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Mouvement de la jeunesse algérienne : l'itinéraire et les leçons de l'histoire

par Mohammed Abbou

Pour tous ceux qui ont du mal à imaginer comment la religion peut être instrumentalisée à des fins de détournement de l'opinion publique, la France offre ces jours-ci une éloquente illustration.

Le terrible drame qui a frappé un symbole fort de l'histoire culturelle du pays, au-delà de la forte et compréhensible émotion qu'il a provoquée, constitue pour le pouvoir en place une aubaine politique d'échapper à la crise de légitimité, ne serait-ce que momentanément.

La tristesse nationale devant une véritable amputation culturelle a été ritualisée au point de se transformer en « blessure chrétienne ».

Les croyants sincères et sérieusement éprouvés ont été encouragés à s'épancher en chœur s'isolant dans le faste des incantations cultuelles ratant l'occasion d'une communion naturelle avec toute la société.

L'épreuve collective n'est triste que lorsqu'elle anéantie l'ambition et transforme la pensée en pleurs. Au lieu de la route de la vérité, de l'unité et de la renaissance autour d'un édifice témoin de l'Histoire scalpé par d'injustes circonstances, la douleur refondatrice a pris un petit chemin de croix.

Au moment où l'extrémisme est aux aguets et où le populisme se gave des inégalités, il est certainement inconséquent de leur faire l'offrande d'une prise d'otage de la rationalité par la foi.

En France, notre « Dame du Monde» compte plus de fidèles à neuf siècles d'amour que de ferventes ouailles, sa réparation doit être la réparation des relations humaines calcinées par l'intolérance et le repli identitaire.

Cette dérive noyée par une émotion encore fraîche doit être sérieusement méditée par le mouvement populaire qui depuis maintenant dix semaines a entamé la conquête de sa véritable indépendance en Algérie.

La jeunesse qui est en marche dans une magnifique unité et dans une remarquable cohésion des objectifs de liberté dans la paix et la solidarité n'a pas connu, dans sa grande majorité, l'hydre extrémiste. Elle ne sait pas comment peut être flattée la sincérité de sa foi et exploitée son innocence politique pour un fatidique plongeon dans la violence fratricide.

La dignité n'a pas besoin de parrain et la grandeur ne se mesure pas à l'intransigeance. Le sentier de la Foi n'est pas tracé par une tutelle cultuelle mais éclairé par la conscience.

Et la conscience de l'homme en tant qu'homme n'est ni morale, ni rituelle. Elle est sociale et politique. La jeunesse doit se méfier de la passion du commandement, de l'arrogance de l'expertise et de la certitude de l'omniscience.

Aucune intelligence esseulée ne peut prétendre aujourd'hui comprendre et traiter le plus petit problème économique, social ou environnemental ; la seule voie d'avenir est l'intelligence collective. Et celle-ci se manifeste dans les débats publics, les réseaux sociaux y jouent un grand rôle. L'intelligence collective et l'émergence d'une conscience commune et d'un socle partagé de confiance rendant les changements possibles.

Il faut cependant régler la question de la décision collective. Ce n'est pas la somme des volontés particulières ni celles des humeurs individuelles. La décision collective est une décision politique informée par la collectivité.

Ce n'est ni le référendum permanent ni une boîte qui recueille les critiques et pétitions sans analyse. C'est la co-construction de politiques publiques entre les citoyens et les concepteurs qu'ils auront chargé de leur confiance. Une confiance qui ne peut être accordée qu'à la compétence, l'intégrité et l'humilité réunies.

Les seules garanties d'un rapport confiant et dynamique sont la transparence et la restitution régulière des démarches.

La période de transition a besoin d'un gouvernement « jardinier » qui ne doit pas compter sur des citoyens exemplaires mais qui doit chercher à comprendre les ressorts de la société et à les mettre en œuvre dans la justice et l'égalité.

Il n'y a pas meilleure école que celle de l'action mue par le seul intérêt commun, protégée par le respect mutuel et nourrie par le débat sincère sans primauté d'aucune autre vérité que celle de l'égalité de tous dans la lourde responsabilité d'édifier une véritable République.

La jeunesse de mon Pays doit inscrire définitivement ses majestueux pas d'aujourd'hui dans la longue marche de l'Histoire de l'Humanité. Elle doit pour cela avancer en observant amicalement mais aussi intelligemment le reste du monde, le regard haut mais attentif.