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22 février, la problématique et la symbolique

par Slemnia Bendaoud

À lui seul, le mois de février est déjà tout un véritable mythe ou un grand symbole ! Quant à lui adjoindre le préfixe quantifié de ce premier chiffre pair, à fortiori doublé, le risque de faire dans l'inédit ou dans le très singulier est encore très présent.

Mathématiquement disqualifié, comparé à ses nombreux semblables, il reste qu'il est le seul mois dynamique et le plus fécond de l'année. Peu fourni certes, en nombre de jours, il n'en demeure pas moins qu'il croît chaque année à une cadence régulière d'un quart de jour !

Et pourtant le niveau de son cumul demeure toujours en-deçà des trois décades reconnues aux autres mois, parmi justement ceux désignés comme les moins pourvus en nombre de jours de l'année. À vrai dire, la question n'a aucun rapport avec le volume horaire ou journalier affiché à son escarcelle.

L'intérêt réside surtout dans sa dynamique continue et durable. Une progression constante et linéaire. Il (l'intérêt) se situe, en effet, au cœur de cette cyclique année bissextile qui régule à la perfection le drastique calendrier de l'humanité. En fait, c'est tout un grand symbole !

Quant à l'autre symbole que véhicule ce jour du 22 février, celui-ci a trait au plus grand chiffre doublé que renferme le mois en question, qui sort de l'antre de cette date désormais mémorable. Le résultat final est que le mois jugé le plus court de l'année demeure assez paradoxalement comme celui le plus fécond, le très dynamique et assez mythique.

En cette ô combien significative journée du 22 février, le mur de la peur de l'uniforme aura été franchi avec un grand succès, des dogmes politiques ont été magistralement démystifiés, la trouille de la terreur des patrouilles de la flicaille a été vaincue avec brio pour manifester dans la rue en toute tranquillité, et les masques pourtant si anciens d'un système despotique, hier encore imposant et très puissant, sont tombés à jamais.

En parallèle, ce sont aussi des voix longtemps étouffées, mais très sincères et légitimes, qui se sont élevées très haut dans le ciel. À l'instar de cet intérêt, aujourd'hui grandissant, affiché avec une très grande fierté envers la politique par la toute jeune frange de la population algérienne, qui manifeste en force sa présence, mais aussi avec fracas et beaucoup de bruit et non moins de dignité.

Ce sont, en revanche, beaucoup de sujets d'actualité qui polarisent à présent l'attention de la population pour la pousser à désormais leur réserver une attention toute particulière et un temps suffisamment important, à l'effet de leur accorder toute l'importance nécessaire qu'ils requièrent ainsi que la réelle place qui est la leur dans leur quotidien.

Il en résulte cette extraordinaire prise de conscience citoyenne, jamais connue auparavant, qui motive les manifestants à toujours aller de l'avant dans leurs marches hebdomadaires, en vue de réaliser cette transition démocratique longtemps espérée et tant rêvée.

La symbolique de la démarche des manifestants s'articule autour d'une vision qui fait dans leur action conjuguée à un double niveau leur seul credo. Ce lien très solide, entre l'existant et ce qui est légitimement espéré ou qui doit impérativement changer, conduit leur raisonnement.

Ils sont conscients qu'ils doivent braver les interdits afin de croire davantage en leur fabuleux destin, battre le pavé sans discontinuité pour mieux manifester leur refus catégorique des hommes au pouvoir et leurs promesses trompeuses, marquer leur rupture définitive avec les pratiques du passé à l'effet de préparer leur Avenir dans les meilleures conditions. Celles qui les conduisent inévitablement à la réussite de leur mouvement.

Sur le plan purement pratique, ils ont déjà scellé le sort des acteurs politiques encore agrippés à la haute sphère du pouvoir et les membres de son rejeté gouvernement qui officient loin de toute légitimité : à la mise en quarantaine subtile et tactique de la gouvernance de fait du pays s'ajoute, en effet, ce caractère très «clandestin» et «usurpateur» qui lui dénie encore toute hypothétique légalité pour carrément douter de son autorité et autre utilité au profit de la communauté !

Le jeu est déjà à la base bien verrouillé. Et des deux côtés ! Alors que le pouvoir imbu de ses nombreux privilèges se borne à toujours solidement se cramponner à sa toute obligatoire « solution constitutionnelle », seule à même de lui permettre de garder la main sur une transition sur mesure, à laquelle il lui tracera la trajectoire qui lui sied ; le Hirak lui oppose, cependant, une solution plutôt radicale qui met sur le carreau (ou entre parenthèses) tous les hommes du passé, chaque jour un peu plus dénoncés et vivement décriés par la Rue.

C'est à ce niveau-là que se situe réellement la véritable problématique. La vraie démarque ! Et tout le reste ne relève, en effet, que de leur stratégie de positionnement quant à la forme du changement à opérer et à la nature du but à atteindre, à travers ce « bras de fer très diplomatique » qui se déroule dans un climat plutôt serein, pacifique, apaisé et très civilisé.

Cependant, le peuple demeure la seule locomotive de tout jeu démocratique, réel, efficace et bien transparent. Acteur principal et incontournable de la donne politique, il en constitue sans conteste sa véritable colonne vertébrale, en sa qualité d'unique détenteur de sa légitimité et vecteur indispensable de l'alternance au pouvoir, via des élections libres et transparentes.

De cette légitimité naîtra la légalité, au nom de laquelle sont pondues toutes les lois de la République - dont celle dite fondamentale - et définira tous les droits et devoirs citoyens, envers des tiers et les institutions du pays.

Ainsi donc sont tracés les vrais contours de la problématique.

Et lorsque ce peuple-là décide de passer outre la Constitution en vigueur, il en a le plein droit. Lui, le très Souverain. Il le réalise dans la perspective de lui substituer une toute autre, après avoir triomphé des écueils ou évité des situations périlleuses qui se dressent sur son chemin.

C'est dans ce cas de figure très précis et en ces termes-là que se pose, en effet, présentement la problématique algérienne. Pourquoi alors cherche-t-on au sein de la plus haute hiérarchie de la gouvernance du pays à toujours circonscrire la solution à lui apporter dans la seule zone périphérique d'une Constitution dont ce même peuple ignorait pourtant, jusqu'à un temps pas si lointain, ses tenants et ses aboutissants, pour avoir été justement tenu à l'écart de sa confection et mise en application ?

Tout le jeu politique fourbe, rusé, osé, hypocrite et malsain se trame dans les travées de ces considérations de nature à justement empêcher par des pratiques éculées et spéculatives une saine et très ordonnée transition démocratique. Elles en constituent le nœud gordien de la problématique.

Voici donc évacuée en si peu de mots la problématique de la question abordée de manière vraiment succincte et très synthétisée. Reste maintenant à tirer la nécessaire symbolique qui en découle pour évaluer son impact réel sur la vie quotidienne du citoyen algérien.

À l'origine, la symbolique est intimement attachée à ce mois de février, véritable régulateur du temps de l'humanité, de toutes les saisons de l'année et de l'espace temporel géographique et astronomique. Il en est le verrou calendaire indispensable au plan purement comptable, sans lequel tout se perd en conjectures et le monde perd le Nord.

Février est aussi ce mois des grands défis, du profond ressourcement aux bonnes valeurs et à la grande Histoire et culture de la Nation, du progrès continu et des espoirs plus que certains en des lendemains bien meilleurs.

C'est durant ce même mois qu'éclosent déjà tous les bourgeons des grandes espérances et des belles fleurs aux très bonnes senteurs. Il est à l'origine de toutes les possibles greffes qui réhabilitent les plantes et redressent la forme des arbres pour donner tous ces fruits succulents dont se nourrit l'humanité.

Il est à la croisée de ces chemins de l'espoir où se décide justement le destin des peuples en quête de plus liberté et de démocratie. Le peuple algérien en fut bien conscient et s'en est saisi à la volée de cette inestimable occasion. Pour mener tambour battant le rituel de son combat dans ses marches pacifiques, des fleurs à la main et le sourire jusqu'aux oreilles.

Il a su brillamment exprimer sa grande colère dans ces moments de grande joie, et de paix, qui ne pouvaient que lui susciter l'admiration de tous les peuples du monde, pour la grande leçon de démocratie qu'il vient d'administrer aux tenants du pouvoir.

L'Algérie a toujours été contrainte de naître aux forceps. Dans la douleur et le sang, mais aussi par la sagesse de ses réflexions et la vision éclairée de la lumière de ses idées. Son combat pour l'indépendance du pays a été très douloureux. Celui engagé au profit de la liberté de son peuple a plutôt choisi cette voie pacifique qui montre que l'Algérie est aussi à l'aise dans celui des idées que dans celui qui fait appel au fusil.

Même si dans le fond tout change en fonction du terrain où se déroule la bataille, il reste que la stratégie adoptée demeure pratiquement la même pour ce peuple rebelle et fier. C'est sa soif de liberté qui a toujours déterminé la nature de sa lutte. À travers sa longue Histoire, il en a toujours été ainsi. Et ce n'est pas dans ce « combat intra-muros » au profit de la démocratie qu'il va justement changer de comportement ou de méthode de défense.

L'élite de la société algérienne, en dépit de sa marginalisation, exclusion et autre vile ou servile domestication, a toujours su se transcender dans les moments décisifs pour renaître de ses tripes et allumer à nouveau cette flamme de l'espoir qui met du baume dans le cœur des citoyens pour y attiser le feu de la révolte et la poursuite de leur combat à mener au profit de la démocratie.

Le « sablier temporel » est pour eux cette mesure du temps qui s'écoule allègrement, qui fait aussi mal qu'un acte de torture qui tue l'être humain à petit feu. La tyrannie en est d'ailleurs cet exemple-type qui symbolise cette douleur meurtrière qui attente à la vie citoyenne.

À sa manière, ce « sablier temporel » torture l'esprit et terrorise l'individu, au point de le faire complètement douter de ses propres convictions et autres pourtant très anciennes certitudes. Les jeunes d'aujourd'hui en sont très conscients.

Ces derniers savent tous que leur destin se joue maintenant. Ils savent aussi qu'ils sont ce combustible préféré de toute Révolution. Le combat de leurs aînés au profit de ce même idéal résonne encore dans leur mémoire comme cet hymne du sacrifice au profit de leur chère Patrie.

Ils sont bien conscients qu'ils constituent cette énergie qui attise les flammes de la Révolution et qui ravive ses braises pour laisser toujours allumée cette lueur d'espoir de triompher de la dictature d'un pouvoir tyrannique et despotique. Ils sont au cœur de ce brasier qui produit le feu vif d'un espoir certain qui retentit aussi fort qu'un boulet de canon sur un champ de bataille.

Leur combat symbolise cette intelligence qui défie l'inefficience des mots d'une langue de bois pour vaincre la bêtise des gouvernants du pays. Dans leur bras de fer engagé dans l'optique de réaliser une transition démocratique, ils ont fait preuve de beaucoup de sang-froid et d'une très grande intelligence dans leur action et comportement.

Dans ce stand-by un peu étrange, le pouvoir - dans sa logique de pensée insensée - résiste, le peuple - dans sa voie légitime - persiste, et le Hirak - dans sa marche hebdomadaire - insiste quant à la poursuite de son combat pour la démocratie et les libertés collectives et individuelles.

Le charme discret de la modestie mais aussi du « fair-play » subtil des manifestants fait découvrir au monde ces artisans de la « Révolution du sourire » qui cherchent à vivre dans la dignité et le respect dû à autrui et aux lois de la République.

La liberté est pour l'existence de la pensée ce que l'air est pour le corps. Voilà pourquoi on sacrifie toute une vie pour un aussi noble symbole de notre dignité. Le cœur battant de cette jeune génération vibre au rythme de ces avancées démocratiques qui marquent de leur sceau son quotidien.

Le peuple algérien a aujourd'hui gagné en maturité. Il a muté. Il a aussi appris à lutter. Il sait scruter sa mémoire pour entrevoir la voie de son Avenir. Victor Hugo ne disait-il pas que : «Pour faire une Révolution, il faut Le Peuple» ?