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Entendez-vous l'égosillant khawa-khawa?

par Rachid Guerbas*

Nous vivons tout à la fois des heures glorieuses et fort inquiétantes ! Et ce lamentable mélodrame n'a pas fini de nous écœurer ! Diversions ? Règlements de compte ? Mise en scène pour diviser les rangs de cette révolution pacifique ? Même si ces stratégies sont éculées pour avoir tant servi, l'extrême vigilance reste de mise et toutes les sirènes et le strident tintamarre du casserolier devraient nous laisser de marbre et entièrement et seulement concentrés sur l'essentiel. Faisons de ces burlesques développements un non-événement ! Et gardons l'horizon clair de toutes les pollutions : tous ceux qui ont permis les 3ème et 4ème et ont activement appelé au 5ème mandat doivent rendre des comptes pour l'innommable humiliation faite à notre Algérie, devenue la risée de la scène internationale. Tôt ou tard. Et face à une justice digne de ce nom ! Et à l'opposé de celle expéditive et donnant en pâture à la population quelques sommités à sacrifier. Bien inquiétante est cette dérive autoritaire...

Que ce système croit nous tromper en faisant sauter quelques fusibles ou en arrêtant tel ministre ou tel homme d'affaires est la preuve la plus nette de sa profonde forfaiture : pour cette bande mafieuse le peuple est une abstraction à mépriser en la trompant avec un simulacre de justice !

Arrêtons de nous tromper nous-mêmes et débarrassons-nous de toute illusion : l'armée n'est pas la solution, et avec cette équipe à sa tête elle aggrave le problème !!!

Enfant, j'assistais épouvanté au tabassage en règle de Abderrahmane El Japonais par des militaires pour n'avoir pas baissé ses yeux lors de leur passage. Ils l'ont traîné du cinéma Le Club jusqu'à la caserne ! Comment oublier un autre abject tabassage, celui du père Smati pour la simple raison qu'il a gentiment et respectueusement osé manifester son mécontentement face au harcèlement de ses filles par ces militaires...          

D'autres enfants aujourd'hui sexagénaires et dans d'autres villes gardent les horribles stigmates de scènes similaires et dont les hurlements des malheureuses victimes hantent nos nuits !  L'inatteignable autorisation de sortie du territoire national aidant, nous n'avions plus que nos rêves pour seule échappatoire à cet oppressant univers. Et l'onirisme d'adolescents d'un pays sans armée et son colossal budget réparti entre l'éducation et la santé de ses citoyens...

Très tôt s'est imposé à moi le marqueur existant entre pays civilisés et contrées arriérées. Pour ces dernières, l'armée se réduit à une seule fonction : assujettir sa propre population. Au sortir de l'adolescence et en voyant de jeunes bacheliers s'orienter vers la carrière militaire, je me suis mis à espérer l'avènement d'une institution militaire dirigée par une autre génération et bien plus attachée aux actes fondateurs de 1954 et aux principes de la Soummam adoptés par les chefs de la Révolution lors du Congrès d'Ifri Ouzellaguène le 20 août 1956.

Où en sommes-nous du principe de la primauté du civil sur le militaire ? La malédiction semble nous suivre tant que nous ne respecterons pas ce pour quoi se sont sacrifiés nos chouhada. Tant que les imposteurs utilisent ce sacrifice comme un fonds de commerce ! Je ne saurais assez remercier mon grand frère, militaire lui-même, d'avoir réussi à tempérer mon intrépide et juvénile révolte en m'éclairant quelque peu sur l'histoire de l'armée algérienne, sa réalité et sa vitale nécessité.

Cette entreprise pédagogique eut lieu à son retour de la Guerre des Sables de 1963. Il m'a totalement convaincu du lien de fraternité indélébile entre cette institution et son peuple. Sans pour autant occulter l'histoire de mon cousin germain Mhamed Saâd monté au maquis et liquidé par les siens dans la fleur de l'âge pour la simple raison qu'il était instruit et cultivé ! Comme tant d'autres Mhamed !

Il m'expliqua que le colonialisme a plongé notre peuple dans les abîmes de l'ignorance. Et reprenant l'Emir Abdelkader, il ne cessait de citer ce leitmotiv : « Que l'ignorance engendre de maux ! ». Imputant par déduction toutes ces criminelles dérives au colonialisme et transformant les mains fratricides en victimes de cet ordre inique. Pour se convaincre lui-même de cette singulière explication, il brandissait son optimiste en répétant sans cesse que l'Algérie indépendante luttera de toutes ses forces contre le fléau de l'ignorance et de l'illettrisme pour mettre à la tête des vrais pouvoirs notre brillante intelligentsia...

Impressionné par la solennité de ce ton nouveau que je ne connaissais guère à ce frère impétueux et d'un courage si légendaire qu'on le surnommait Mohamed la Terreur, et respectueux des années nous séparant l'un de l'autre, j'acceptais sans sourciller ses laborieuses explications. J'appris plus tard la raison de cette nouvelle tonalité : la perte douloureuse de ses amis durant la sale Guerre des Sables.

D'autres temps et mêmes lieux

L'actuel louvoiement et l'attentisme teinté de bien menaçantes allusions de son commandement sont dégradants pour notre armée. Et notamment pour les officiers patriotes, honnêtes et courageux qui assistent incrédules à ce lamentable spectacle ! Ces jeunes officiers instruits, formés et cultivés ne doivent plus accepter l'inacceptable aussi bien pour notre patrie, notre armée que pour eux-mêmes. Il y va de leur honneur de rejoindre le peuple afin de relever les défis d'aujourd'hui : participer activement à l'instauration d'une démocratie réelle, seule garante de la stabilité et de la sécurité de notre chère patrie. Aux politiciens la chose politique et à notre armée la sécurité du pays. Dans une lumineuse transparence le khawa - khawa prendrait ainsi tout son sens. On renouerait de la sorte aussi bien avec les principes fondateurs de la Soummam qu'avec les articles 7 et 8 de la Constitution tout en orientant la vraie première république de notre pays vers le concert des nations du XXI siècle et à ses défis. Des personnalités intéressantes, connues pour leur militantisme et leur engagement antisystème, se doivent de se retrouver urgemment autour d'un front et d'un projet répondant aux aspirations populaires pour nous sortir de cette impasse et mascarade du trop tardif 102, voie constitutionnelle dangereusement chronophage et sans issue. La liste de ces personnalités est loin d'être exhaustive: Mustapha Bouchachi, Mohamed Larbi Zitout, Mohamed Ilyès Rahmani, Karim Tabbou, Ahmed Benbitour, Zoubida Assoul, Mokrane Aït Larbi et tant d'autres parmi cette époustouflante jeunesse et vrai acteur de cette belle vague pacifique et torrent salvateur. Veillons à ne pas lui usurper SA révolution de velours. Il est impératif que ce peuple où les moins de trente ans constituent plus de 70% de sa population se reconnaisse dans ses dirigeants.

Et à toutes les strates du pouvoir !

Dans un précédent article commis aux premières lueurs de cette noble et majestueuse révolution pacifique et portant le titre «Le fleuve retrouvé ?»*, je prévoyais déjà les pièges à venir. Et nous y voilà assistant aux sinistres et grossières manœuvres qui font aujourd'hui l'actualité... Dans cet article, in fine, je n'ai qu'un seul regret : celui d'avoir comparé les membres de cette mafia aux hyènes. Mille excuses aux hyènes ! Elles ne se bouffent pas entre elles !

*Compositeur, musicologue Dirigeant de l'Ensemble Albaycin

Fondateur de l'ensemble national algérien de musique andalouse et de l'ensemble maghrébin

Fondateur et 1er Commissaire de « Festivalgérie », le festival international de musique andalouse et des musiques anciennes

* https://www.elwatan.com/edition/contributions/le-fleuve-retrouve-04-04-2019