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Mohamed Zerrouki (1902-1957): Un écrivain visionnaire précoce resté méconnu

par Rahal Redouane*

Le recueil des écrits de Mohamed Zerrouki, publiés pendant une quarantaine d'années dans diverses revues au siècle dernier, est le livre qu'on souhaite offrir aux passionnés comme aux amateurs de l'histoire, tellement il est enrichissant, instructif et vivifiant à la fois parce que reflétant les préoccupations de la société algérienne colonisée mais en voie de mutation. C'est grâce à l'instigation de son fils Bouabdallah que ces écrits épars, publiés dans différentes revues, ont été exhumés, rassemblés et édités sous forme d'un fort volume de 390 pages par les éditions Chihab-Alger en 2005. Le plus étonnant est que ce livre n'a pas été apprécié en son temps alors que culturellement, il s'inscrit dans la mouvance de l'écriture de l'histoire algérienne contemporaine.

M. Zerrouki Mohamed est né à Tlemcen le 10/11/1902 dans un milieu familial de culture traditionnelle mais ouvert à l'évolution du temps et des idées nouvelles. A sa sortie de l'Ecole normale des instituteurs de Bouzeréah à Alger, après une scolarité dans sa ville natale, tout en exerçant son métier d'éducateur, il participe très tôt aux activités intellectuelles qui agitaient la société algérienne des années trente. En effet, l'année 1930 est une date importante dans l'histoire algérienne parce que l'administration coloniale fête avec ostentation le 1er centenaire de la colonisation de l'Algérie. Des discours provocateurs et blessants, pour la populaire algérienne, ont été prononcés à cette occasion.

Par ses divers écrits sur des thèmes variés, M. Zerrouki prône une certaine philosophie pratique, à savoir que l'histoire en tant que science majeure a pour mission de permettre aux générations nouvelles ou à venir de connaître les expériences du passé et les leçons qui peuvent expliquer l'évolution des sociétés humaines et les idées débattues en leur temps sur les plans politique et culturel. Le but est de faire évoluer les mentalités en vue de l'émancipation de l'individu colonisé.

Cette éducation est le résultat d'observations perspicaces vécues quotidiennement mais nourries aussi par la lecture d'ouvrages critiques sur des thèmes nouveaux qui provoquent débat et émulation chez certains intellectuels. M. Zerrouki se révèle être un briseur de mentalités figées. En fait, il participe modestement par la littérature à l'émancipation de son peuple enchaîné mais ayant foi en un avenir meilleur. Il reste dans son noble rôle d'éducateur, par vocation, des élèves et des masses.

De là se forme une certaine méthodologie donnant naissance à la critique historique loin de l'imitation stérile des Anciens. Il utilise les matériaux de ces derniers pour les dépasser en balayant le fatalisme. Il est à la fois spectateur de sa société mais aussi acteur participant à son évolution pour un avenir meilleur d'émancipation.

Les thèmes abordés, qu'ils soient d'inspirations philosophiques, historiques ou sociaux, sont quête et sève à la fois parce que aspirant à un certain bonheur pour ses frères et sœurs dominés. En fait, il suit avec grande affinité une démarche dans laquelle le texte est vie de l'esprit pour mieux faire évoluer la société vers un mieux-être. Pour lui, seuls l'instruction et le savoir peuvent sauver les colonisés.

C'est un passeur de lumière mais gardant un certain respect pour le sacré qui soude les individus et la collectivité. Cet instinct a ceci de magique qu'il enrichit sans appauvrir personne.

Si chaque étude représente un thème de circonstance au regard des débats et des idées qui agitent la société de son époque, le but poursuivi est de briser certains tabous véhiculés par des mentalités sclérosées. C'est sa vocation d'éducateur d'avoir une ouverture globale vis-à-vis de tous, qu'ils soient traditionnels ou progressistes, de façon à progresser vers la modernité mais dans l'authenticité. Cette liberté de raisonnement doit aboutir progressivement à une émancipation culturelle mais sous-jacente politique des laissés-pour-compte des Algériens. Cette espérance se fortifie aussi par la création de l'Association des oulémas musulmans algériens en 1931, qui va participer en profondeur au combat contre l'immobilisme, le fatalisme et les dérives, par ignorance, de la religion musulmane. En fait, par ces écrits, M. Zerrouki prône la diffusion de la culture, en faisant découvrir l'histoire du passé mais en dépassant le présent de son époque. Il ne s'agissait pas de briller mais de poser une parole pour l'avenir par un discours de raison plutôt qu'un discours de peur diffusé par certains défaitistes.

Pour M. Zerrouki, la littérature est à la fois engagement et combat pour l'émancipation de ses frères. En évoquant certains personnages historiques, il cherche à donner espoir à ses contemporains pour briser le carcan de la domination coloniale, en évoquant les souvenirs des anciens qui ont marqué leur époque (tels Cheikh Senouci - Ibn Khaldoun) est une manière de rappeler que les accidents de l'histoire ne sont pas éternels. Pour les surmonter, il faut pour cela avoir confiance en soi pour aboutir et mériter à la fois la liberté, qu'elle soit de l'esprit, ou plus généralement de l'individu. Cette espérance dans l'avenir va se concrétiser en assistant de son vivant aux prémices de la liberté par l'éclosion du 1er Novembre 1954. Il meurt le 15/04/1957 à Alger prématurément à l'âge de 57 ans, en ayant certainement en son fort intérieur la satisfaction d'avoir contribué, par la littérature, à l'émancipation de l'Algérie éternelle. Merci et gloire à vous, M. Zerrouki, pour votre participation à cette émancipation et que les générations futures n'oublient pas surtout tous les promoteurs de la liberté retrouvée, soit par leur combat littéraire, soit par leurs sacrifices.

*Avocat à la cour - Agréé à la Cour suprême