que le Régime, ils n’ont jamais demandé pardon aux Algériens). Alors que se taisent ceux qui veulent taire une opinion au nom de tribunaux d’inquisition qui prétextent d’une prétendue islamophobie. Pour le moment, aucun écrivain n’a été auteur d’un attentat en Algérie, ni est devenu un député larbin, ni n’a tué des centaines d’Algériens pour ensuite devenir propriétaire d’une carrière de sable, ni n’a placé ses enfants au Canada pour venir nous vendre l’arabité dans les écoles, ni n’a rencontré Saïd Bouteflika, en secret, pour négocier un strapontin, ni a quémandé un peu d’argent en tant que directeur d’une TV islamiste, au Régime, une semaine avant le 22 février. Morsi a été tué ? Oui. C’est un crime politique. Que Dieu ait son âme. L’âme de l’Algérie quant à elle est encore à défendre et vivre. La Fatiha ? C’est un rite. L’hymne national est un devoir. A l’époque de la dernière colonisation on pouvait réciter sa Fatiha, mais réciter l’hymne était puni de mort et de mépris. Cela en a fixé la valeur et le coût. Aujourd’hui, je veux vivre dans un pays qui commence ses conférences avec l’hymne de mon pays. Ceux qui veulent faire l’autre choix, peuvent aller vivre en Arabie ou à Kaboul. C’est ce que je pense. Et c’est ce que j’écris. Dans le «Quotidien d’Oran» et depuis deux décennies. Pour plaire à ma conscience et à mes enfants. Ni à la France, ni à Ankara ni à l’Arabie Saoudite.

Dieu est dans les cœurs par les urnes, le drapeau passe avant le tapis de prière et les islamistes sont des marchands politiques, des courtiers, pas des Allah et l’Algérie a survécu au pire, elle survivra aux idiots utiles des islamistes et à ceux qui cultivent le déni pour dédouaner leur lâcheté.

En quittant le cimetière, je me suis adressé à ce dévot. «C’est un manque de correction que de venir faire sa politique durant le deuil d’une famille» lui dis-je. «Pourquoi ? Morsi est musulman. C’est notre frère. Ce n’est pas ton frère ?» me rétorqua-t-il en élevant la voix, à dessein. A mes oreilles, ce fut le coassement d’un charognard, encore un. Rusée méthode : à défaut de pouvoir infiltrer les marches, il n’y a rien de mieux que de récupérer les enterrements. «Non. C’est un manque de correction. Ici, on est en Algérie et notre devoir va vers cette femme et sa famille. C’est indécent de faire de la politique autour d’une tombe». On échangea un regard. Il comprit que j’avais compris. Le ciel devint un bout de métal. Les arbres étaient encore immobiles, figés sous l’œil du soleil. Ils sont les plus fidèles habitants de cette terre. Les arbres prient debout, transforment l’ombre des sous-sols en feuillages, partagent tout avec l’épuisé ou le voyageur, indiquent les routes et l’eau et gardent le silence, en leurs troncs, comme un vieux trésor. Quand je veux qu’on me parle du ciel, ce sont eux que j’écoute. Pas les prêcheurs.