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L'Etat et le régime politique sont inséparables: Comme deux frères siamois condamnés à une coexistence hargneuse

par A. Boumezrag*

«On est tous frères, c'est entendu. Mais on n'est pas jumeaux» Louis Pauwel

La science médicale nous apprend que les frères siamois sont issus du même œuf, mais la séparation en deux de l'œuf fécondé ne se fait pas complètement. Les deux fœtus vont alors se développer en restant soudés l'un à l'autre. Quand l'accolement entre les deux n'est pas important, l'anomalie est réversible. Une intervention chirurgicale peut être pratiquée pour séparer les deux jumeaux si aucun organe vital n'est fusionné, comme le bras, le thorax. Par contre, elle est pratiquement impossible lorsqu'elles sont connectées par le cerveau ou le cœur, car les vaisseaux sanguins du cerveau et du cœur irriguent tout l'organisme. C'est la colonisation qui a donné naissance aux classes dirigeantes qui, à la suite d'un processus d'indépendance, ont reproduit médiocrement le modèle des métropoles au dépens de la recherche d'une authentique identité socio-économique et culturelle propre.

En Algérie, Etat et régime sont cimentés par les revenus pétroliers et gaziers. L'existence de clans au pouvoir entretenus par une rente est un obstacle infranchissable devant la construction d'un Etat de droit et d'une économie productive hors hydrocarbures. C'est dire que le pétrole est au cœur du pouvoir en Algérie. Il fonctionne comme une pompe double. Il aspire et refoule des pétrodollars. Il commande la fréquence des battements. Il accélère les battements quand il a peur (baisse des recettes) et les ralentit quand il est détendu (hausse des dépenses). Pour se protéger contre toute attaque cardiaque, des ponctions sont opérées à l'entrée et à la sortie (à l'exportation et à l'importation), chemin faisant, il forme des caillots qui empêchent le sang (les pétrodollars) de circuler dans l'organisme (production destinée à un marché local en priorité) et de s'oxygéner (transformation de la rente en capital). Quand le cœur et les vaisseaux ne fonctionnent pas correctement, les conséquences peuvent être graves et entraîner la mort instantanée.

C'est donc de la santé du cœur que dépend la qualité de la vie en société. Lorsque le cœur est sain, le corps tout entier est sain, et lorsqu'il est corrompu, tout le corps social est corrompu. Le pétrole, est-ce la douceur de la vie ou la mort de l'âme, ou les deux ? Avec un Etat régi comme un appareil administratif et un budget conçu comme une caisse du pouvoir alimentée par des pétrodollars libellés en dinars. Ailleurs, la richesse est créée, en Algérie elle est imprimée. Le transfert du pouvoir perpétuait indirectement le système de dépendance économique et culturelle vis-à-vis de la métropole. Le nationalisme s'est révélé bien souvent qu'un acte illusoire de souveraineté. L'indépendance politique n'avait pas suffi à elle seule à briser les liens de dépendance tissés à travers 130 ans de colonisation. L'Etat centraliste et ostentatoire dérivé du modèle colonial a suscité le régionalisme, les dérives de l'intégrisme de ceux qu'il enferme dans un nationalisme formel. Si la recherche de l'indépendance fut un principe légitime, les pouvoirs mis en place n'ont pas toujours respecté les aspirations populaires qu'elle impliquait.

En effet, depuis 1962, ne se sont succédé que des régimes autoritaires. En juin 1965, un coup d'Etat met un militaire au pouvoir, le colonel Boumediene. Depuis, les militaires n'ont jamais quitté le pouvoir. Pour le colonel Boumediene, l'intérêt de la nation algérienne était de s'identifier à son Etat, par conséquent de le subir. Dans cette optique, il fallait qu'elle puisse l'appréhender avant tout comme un Etat providence en faisant croire à la population que la providence se trouve au sommet de l'Etat et non dans le sous-sol saharien. Le nationalisme illusoire, le socialisme spécifique et le libéralisme débridé, comme idéologies ont joué un rôle primordial dans cette stratégie. Ceci met en évidence les liens existant entre les idéologies et la politique prébendiers. Cette dernière est permise par le développement de la rente énergétique suivi de l'endettement qui sert autant à équiper l'armée, à acheter la paix sociale qu'à financer les infrastructures de base. De plus la disponibilité de la rente pétrolière et les facilités d'endettement ont permis la stabilité globale du personnel politique, car les options ne pouvaient jamais être radicalement remises en cause. Il est frappant d'ailleurs de constater l'absence de réflexions critiques sur les choix économiques internes. Si dans un premier temps, la politique appliquée eut un certain succès grâce à la rente pétrolière, elle a connu par la suite une évolution négative causée notamment par la censure imposée à l'information et par la cécité douteuse vis-à-vis de la corruption impliquant un certain nombre d'officiels. La loi du silence instaurée par le MALG, reconduite par la SM et poursuivie par le DRS s'est imposée à la façade civile de la gestion économique et financière du régime militaire en place. Un régime qui n'a pas pour vocation de construire une économie ou de bâtir une démocratie, mais de se perpétuer au pouvoir.

Les Etats doivent être au diapason des ambitions de leurs peuples qui aspirent à plus de liberté, de justice et de progrès. Les Etats sont le produit des peuples et non des météorites tombés du ciel. Les peuples sont résolus à tourner la page noircie du passé sans la déchirer pour se consacrer à écrire une nouvelle page de leur histoire commune. Rien ne pourra les arrêter, ni la force, ni l'argent, ni la ruse. Vox populi, vox dei.

*Dr.