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Trump, la Fed et l’exemple chinois

par Akram Belkaïd, Paris

C’est à l’un des dogmes absolus de la pensée économique néo-libérale que le président des États-Unis d’Amérique semble vouloir s’attaquer, ce qui, au passage, serait une vraie rupture. De quoi s’agit-il ? Tout simplement de l’indépendance de la Banque centrale américaine vis-à-vis du pouvoir politique.

 On le sait, le président de la Réserve fédérale est désigné par le locataire de la Maison-Blanche puis adoubé par le Congrès. Mais une fois la nomination confirmée, le patron de la Fed bénéficie d’une autonomie quasi-totale même s’il lui faut régulièrement prendre la parole devant les élus américains. Impossible donc, par exemple, que la Banque centrale américaine obéisse au président en ayant recourt, comme sous d’autres cieux, à la planche à billets ...Même chose en Europe où la Banque centrale européenne (BCE) fait ce qu’elle veut (ou presque).
 
Baisse tardive des taux ...
 
 Cela fait plusieurs mois que Donald Trump est en colère contre la Fed et il vient encore de le faire savoir en reprochant à l’institution monétaire sa politique de taux d’intérêt. Pour le président américain, la Banque centrale a augmenté ses taux trop tôt et tarde aujourd’hui à les baisser, son président Jay Powell ayant vaguement indiqué que cela pourrait se faire en septembre prochain. «Ils [les membres du Comité monétaire de la Fed] ne m’ont pas écouté», s’est ainsi emporté le président américain au début de la semaine avant d’ajouter sur la chaîne CNBC : «Ce n’est pas seulement Jay Powell, mais il y a des gens à la Fed qui ne sont pas des nôtres».

 La charge est directe et d’ordre politique. Le «des gens qui ne sont pas des nôtres» laisse entendre que les membres du directoire de la Réserve fédérale sont mus par la volonté de nuire politiquement au président qui est d’ores et déjà en campagne pour l’élection de novembre 2020 laquelle arrive à grande vitesse (les primaires commenceront dans sept mois). Habituellement, l’idée que la Fed est neutre sur le plan politique prévaut. En théorie, sa politique monétaire ne saurait dépendre de considérations électoralistes et viserait à assurer la lutte contre l’inflation et la bonne tenue de la croissance. Oui, mais voilà, Donald Trump a des idées bien arrêtées à propos de la manière dont il faudrait gérer les taux d’intérêts et l’idéal pour lui serait une Fed aux ordres ...
 
L’exemple chinois
 
 D’ailleurs, le président américain ne se gêne pas pour citer «l’exemple» chinois en affirmant, à raison, que le président Xi Jinping ne saurait tolérer que la Banque centrale chinoise prenne des mesures avec lesquelles il serait en désaccord. «En tant que patron de la banque centrale chinoise, Xi Jinping peut faire ce qu’il veut», s’est ainsi plaint le numéro 1 américain. Une sortie qui ne relève pas simplement de considérations générales. En effet, Donald Trump est actuellement obnubilé par le bras de fer commercial avec la Chine et il estime que Pékin utilise la banque centrale pour atténuer les effets des restrictions douanières imposées par Washington. Pour Trump, la Chine injecte des liquidités dans son système monétaire afin de dévaluer sa monnaie de manière artificielle et donc de doper les exportations malgré la hausse des droits douaniers américains.

 Pour autant, on voit mal la Réserve fédérale changer de statut et perdre son indépendance. Donald Trump le sait très bien, mais ses sorties ont deux objectifs : le premier, et non des moindres, est de mettre la pression sur la Fed dont les dirigeants se retrouvent sur la défensive. Le second anticipe une défaite possible dans le bras de fer commercial avec la Chine. Si cela arrive, Trump fera alors de la Réserve fédérale le bouc-émissaire idéal...