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Messali Hadj (1898-1974) : ce titan enchaîné

par Mourad Benachenhou

« Mes frères, il ne faut pas dormir sur vos deux oreilles maintenant et croire que toute l'action est terminée, car elle ne fait que commencer.» ( Messali Hadj Discours au Stade Municipal d'Alger, 2 Août 1936)

Le legs politique que Messali Hadj a laissé au peuple algérien est d'une richesse et d'une profondeur telles que, jusqu'à présent, aucun homme politique algérien, mort ou encore en vie, n'a réussi à l'égaler. La propagande, si sophistiquée si persistante soit-elle, peut fabriquer artificiellement l'image d'un homme politique, image qui n'a rien à voir avec ce qu'il est en réalité. Elle peut même tenter de ternir l'image d'un homme politique du génie de Messali, mais elle ne peut effacer ni ses idées, ni son action.

Le message de messali encore plus d'actualité dans ce temps de grande tourmente

Le message de Messali est encore plus d'actualité maintenant qu'il n'a jamais été. Le rappel de certains de ses écrits et de ses programmes le prouvera. En fait, ce que demande le Hirak, sans le savoir probablement, c'est de mettre en application les revendications politiques exprimées par Messali Hadj il y a bien des générations de cela. On comprend pourquoi son nom a été frappé d'opprobre pendant plusieurs décennies et que beaucoup ont tenté de l'effacer de l'histoire d'une Nation pour laquelle il a tant fait. Toute son action ait eu pour but de libérer l'Algérie du système colonial, mais également d'instaurer à sa place une vraie démocratie. Il fut, donc, par sa pensée, le premier opposant au régime politique qui domine le pays depuis 1962.

Que ses adversaires le reconnaissent ou pas, ce fut un homme dont la personnalité , faite à la fois d'une détermination d'acier, d'une intuition politique sans défaut, et d'une capacité d'analyse et d'expression hors du commun, continue à dominer par son ombre la scène politique actuelle, malgré les tentatives maintes fois recommencées, de le faire disparaitre une fois pour toutes de l'histoire de la Nation algérienne, ou de minimiser son rôle.

Il n'y a aucune des idées pour lesquelles il s'est battu sans relâche, autour desquelles il a réussi à mobiliser un peuple aussi désuni et aussi divers que le peuple algérien, écrasé par la domination coloniale implacable, qui ait perdu de son actualité.

L'Algérie a encore autant besoin de renouer avec le nationalisme que quand Messali Hadj a lancé, en 1927, l'idée, considérée folle et irréaliste, de l'indépendance nationale, alors que le système colonial, qui semblait alors invincible et éternel, se préparait à célébrer, avec faste, le premier centenaire de son invasion de l'Algérie.

Dans ces temps de trouble, de transition vers un futur encore vaguement dessiné, on a besoin qu'émerge un homme de sa trempe, un «sans grade,» et «sans diplômes,» ni «titres universitaires,» sans aucune «médaille,» officielle, sans d'autre « profession fixe » que la mission qu'il s'était donné de libérer le pays des griffes du colonialisme, qui a été capable, plus que tout intellectuel de haut calibre, d'exprimer les aspirations d'un peuple réduit à la misère et à l'ignorance, écrasé sous le joug d'un système colonial qui l'avait rendu étranger dans son propre pays. Faut-il rappeler que même la qualification d'Algérienne et d'Algérien était réservée exclusivement aux populations coloniales, la population locale ne méritant aucune autre appellation que celle «d'indigènes ?»

Peut-on faire disparaitre la Lune sans détruire la Terre ?

Tenter d'écrire l'histoire de l'Algérie sans mentionner Messali Hadj est aussi absurde que tenter de décrire le système solaire sans mentionner la lune. Ce qui a caractérisé le parcours de Messali Hadj, c'est sa constance pendant les 27 années où il a dominé la scène politique nationaliste algérienne. Du premier discours qu'il a prononcé à Bruxelles en Février 1927, à sa mise à l'écart dans des conditions qui restent encore à éclaircir, il n'a pas modifié d'un iota sa ligne de pensée ou les objectifs pour lesquels il se battait, malgré la misère matérielle dont lui et sa famille souffraient, malgré les menaces que faisait peser sur lui l'oppression coloniale, malgré ses multiples emprisonnements, malgré les limitations à ses activités par des services de police coloniale particulièrement efficaces, malgré les multiples trahisons dont il a été victime de la part de ses compagnons qui lui devaient tout, tant leur éveil aux idées nationalistes, que leur apprentissage du militantisme et de la clandestinité combattante, que leur parcours politique jusqu'aux cimes du pouvoir, puis à la déchéance, juste châtiment de leur trahison contre lui.

Sans Messali Hadj, l'Algérie aurait-elle jamais été indépendante ?

Qu'aurait été le mouvement nationaliste sans le leadership de Messali Hadj ? Peut-on faire de l'histoire-fiction et imaginer un peuple algérien sans leader de la trempe de cet homme déterminé face à un système colonial puissant et bien assis ?

Sans aucun doute, un autre homme aurait fini par apparaitre, mais l'histoire de l'Algérie aurait pris une autre tournure, et l'indépendance serait encore un simple rêve. Messali Hadj fait partie de ces hommes qui, non seulement, changent le cours de l'histoire, mais l'accélèrent aussi. Il n'a pas fait semblant d'être un combattant, laissant aux autres tous les risques, et se complaisant dans un confort matériel payé par les cotisations de ses compagnons. Il a accepté autant de risques que n'importe quel militant de base, et a refusé tout compromis, toute compromission avec le système colonial qu'il combattait.

Il n'y a pas une tâche dans son parcours qui prouverait, qu'à un moment donné ou un autre, il aurait été tenté de chercher à s'accommoder, sous quelque forme que ce soit, avec les autorités coloniales, ou de s'atteler à gagner leur approbation ou leurs décorations, ou l'allègement des peines qu'ils lui ont infligées, en contre partie d'un assouplissement de ses positions anti-colonialistes. En cela, il est l'exemple même de l'homme politique intègre, franc, n'ayant jamais caché ou dilué ses idées pour plaire au pouvoir en place et gagner ses faveurs.

Pas un brin de fourberie ou de duplicité chez Messali !

Pas un grain de duplicité chez lui, ou de fourberie, tant envers les membres de son organisation, qu'envers le système colonial.

On peut comparer son parcours et son comportement, non seulement à celui des hommes de culture et des hommes politiques qui ont vécu à la même période que lui, mais également à ceux de cette époque troublée, où la fourberie et la duplicité sont devenues des comportements considérés comme normaux et méritant les applaudissements, et même un destin national.

Aurait-il accepté de se gagner les faveurs de l'administration coloniale pour obtenir un poste de caïd ou bachagha, puis ensuite aurait tiré profit de la renommée que ces positions lui auraient donné, pour se retourner contre cette administration ?

Il n'a jamais fait secret de ses convictions ou de ses objectifs auxquels il est resté fidèle contre vents et marées, avec une inflexibilité et un courage à la fois physique, intellectuel et politique sans faille.

Combien d'hommes politiques actuels seraient capables de cette détermination que ne tente aucun bien matériel, aucun honneur gagné par le déshonneur ?

Si le Hirak refuse d'être représenté par cette foule de «personnalités » qui tentent de gagner sa confiance, c'est, parce qu'à juste titre, il ne reconnait en aucun d'entre eux cette haute moralité qui doit caractériser le leader, et à laquelle Messali Hadj a été fidèle toute sa vie.

Une crise à la fois politique et morale qui éxige le retour aux valeurs messalistes

La crise actuelle est autant une crise politique et sociale qu'une crise morale, et la corruption a atteint toute la classe politique, qu'elle se dise à la disposition du pouvoir en place, ou qu'elle se mette dans les rangs de l'opposition, après avoir goûté aux délices d'un système politique qui a fini par se transformer en entreprise criminelle, gérée par un groupe mafieux qui disposait « d'un peuple, d'un territoire, d'un drapeau, d'un gouvernement, d'une administration, et de la reconnaissance internationale.» Il est quasi impossible pour un homme politique algérien de prouver qu'il n'a pas été corrompu par le système qu'il a accepté de servir avec servilité avant de se retourner contre lui lorsqu'il a été éloigné du garde manger du pouvoir. On en voit beaucoup ces derniers temps tenter de prouver leur virginité, et décrits comme encore plus « blancs que blancs » et prêts et disposés à reprendre du service. De qui se moque-t-on ? Peut-on avoir fait partie d'une groupe mafieux, et dont les crimes sont peu à peu dévoilés, et jurer de son innocence ?

C'est soit le comble du cynisme, soit le comble de la fourberie. Messali, quant à lui, a un passé dont aucun détail ne détonne. Il a été toujours fidèle à lui-même, que ce soit face au système colonial, ou aux ennemis de sa propre famille politique qu'il n'a jamais reniée, alors qu'elle l'a banni et couvert de boue.

Le centenaire de La Déclaration de Bruxelles doit être célébré

Il est à espérer qu'en 2027, Messali sera enfin libéré de ses chaines, ce Titan que nous envient beaucoup de peuples, mais que les membres les plus éclairés de son peuple continuent à vouer aux gémonies, alors que, sans son action, sans sa pensée puissante, sans son dévouement à la cause nationalisme, l'indépendance de l'Algérie aurait un simple rêve irréaliste et irréalisable.

Que sera l'Algérie en 2027 ? Nul ne le sait, car, jamais depuis l'indépendance acquise par le feu et le sang, le futur de notre pays n'a été aussi difficile à conjecturer, malgré l'optimisme qu'a fait naitre le mouvement populaire pacifique actuel, qui ouvre l'Algérie à de nouveaux horizons prometteurs.

Pourquoi 2027 ? Ce qui est certain, parce que gravé pour l'éternité dans notre histoire, et donc impossible à effacer ou à nier, c'est que cette année 2027 marquera le centième anniversaire du fameux discours de Messali Hadj ,prononcé devant le Congrès Anti-Impérialiste de Bruxelles,(10-15 Février 1927) qui avait réuni 175 délégués, dont 107 de colonies occidentales. C'était la première fois qu'un leader politique algérien réclamait publiquement l'indépendance de l'Algérie.

Des textes historiques qui prouvent le rôle central de Messali Hadj dans le mouvement nationaliste algérien et l'actualité de ses idées politiques

Il faut laisser les textes historiques de l'époque parler, sans autres commentaires.

Critique directe et claire du système colonial

Voici comment Messali Hadj a décrit devant cette audience internationale, la dramatique situation du peuple algérien :

«L'impérialisme français s'est installé en Algérie, par la force armée, la menace, les promesses hypocrites. Il s'est emparé des richesses naturelles et de la terre, en expropriant des dizaines de milliers de familles qui vivaient sur leur sol du produit de leur travail. Les terres expropriées ont été cédées aux colons européens, à des indigènes agents de l'impérialisme et aux sociétés capitalistes [...].C'est au nom de cette soi-disant civilisation que toutes les traditions, les coutumes, toutes les aspirations des populations indigènes sont foulées aux pieds [...].A cela s'ajoute l'abêtissement systématique obtenu par l'alcool, l'introduction de nouvelles religions, la fermeture des écoles de langue arabe existant avant la colonisation. Et enfin, pour couronner son œuvre, l'impérialisme enrégimente les indigènes dans son armée en vue de poursuivre la colonisation, pour servir dans les guerres impérialistes et pour réprimer les mouvements révolutionnaires dans les colonies et dans la métropole. (cité par Kaddache Mahfoud, Histoire du nationalisme algérien, tome II, 1939-1951, Ed. Paris-Méditerrane, Paris, 2003, page 849)(1)

Revendication de l'Indépendance de l'Algérie

Et voici les revendications du peuple algérien qu'il a demandé au Congrès anti-colonialiste de Bruxelles de faire siennes:(2)

L'indépendance de l'Algérie ;

Le retrait des troupes françaises d'occupation ;

La constitution d'une armée nationale ;

La confiscation des grandes propriétés agricoles accaparées par les féodaux, agents de l'impérialisme, les colons et les sociétés capitalistes privées, et la remise de la terre confisquée aux paysans qui en ont été frustrés ;

Respect de la petite et moyenne propriété ;

Retour à l'Etat algérien des terres et forêts accaparées par l'Etat français.

Ces revendications essentielles pour lesquelles nous combattons n'excluent pas l'action énergique immédiate pour arracher à l'impérialisme français :

L'abolition immédiate du Code de l'indigénat et des mesures d'exception ;

L'amnistie pour ceux qui sont emprisonnés, en surveillance spéciale, ou exilés pour infraction à l'indigénat ;

Liberté de presse, d'association, de réunion ;

Droits politiques et syndicaux égaux à ceux des Français qui sont en Algérie ;

Le remplacement des Délégations financières élues au suffrage restreint par une Assemblée nationale élue au suffrage universel.

Assemblées municipale élues aux suffrages universels ;

Accession à l'enseignement à tous les degrés ;

Création d'école en langue arabe ;

Application des lois sociales ;

Elargissement du crédit agricole au petit fellah, etc.

Ces revendications n'ont de chances d'aboutir que si les Algériens prennent conscience de leurs droits et de leur force, s'unissent et se groupent dans leurs organisations pour les imposer au gouvernement. » (déclaration de Bruxelles, Février 1927)

Election d'une Constituante

Cette revendication, propre à Messali, fait partie intégrante, dés 1933, du programme de l'Etoile Nord Africaine, alors sous la présidence de ce leader :(2)

1. L'indépendance totale de l'Algérie ;

2. Le retrait total des troupes d'occupation ;

3. Constitution d'une armée nationale ;

Gouvernement national révolutionnaire ;

1. Une assemblée constituante élue au suffrage universel ;

2. Le suffrage universel à tous les degrés et l'éligibilité dans toutes les assemblées pour tous les habitants de l'Algérie (Programme de l'Etoile Nord-Africaine Assemblée générale tenue à Paris mai 1933)

En conclusion

Il ne s'agit ici nullement d'un plaidoyer pour la « réhabilitation » de Messali Hadj. Qui peut prétendre jouir d'une exemplarité sans tâches pour parler de « réhabiliter » un homme, qui a joué un rôle inégalable et irremplaçable dans la libération du pays, et dont le seul crime est d'avoir été trahi par ses compagnons de lutte ?

Mais simplement de réclamer qu'il trouve sa place largement méritée, pleine et entière, dans le panthéon des grands hommes de ce pays, de rappeler sa grandeur et d'encourager les élites intellectuelles et politiques, parées de titres, dont la liste pourrait couvrir des pages entières, de s'inspirer de son combat et de sa fortitude sans tâches, de son refus de tout compromis et de toutes compromission avec l'occupant colonial, et de faire de sa vie un exemple à suivre,

C'est à cette seule condition de redressement moral, prenant en exemple, la vie de Messali, que cette élite, elle-aussi partie du système, qu'elle voudrait mettre à bas après l'avoir servi sans état d'âme ou l'avoir exploité sans réserve, pourrait reprendre sa place au devant des masses populaires, assoiffées de renouveau moral autant que de de liberté dans un état de droit réel.

D'autant plus que, comme le prouvent les documents cités plus hauts, toutes les idées et les programmes pour lesquels cet homme s'est battu sont encore d'actualité, plus de quatre vingt dix ans après qu'il ait commencé sa carrière de leader politique. Qui, parmi cette élite ou ceux qui manifestent depuis 14 semaines, ne se reconnaitrait pas dans ces revendications, qu'aucune ride du temps n'a touchées ?

Il n'est que justice que soit organisée une célébration grandiose du centenaire de la déclaration de Bruxelles, par laquelle Messali a revendiqué l'indépendance de l'Algérie et a mis sa carrière militante au service de cette cause, dont l'aboutissement a permis au peuple algérien d'échapper à la nuit coloniale, et a créé la condition si ne qua non de l'émergence de cette élite qui maintenant ne trouve pas mieux que de continuer à jeter de la boue sur son libérateur, ou à tenter de minimiser son rôle, ou même de le faire simplement disparaitre de l'histoire de notre pays.

(1) http://www.ism-france.org/analyses/Le-Congres-anti-imperialiste-de-Bruxelles-1927-ou-l-union-des-peuples-des-Trois-continents-article-13428

(2)Messali Hadj Par Les Textes, Documents choisis et présentés par Jacques Simon, https://jugurtha.noblogs.org/