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Dialogue et partis politiques: Et maintenant ?

par Ghania Oukazi

L'appel au dialogue relancé dimanche dernier par le chef de l'Etat est rejeté dans le fond et la forme par les partis politiques opposants et aussi par la rue qui dit toujours «non à Bensalah».

Mercredi dernier, le chef d'état-major, à partir de la 5ème Région militaire, appelait au dialogue «avec tous les acteurs nationaux» pour «une solution consensuelle de sortie de crise». Dimanche dernier, le chef de l'Etat s'adressait pour la deuxième fois à la Nation pour lui transmettre ses vœux de bon ramadhan mais surtout pour tenter de convaincre toutes les franges de la société de se mettre autour d'une table pour s'entendre sur «les modalités et moyens d'organisation de l'élection présidentielle, du 4 juillet prochain». Hier, la réponse de la rue à l'appel des deux responsables a été claire. «Non à Bensalah» oui pour «une personnalité consensuelle». Elle l'a fait par la voix des étudiants qui sont sortis pour leur 11ème mardi, relayant ainsi le «hirak» des vendredis en rappelant ses revendications «non négociables» entre autres celle en prime du «départ de tous les symboles du système». Depuis qu'il s'est retrouvé dans «l'obligation» avait-il insinué d'occuper le poste de chef de l'Etat, Abdelkader Bensalah pêche par défaut puisqu'il est devenu «le relais» constitutionnel dont a besoin Gaïd Salah pour convaincre de sa volonté de rester «légaliste». L'on assiste à un véritable dialogue de sourds entre les responsables institutionnels et leurs opposants. Pour ne pas être vus aux côtés «des symboles du pouvoir», les partis politiques soufflent le chaud et le froid, en rejetant Bensalah mais en acceptant Gaid Salah. Le président de Jil Jadid l'a bien expliqué, hier, à la radio nationale. Sofiane Djilali a affirmé qu'il faille «aller vers des négociations avec le véritable détenteur du pouvoir». Tout le monde sait, a-t-il dit que «le pouvoir a été transféré de la présidence vers l'état-major de l'armée». Il a précisé que «(...), il faut travailler avec le réel et pas sous couverture avec des fuites et des positions toujours embrouillées». Il défonce des portes ouvertes en constatant que «nul n'est dupe, tout le monde sait que le centre de décision est au niveau de l'armée».

L'opposition souffle le chaud et le froid

Le président de JJ pense qu'il faut «organiser une phase de transition qui soit assez courte pour permettre une mise en place des conditions idoines pour aller vers des élections et légitimer de nouveau un président de la République qui pourra lui, par la suite, entamer les réformes dont a besoin le pays». Parce que, ajoute-t-il, «je ne comprends pas que le chef d'État propose, à chaque fois, de retourner à un dialogue pour imposer l'élection du 4 juillet, alors que les conditions ne sont absolument pas réunies (...)». Il est convaincu que «si le pouvoir impose une élection le 4 juillet, cela signifie qu'il a un candidat caché qu'il va nous le faire apparaître en un clin d'œil et nous l'imposer au nom du respect de la Constitution». Avant lui, le président du MSP avait salué «toute démarche sérieuse vers le dialogue rassembleur et large accompagné et sous l'égide d'institutions crédibles». Mais sa condition première est de vite «satisfaire les revendications du peuple algérien exprimées lors du ?Hirak' et les propositions logiques de l'élite et des partis politiques, et chercher les espaces communs permettant de réussir la transition démocratique douce, tout en continuant à combattre la corruption». Abderezak Mokri ne voit pas, encore, où sont «les espaces (communs)» pour discuter, se concerter et trouver des solutions à la crise politique. Il attend de voir comment les choses vont-elles évoluer et si Gaïd Salah se sépare-t-il de son «cadre constitutionnel qui est Bensalah». Le FJD n'en démord pas. Lundi dernier, son président Abdallah Djaballah a noté, encore une fois, que «Bensalah devrait démissionner parce que c'est un président illégitime, il n'est pas reconnu par le mouvement populaire». Le président de Talaie El Houryet avait parlé d'«impasse» qui est, selon lui, «clairement identifiée (...), résultante d'une divergence profonde entre le processus actuellement conduit dans le cadre strict, intégral et exclusif de l'article 102 de la Constitution, et les demandes légitimes de la révolution démocratique pacifique, en marche dans notre pays». Ces propos, Ali Benflis les adresse à Gaïd Salah tout en ignorant Bensalah. Il s'est d'ailleurs carrément moqué de son offre de dialogue du 22 avril dernier. Le Parti des Travailleurs pense lui que «ce dialogue n'incarne pas les revendications populaires» et il n'est pas question de l'ouvrir «avec les mêmes symboles du système». Le parti de Louisa Hanoun estime que «la population attend davantage, à savoir un changement radical, le départ de tous les symboles du système en place sans exception».

Les protagonistes veulent gagner du temps

Entre la période de transition que revendiquent des partis et la mise en place d'une constituante que veulent notamment le FFS et le PT qui en font leur cheval de bataille depuis toujours, les 90 jours de Bensalah se rétrécissent pour en devenir à peine un peu plus qu'une cinquantaine.

Le chef d'état-major de l'ANP attendra probablement vendredi prochain pour réagir même s'il est avancé par des milieux «informés» que Bensalah pourra démissionner dès que «la personnalité constitutionnelle» sera préparée pour prendre la main par un procédé que le Conseil constitutionnel aura trouvé. Les décisions fracassantes du pouvoir interviennent en général juste après le ?hirak'. Gaïd Salah prendra alors la parole pour en faire une preuve tangible de sa volonté de «se tenir aux côtés du peuple» et de satisfaire ses revendications. Il faut avouer que dans ce contexte d'embrouille politique, les protagonistes en scène gagnent tous du temps. Le Haut Commandement de l'Armée veut du temps pour éliminer ses adversaires et les partis politiques en veulent pour voir, un peu plus clair, et se positionner en conséquence. Des moyens de pression autres que politiques pourraient cependant être brandis pour les amener à la table du dialogue et non de «la négociation» comme le revendiquent certains d'entre eux. Dans une de ses interventions, Gaïd Salah a bien noté parmi les délits de corruption, le financement de partis politiques par l'argent sale. Il semble que cette référence ne concerne pas que le FLN et le RND. En ces temps de justice express, l'état-major de l'armée peut remonter dans le temps pour revoir les fichiers de ceux qui sont nés à l'ombre des généraux et avec la bénédiction du DRS, dans sa configuration des années 90. Pour ceux des politiques qui sont nés plus récemment, il suffit de rappeler la fameuse phrase de Bouteflika, alors président de la République dans son discours d'ouverture de l'année judiciaire en décembre 2011. «Puisque la démocratie veut qu'il y ait des partis microscopiques, alors allons-y pour des partis microscopiques». Il instruira à partir de 2012, son ministre de l'Intérieur pour délivrer des agréments à plusieurs formations politiques dont certaines ont été pourvues en «militants» par leurs grands frères, partis du pouvoir et sous le contrôle du clan Bouteflika.