Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

La corruption, sa nature, son ampleur et ses causes : le cas de l'Algérie

par Boutaleb Kouider*

«Min ayna laka hadha» D'où a-t-eu cela ? Omar Ibn El Khatab (Radhya Allah Anhou)

«Si les empires, les grades, les places ne s'obtenaient pas par la corruption, si les honneurs purs n'étaient achetés qu'au prix du mérite, que de gens qui sont nus seraient couverts, que de gens qui commandent seraient commandés». William Shakespeare - Le marchand de Venise

C'est le titre d'un ouvrage que nous venons de publier aupres de l'Office de publications universitaires (OPU). La rédaction de cet ouvrage procède d'un constat simple, le peu de recherches et de publications académiques, dans notre pays, sur le phénomène de la corruption et des pratiques dont il voudrait en rendre compte. Un manque de savoir académique qui contraste très fortement avec les écrits de la presse nationale. C'est ce qui nous a, sans doute, le plus motivés pour l'élaboration et la présentation de cet ouvrage.

Nous avons souligné des l'introduction que la corruption est une réalité universelle qui marque à des degrés divers toutes les sociétés. Mais en Afrique et dans le monde arabe, en Algérie en l'occurrence, sans doute plus qu'ailleurs, ce phénomène s'est largement étendu. La pratique de la corruption s'est effet généralisé et n'épargne aucun secteur de la vie socioéconomique du pays comme ne cesse de le révéler la presse algérienne. Il s'agit d'un phénomène nocif aux conséquences socioéconomiques et éthiques considérables qui a longtemps été occulté par les analystes du développement. Mais devant l'ampleur prise par le phénomène, la question de la corruption a fini cependant par s'imposer comme objet d'étude et être appréhendée désormais comme un facteur de blocage sinon de paralysie des économies nationales, particulièrement en Afrique. C'est ce qu'affirme la Banque mondiale qui considère que la corruption est aujourd'hui un obstacle de premier ordre au développement économique et social. « La corruption bafoue l'État de droit et sape la confiance dans les institutions publiques. Elle induit une distorsion dans l'accès aux prestations étatiques ainsi qu'une mauvaise allocation, voire une perte de ressources publiques. Elle ébranle la confiance des investisseurs et nuit à la concurrence. Les couches sociales défavorisées sont souvent les plus touchées par le fléau de la corruption ». (1)

On estime en effet que «la corruption non seulement fausse la prise de décision économique, mais elle décourage aussi les investissements, mine la compétitivité et, à terme, affaiblit la croissance économique. Les aspects juridiques, politiques et économiques du développement étant interconnectés, la corruption dans un de ces domaines entrave le développement dans tous les autres». (2)

Selon toujours la Banque mondiale, la corruption peut réduire le taux de croissance d'un pays de 0,5 à 1% par an, alors que pour le FMI, les investissements réalisés dans les pays corrompus sont inférieurs d'environ 50% à ceux réalisés dans les pays relativement non corrompus. Inversement «un pays avec un revenu par habitant de 2000 dollars EU, qui s'attaque à la corruption, améliore sa gouvernance et l'Etat de droit, pourrait à long terme voir son revenu s'élever à 8000 dollars EU» comme l'a souligné, il y a bien longtemps déjà, Daniel Kaufmann, un pionnier qui ne cesse de piocher la question au sein du groupe qu'il a institué au sein de la Banque mondiale. (3)

La corruption coûterait chaque année au continent africain plus de 148 milliards de dollars, d'après un rapport présenté à l'Union africaine en septembre 2002 à Addis Abeba, ce qui a pour effet d'augmenter le coût des marchandises de 20%, de décourager l'investissement et de retarder le développement.

C'est la même perception exprimée par le Pnud (Programme des Nations Unies pour le développement) pour qui, en l'absence de mesures efficaces, «la corruption peut par ses multiples méfaits (gaspillage de ressources financières limitées, baisse de la croissance, augmentation des coûts de transactions, baisse de la qualité, augmentation de l'incertitude, création d'un environnement d'insécurité, etc.) elle peut mettre en cause la stabilité sociale et politique d'un pays». (4)

Comme le souligne encore le Pnud, le développement de la corruption compromet les chances de développement des pays, car les ressources qui auraient pu servir à des dépenses productives au bien-être collectif sont détournées pour des intérêts privés.

Cette relation antagonique entre le développement socioéconomique et la corruption a fait l'objet de nombreux travaux au niveau des institutions internationales (Banque mondiale, PNUD, OCDE, FMI?), qui concluent de manière récurrente sur un constat sans appel comme l'exprime l'économiste algérien Abdelhak LAMIRI : «Quand la corruption se généralise, la société devient scellée et la dynamique de développement bloquée?»

La corruption est, par conséquent, désormais considérée comme un frein au développement et à la croissance économique d'un pays. La lutte contre la corruption est par conséquent indispensable et prioritaire comme l'a souligné avec force l'ancien secrétaire général des Nations Unies, Koffi Annan, dans un discours sur la corruption. «La corruption est un fléau qui sape les fondements de toute société civile. Elle porte atteinte à la morale, à la démocratie, à la bonne conduite des affaires publiques et à l'État de droit et absorbe des ressources nécessaires au développement. En outre, elle est un affront pour ceux qui observent fidèlement l'éthique dans leur travail et leurs rapports avec autrui et attendent des autres le même comportement suivant le précepte immémorial :"Ne fais pas à ton prochain ce que tu ne voudrais pas qu'il te fasse". La corruption est un mal insidieux qu'il ne faut cesser de combattre? Nous devons extirper ce mal, supprimer cette véritable plaie qui est le signe d'un très grave dysfonctionnement dans la gestion de l'État?» (5)

Les jurisconsultes musulmans étaient unanimes pour condamner la corruption, le corrupteur, le corrompu et l'intermédiaire qui intervenait entre les deux. Ils s'appuyaient pour la condamnation de la corruption non seulement sur le texte coranique et les paroles du prophète Mohamed (SAS) mais aussi sur des arguments issus de la tradition ou fondés sur la raison.

Le khalifa Omar Ibn Khattab (Rdhya Allah Anhou) surnommé Omar le juste, avait écrit à ses gouverneurs «gardez-vous des cadeaux offerts ; c'est de la corruption». On peut aussi citer l'exemple historique de Omar Ibn Abdelaziz (huitième calife omeyyade qui a gouverné à Damas, mort en 720 à l'âge de 38 ans)) qui avait refusé un cadeau proposé dans une occasion et lorsqu'on lui disait que le prophète l'acceptait, il répondait : «c'était un cadeau pour lui et une corruption pour nous, parce qu'on voulait se rapprochait de sa prophétie non pour son autorité. Or pour notre cas, on se rapprochait de nous pour notre autorité».

Mais pour combattre efficacement ce phénomène nocif qui gangrène littéralement de nombreuses économies nationales, notamment en Afrique et dans le mode arabe, il faudrait pouvoir mieux le connaitre, l'interpréter. De nombreuses questions demeurent posées : comment peut-on mieux cerner la nature du phénomène de corruption ? Quelles en sont les causes génératrices ? Peut-on évaluer son ampleur ? Comment la juguler ?? et d'autres questions encore, dont des débuts de réponses ont déjà été apportées grâce aux investigations de chercheurs, d'organisations non gouvernementales (O.N.G. Transparency International entre autres), mais aussi l'engagement des institutions internationales comme la Banque mondiale, ou le Pnud. Comment se présente la situation en Algérie ?

C'est ce que nous avons tenté d'éclairer dans cet ouvrage à travers des synthèses sur un certain nombre d'aspects de la corruption, aux plans conceptuel, théorique et empirique permettant d'éclairer la problématique d'ensemble.

Nous avons tenté de restituer synthétiquement les nombreuses approches définitionnelles de ce concept en considérant la diversité des pratiques corruptrices.

Nous avons abordé l'analyse des causes génératrices de la corruption. On a tenté de montrer que si la corruption varie certes dans sa nature et dans son ampleur d'un pays à l'autre, on retrouve cependant généralement souvent les mêmes formes et les mêmes pratiques. Nous avons abordé les méthodes d'évaluation et de mesure de la corruption à travers des indices de perception, notamment l'IPC de Transparency International. Nous avons tenté de montrer que la mesure de la corruption (concept aux milles facettes) n'est pas simple. Fondée sur des perceptions, quelle que soit la méthodologie utilisée, elle demeure objet de critiques.

Nous avons tenté de synthétiser les nouvelles approches et stratégies de lutte contre la corruption sur le plan économique et judiciaire, en passant en revue les politiques qui sont proposées pour rendre la lutte contre la corruption efficace. Il s'agit essentiellement des réformes conduisant à asseoir la bonne gouvernance et l'Etat de droit.

La deuxième partie de cet ouvrage, intitulée «La corruption en Algérie» a été consacrée exclusivement à l'étude du phénomène de la corruption en Algérie.

Nous avons montré que les causes de la corruption en Algérie ne dérogent pas aux pratiques habituellement décrites sous d'autres cieux.

Nous avons appréhendé, l'appréciation de l'ampleur de la corruption en Algérie à travers les données relatives à l'évaluation des détournements des ressources publiques, à travers le classement dans l'IPC (l'Indice de perception de la corruption) à travers le discours politique...

Quant aux causes de la corruption en Algérie nous les avons appréhendées à travers ce qui caractérise dans son essence la nature et le mode de fonctionnement du système socioéconomique et politique.

Les causes de la corruption relèvent en Algérie, sans doute plus qu'ailleurs, du système de gouvernance inhérent à une économie rentière, comme l'ont suffisamment montré les analyses de nombreux auteurs cités et non cités dans le texte. Les arguments avancés se basent sur plusieurs aspects du mode de gouvernance des ressources publiques (gestion administrée de l'économie, signifiant octroi d'autorisation source de corruption, gestion patrimoniale de l'Etat, confusion entre bien public et bien privé, source de privilèges (et de corruption) des détenteurs du pouvoir à tous les niveaux de la hiérarchie administrative, rente pétrolière et pouvoir discrétionnaire de redistribution du revenu national (source de corruption, clientélisme?).

La corruption, à travers les détournements et les dilapidations, a pris ainsi une telle ampleur qu'elle semble parfaitement entrée dans les mœurs, au point d'en être banalisés. Il faut souligner cependant que devant l'ampleur prise par ce phénomène, le pouvoir politique n'est pas resté insensible. Bien au contraire. Cependant les efforts de lutte contre la corruption se sont concentrés surtout sur les aspects juridiques et n'ont guère touché à l'essentiel, à savoir les réformes structurelles de fonds devant instaurer la bonne gouvernance et l'Etat de droit.

En conclusion, nous avons relevé que :

- La corruption est un phénomène complexe qui frappe, à des degrés divers, tous les pays.

- La corruption est un phénomène difficile à conceptualiser, même s'il est facilement identifiable. Il n'existe pas de définition unique et claire de la corruption.

- La corruption comporte de multiples facettes, ce qui la rend intrinsèquement difficile à mesurer de manière précise et objective. «Aussi bien le cadre théorique que les techniques actuelles pour la mesurer montrent que les méthodes en vigueur ne permettent pas de comprendre réellement le problème de la corruption». «Recourir à des perceptions de la corruption et non à la corruption en tant que telle, pose un problème car la perception peut évoluer beaucoup plus rapidement que le niveau réel de corruption».

Le grand nombre d'indices et d'indicateurs sert surtout pour sensibiliser davantage les décideurs et le grand public. Parmi ces indicateurs, figurent l'indice de perception de la corruption (Transparency International) et les indicateurs mondiaux de la gouvernance (Banque mondiale), ainsi que la nouvelle génération d'indices tels que le baromètre mondial de la corruption (Transparency International), l'indice global d'intégrité (Global Integrity) et l'indice Mo Ibrahim de la gouvernance africaine.

Ces indices ne rendent pas compte de façon objective des niveaux réels de corruption dans un pays et, à fortiori, au niveau mondial. Des indicateurs désagrégés sont plus pertinents.

Concernant les causes de la corruption elles relèvent surtout de la faiblesse institutionnelle qui permet aux responsables politiques et aux fonctionnaires d'abuser de leur pouvoir sans aucun contrôle. C'est ce qui explique pourquoi, il est essentiel de mettre en place et de renforcer des institutions de gouvernance si l'on veut lutter efficacement contre la corruption.

Ainsi, en Algérie, comme dans de nombreux pays à travers le monde, la lutte contre la corruption relèverait plus que toute autre considération, de la refondation d'un Etat fort, dont le pouvoir s'exerce par l'intermédiaire d'institutions réellement représentatives. Autrement dit un Etat de droit, légitime.

La lutte contre la corruption a «impérativement besoin de gouvernements responsables, intègres, légitimes, «il n'y a pas de fonctionnement de l'économie sans un Etat fort avec des lois et des règles qu'il est capable de faire appliquer ». (6)

Notons que cette problématique a depuis longtemps été perçue en Algérie, depuis le défunt président Houari BOUMEDIENNE qui affirmait vouloir construite un Etat et des institutions qui survivront aux hommes et aux évènements jusqu'au président déchu Abdelaziz BOUTEFLIKA qui a constitué une commission nationale de réflexion sur la réforme de l'Etat dès son investiture en 1999 devant le constat sans complaisance qu'il a lui-même dressé lors de sa première campagne électorale. Ce rapport de cette commission confiée à un de ses proches en l'occurrence Missoum Sbih n'a jamais été rendu public.

Si on ne peut mettre en doute la sincérité d'hommes d'Etat de cette envergure, en Algérie comme dans de nombreux autres pays, de vouloir bâtir des Etat forts, efficaces, capables de «piloter le développement», on peut cependant affirmer qu'au delà des hommes dont tous ne sont pas corrompus, des systèmes se sont constitués autour de privilèges et de rentes que nulle réforme ne peut les remettre en cause si leur essence même n'est pas touchée. Autrement dit toute réforme est vouée à l'échec si la question du pouvoir constitutive du politique est niée ce qui a été et demeure apparemment le cas.

C'est ce qui expliquerait fondamentalement au-delà des controverses qui l'entourent, l'intérêt croissant qui est désormais consacré à la question de la gouvernance, notamment politique, qui surdétermine l'efficacité des institutions administratives nécessaires au bon fonctionnement d'une économie de marché, laquelle question est intimement liée à la réforme de l'Etat et de l'exercice du pouvoir politique.

Ainsi, les conditions de fonctionnement des Etats et les conditions de transformation des Etats constituent aujourd'hui une préoccupation majeure. La transition démocratique est incontournable si on considère que la démocratie avec ses systèmes de contrôle politique et budgétaire sous le regard de la presse semble offrir les meilleures garanties de transparence et de bonne gouvernance.

*Docteur en sciences économiques - Université de Tlemcen

Notes

1- MARIA COSTA, A, (2003) : «La dynamique mondiale de la corruption» Programme mondial contre la corruption, Conférence nationale pour une vie publique plus intègre, Budapest, 20-21 mars.

2- BANQUE MONDIALE (2005) : «Corruption et lutte contre la corruption, Qu'est-ce que la corruption ?» Fiche de synthèse, Conférence de presse, Berne, le 1er février.

3- KAUFMANN D. (2003) : «Gouvernance et lutte anti-corruption» http://go.worldbank.org/9ENOSDEOM0

4- PNUD (2003) : «Corruption et développement humain ». «Problématique de la corruption et développement humain». Rapport sur le développement humain - Burkina Faso, p.1

5- Extrait du message adressé par M. Koffi ANNAN à la huitième Conférence internationale contre la corruption - Lima, 07 - 11 septembre 2002

6- BARTOLI H. (1999) «Repenser le Développement». Economica (Unesco), Paris