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Crise politique, élections présidentielles et lutte contre la corruption

par Ghania Oukazi

  Le chef d'état-major renvoie la tenue des élections présidentielles après «la mise en place de jalons pour l'affranchissement de l'Algérie du vice de la corruption et des corrupteurs.»

Le vice-ministre de la Défense, le général de corps d'armée a encore une fois souligné qu'il n'est pas question d'autres solutions à la crise en dehors du cadre constitutionnel et la préservation des institutions de l'Etat. Ahmed Gaïd Salah a parlé lundi dernier à partir de la 3ème région militaire de Béchar où il effectue une visite d'inspection des troupes. Pour affirmer que sa décision est «scellée et non négociable», il rappelle que l'«une des lignes de conduite que l'ANP veille à respecter est l'attachement résolu aux solutions légales et constitutionnelles pour résoudre la crise que traverse l'Algérie.» Il persiste et signe : «il s'agit de principes auxquels on ne peut déroger et dont nous ne nous lasserons jamais de réitérer en toute confiance et avec détermination.» Sa feuille de route n'a pas été corrigée. «L'organisation des élections présidentielles dans les brefs délais et dans les meilleures conditions de transparence et de crédibilité constitue un élément fondamental que requiert la véritable démocratie à laquelle ne croient pas, malheureusement, certains adeptes de la surenchère politique et idéologique qui considèrent les élections comme un choix plutôt qu'une nécessité». Des délais qui, pourtant pour lui «ont atteint aujourd'hui leur limite et il appartient aux Algériens fidèles à leur patrie de trouver maintenant, la voie la plus efficace pour y aboutir». Il détaille sa vision par une première remarque qu'il lance sur un ton menaçant et des certitudes fermes. «C'est là le summum du paradoxe intellectuel et politique, car il n'y a guère de démocratie sans élections libres et intègres, sauf si la démocratie signifie s'enliser dans le bourbier de la cooptation», affirme-t-il.

Ces propos n'ont en effet rien d'une supputation mais se veulent l'observation que le général de corps d'armée fait à ceux qui manipulent pour réussir «la cooptation.» Le général de corps d'armée ne dissocie point la solution politique et la lutte contre la corruption. Lutte qui, a-t-il dit, «n'admet aucune limite et qu'aucune exception ne sera faite à quiconque, cette voie sera celle que l'institution militaire veillera à entreprendre avec détermination, posant ainsi les jalons de l'affranchissement de l'Algérie du vice de la corruption et des corrupteurs avant la tenue des prochaines élections présidentielles». Ces derniers propos, à eux seuls, montrent que le temps importe peu pour le général de corps d'armée.

L'heure des comptes...

«Poser les jalons de l'affranchissement de l'Algérie de la corruption avant la tenue des élections présidentielles» est la phrase-témoin qui ne souffre d'aucune ambiguïté.

D'autant qu'il dit aussi qu'«il y a lieu d'affirmer encore une fois la détermination de l'institution militaire à accompagner la justice, avec une ferme conviction et un sens élevé du devoir, ainsi que de la protéger de façon à lui permettre d'exécuter convenablement ses missions et s'acquitter judicieusement de son rôle de moralisateur, en déterrant tous les dossiers et en les traitant en toute équité quelles que soient les circonstances, de façon à faire comparaitre devant la justice tous les corrompus quels que soientt leur fonction ou leur rang social.» Déterrer tous les dossiers de corruption n'est pas une mince affaire pour une justice qui fait plus dans un spectacle théâtral sans pareil. Signe fort de son appartenance à un pouvoir qu'il a bien connu pour l'avoir accompagné dans toutes ses ascensions, Gaïd Salah note sans hésiter qu'«il a été procédé par le passé et de manière délibérée, à la mise en place des conditions propices à la pratique de la corruption». Il témoigne qu'«il apparaît également à travers cela que ce qu'on appelait à l'époque réforme de la justice n'était malheureusement que des paroles en l'air et des réformes creuses qui, bien au contraire, ont encouragé les corrompus à persister dans leurs méfaits et ont été parrainés pour empiéter les droits du peuple et enfreindre les lois délibérément sans crainte et sans aucune conscience.» Il met en avant «un problème de gestion en premier lieu, à savoir que les deniers publics étaient pour certains gestionnaires, de l'argent commun, voire permis, où ils se servaient à volonté quand ils voulaient en toute impunité et sans contrôle ou considération envers le poids de la responsabilité qu'il portent.» Le vice-ministre de la Défense se place au dessus de la mêlée comme le faisait le président Bouteflika durant tout son règne et déclare que «ces pratiques viciées et immorales sont en parfaite contradiction avec la teneur des discours hypocrites de ceux qui les tenaient.» Son verdict est sans appel. «L'heure des comptes est arrivée et le temps d'assainir notre pays de toute personne malhonnête qui s'est laissée tenter de troubler la vie quotidienne du peuple algérien par de telles pratiques et de tout ce qui a obstrué les horizons face aux Algériens et semé la peur, voire le désespoir en l'avenir». Ce schéma «d'assainissement» qu'il a décidé d'exécuter semble faire partie «des conditions nécessaires pour tenir l'échéance des élections présidentielles» dont les préalables pour lui restent «un dialogue serein» et «des discussions constructives.» Il prévient que c'est là «l'axe principal autour duquel devront se fédérer toutes les énergies (...).»

La foire aux enchères publiques

Le général de corps d'armée ne fera rien de plus parce qu'a-t-il dit, «c'est au nouveau président seul que revient la tâche de traduire concrètement sur le terrain le programme détaillé et précis des réformes (...).» Il n'est donc plus question pour lui de faire des concessions. Une sacrée propagande est lancée depuis peu par les médias audiovisuels publics pour faire du 1er ministre le pilier de la paix sociale.

Hier, des familles entières priaient pour qu'il soit béni et ce pour les avoir logées rapidement. Les séquences sont rocambolesques.

Au-delà de cette foire médiatique aux enchères publiques pour vanter les mérites du cadre constitutionnel imposé par Gaïd Salah, l'on constate que certains procédés judicaires de lutte contre la corruption frôlent l'interdit. C'est pêle-mêle que la plupart des présumés accusés sont convoqués pour comparaître devant les juges et ressortir quelques heures plus tard dans des fourgons blancs pour être incarcérés à la prison d'El Harrach. Ils sont filmés, invectivés jusqu'à être secoués par les coups de poing donnés par des citoyens aux fourgons qui les transportent et ce au vu et au su des services de police dont le nombre est impressionnant. Les hommes de loi savent que de par le monde, les visages des présumés accusés ne sont pas montrés au public en raison du respect de la présomption d'innocence que toutes les lois consacrent. Il est clair que la justice version post-hirak est sommée de jouer de tous les subterfuges pour qu'elle ait la bénédiction populaire. Ses autorités savent qu'il n'a jamais été question pour elles d'agir vite sur un temps aussi court et d'une manière aussi spectaculaire. L'exceptionnalité de la conjoncture ne doit pas pardonner les atteintes aux droits basiques des justiciables. Pis, la justice exige la levée de l'immunité parlementaire par les soins d'un bureau de l'APN dont le président est non seulement décrié par ses pairs mais a été intronisé en tant que tel par des procédés déclarés illégaux par les juridictions compétentes. Mouaad Bouchareb siège à cet effet alors que Gaïd Salah sait que le FLN vit une autre mascarade de destitution qui confirme que le pays peinera encore pour construire son Etat de droit.