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La misérable fin d'un Etat «bien vacant»: « Le sommeil de la raison engendre des monstres »

par Mohamed Mazouzi*

Depuis dix longues années, vous m'aviez offert (et je vous en remercie) la possibilité de dénoncer impartialement et objectivement sur les colonnes de votre journal ( de manière prosaïque certes mais concomitamment à des études plus affinées , érudites , spécialisées qui s'appuyaient sur des documents , des bilans , des statistiques et autres témoignages irréfutables ) les turpitudes politiques , les disfonctionnements institutionnels, l'anomie flagrante , voire une volonté affichée de nuisance , d'un système politique hautement dangereux dans la mesure où l'immoralité dont il fit sa prééminente philosophie gangrénait inexorablement l'ensemble du corps politique et social du pays. Projet satanique dont j'ai trouvé la ressemblance uniquement dans le fameux « Protocole des sages de Sion ». Toutes les personnes qui ont joué aux Cassandres, chacun à son niveau et selon ses possibilités limitées (Fonctionnaires, lanceurs d'alertes, presse indépendante et honnête, sociologues, universitaires, politiciens, parlementaires, artistes...) peuvent aujourd'hui s'enorgueillir d'avoir pris des positions inflexibles et claires animées uniquement par le souci de l'intérêt général et du bien commun.

La tragédie nationale que traverse le pays actuellement était prévisible et inéluctable, aucun débile mental n'aurait pu prédire ou cautionner autre pronostic, sauf bien entendu les âmes serviles.

Les gouvernements qui se sont succédé à la tête de l'Etat depuis l'indépendance ont usé et abusé de celui-ci tel un vulgaire « Bien vacant » comme ceux abandonnés par l'ancien occupant le jour de l'Indépendance. Les nouveaux propriétaires autochtones, opportunistes et chanceux essayeront malgré tout de justifier leurs agissements par des idéologies populistes miteuses et transformeront l'Etat en propriété personnelle , un Bien privé qui sera manipulé et trituré dans tous les sens ; victime de pronunciamientos tantôt affichés et reconnus , tantôt dissimulés et sournois , l'Etat restera longtemps otage d'une caste indéboulonnable de militaires plus comploteurs et matérialistes que patriotes et nationalistes. La survie de l'Etat ne cessera jamais d'être négociée, marchandée. Il passera indécemment de main en main, souvent dans des situations d'urgence et de crise politique et morale paroxystiques pour atterrir enfin entre les mains d'une dynastie familiale acoquinée à des groupuscules maffieux et criminels. L'Acte politique suprême, par essence transparent et identifiable, si l'on veut garantir et pérenniser une bonne gouvernance dans un Etat de Droit, sera immergé dans un univers interlope qui échappera complètement au droit de regard de toutes les institutions en charge d'exercer le contrôle et la surveillance, lorsque celles-ci n'étaient pas souvent complices ou complètement paralysées et impotentes.

Il est impensable dès lors de voir cet Etat avorté devenir autre chose qu'un fond de commerce. Ce qu'on reproche aujourd'hui à ce Raspoutine de Saïd Bouteflika ressemble aux manigances qu'on prêtait hier au tristement célèbre «Cabinet noir». Les visages défilent et s'évanouissent dans la nature, fortunés et à l'abri mais les pratiques restent les mêmes, et pour cause : Le Peuple n'a jamais existé.

Nous fûmes si seuls et si pitoyables, car très loin de ces rêves d'antan au moyens desquels on façonnait les grandes nations, et si loin des serments de Novembre 1954. Ils chasseront l'oppresseur pour prendre sa place, régner sans partage, à la limite de la démence et au risque de détruire 130 années de sacrifices et défigurer une patrie prospère. Qui sont-ils réellement ? Ils s'approprieront, escamoteront, confisqueront des Biens et des Droits qui ne leur appartenaient mais qui devaient revenir au peuple et dans la foulée ils confisqueront l'Etat qui ne leur avait jamais appartenu, car propriété exclusive du peuple. En 1962, l'Algérie était peut-être en ces moments de liesse générale un pays enfin libéré, mais pour eux c'était beaucoup plus que cela ; c'était l'Eldorado.

Ils feront signifier à l'oppresseur que nous n'avions besoin de rien, que nous avions toujours eu ce qu'il nous fallait : une identité, une culture, une langue, une religion, une patrie, des valeurs, des coutumes et une vision d'une société idyllique et pleine de promesses. Ils se sont emparés du pouvoir qu'ils se sont disputé et pour lequel ils ont assassiné leurs frères d'armes et laminé toutes les dissidences et psalmodies discordantes ; Ils pensaient bien faire, mieux faire, car nous étions enfin libres. En réalité ils prirent seulement possession de lieux désaffectés, autrefois résidences et symboles de pouvoir. Ils s'engouffrèrent dans le palais du gouvernement et ailleurs pour y introduire des désirs, des passions assassines, des cupidités, des mégalomanies et des complots interminables. Ils s'y installèrent avec un égo démesuré et la naïveté qu'on pouvait ramasser l'Etat par terre et se le mettre dans la poche comme tous les autres « Biens-Vacants »

Ils oublièrent le Peuple ; abandonné sur le perron, il gisera anonyme et superflu...très longtemps.

Je suis l'Algérie toute entière », dira au début de son règne, le président Abdelaziz Bouteflika à un Journaliste français, à une époque où on voulait rapetisser sa Majesté au Trois quart. «Je laisserai ce peuple à sa médiocrité » dira-t-il, au cas où ce peuple conquis, reconquis et asservi par tous, commettrait l'imprudence de refuser l'assistance et la grâce que je lui apporte en qualité de Messie. « Messie antéchrist» , Il le sera assurément puisque la confédération débile des Zaouïas oindra cet « envoyé de Dieu pour certains ,émissaire de Belzébuth pour d'autres » , et l'Algérie sombrera dans l'idolâtrie et le fétichisme. Son icône, en palanquin, sera trimbalée solennellement afin de permettre à ses sujets et même à la faune du pays de lui vouer le culte dont il a toujours rêvé.

On lui a volé la présidence après le décès de Boumediene et on l'a traité de gredin, qu'à cela ne tienne, Il s'évertuera à transformer ce pays en associations de malfaiteurs, de corrompre et d'abâtardir le maximum de gens, il réussira enfin à assouvir sa vengeance, il utilisera le même stratagème que Jugurtha à l'égard des magistrats romains, il commencera par pervertir, corrompre et assujettir la Justice. L'effondrement de toutes les valeurs est amorcé. Il laissera pour la postérité la même diatribe que celle de Jugurtha : « Ville à vendre, condamnée à périr si elle trouve un acheteur. » Hélas, il n'y aura plus d'acheteurs, car le peuple est déterminé à récupérer son Bien.

En 1999 , dans un discours qu'il prononcera à Rimini en Italie , il dira : «Depuis que je suis au pouvoir, je suis arrivé à la conclusion que l'Etat algérien était bien pourri...Je ne connais pas de pays au monde où la crise morale a débouché sur un si grand nombre de perversités et où l'Etat national a, à ce point vacillé.»

Après quatre mandats, le fléau dont il avait parlé sera amplifié, avec une intention délibérée de nuire au pays. L'impunité était totale. Tous les rapports concernant les défaillances institutionnelles et les perversités politiques qui lui étaient remis par des instances nationales consultatives ou exécutives ainsi que par différents ONG internationales dénonçaient cette forme de gouvernance carrément malfaisante. Les scandales financiers étaient légion , la Justice par sa complaisance et sa duplicité inqualifiables, accéléreront la déliquescence et l'effondrement de tout l'édifice institutionnel à tel point que l'Etat ressemblait à ces Bordels de luxe où l'on voyait gigoter une faune bigarrée attirée par le lucre et la licence et où tous les désirs étaient exaucés à condition de prêter allégeance à cette Confrérie maléfique qui exigera de vous une servilité inconditionnelle et le reniement de vos vertus.

La Tragédie faustienne que vivent aujourd'hui ces Institutions perverties s'inscrit dans un processus, ou plutôt dans un Contrat politique et Social viciés mis en place méticuleusement par le Pouvoir méphistophélique incarné par cette dynastie politique bizarre.

Lors de son premier discours, le Président Bouteflika fera au peuple quatre promesses solennelles parmi lesquelles, rendre à l'Algérien sa dignité et à l'Algérie sa place au concert des Nations, mettre en place une véritable économie et instaurer une « Pax algériana ». Aucun de ses grands serments ne sera honnêtement honoré. Le président se gaussait de cette « Economie de Bazar » que son peuple médiocre affectionnait ( Kéch Békhta OuéFnadjél Mériem ) , mais il fera mieux encore il dotera le pays d'un « Etat de Bazar »

Seuls les thuriféraires cupides et serviles (Médias, Députés, politiciens...) refusaient d'admettre publiquement que la responsabilité entière de la tragédie que nous vivons aujourd'hui ne pouvait être imputable qu'à la dynastie régnante et à sa tête le Président lui-même ( à moins que ce Président étrange ne fut constamment sous l'effet d'un envoutement puissant )

Après une longue période d'hibernation, l'Etat se réveille en 2019 de sa torpeur, daigne relire le contrat qui le lie à son peuple et découvre éberlué des notions auxquelles il n'avait jamais prêté attention. Il se demande dubitatif, perplexe et courroucé qui a pu écrire, transcrire et consigner de pareilles hérésies. Maudits Articles 7,8 et 12. De simples alinéas qui font trembler l'Olympe et remettent en cause une sérénité institutionnelle absolutiste quasi séculaire.

L'Etat qui s'estimait l'unique souverain à la face de Dieu, parfois à proximité et même l'égal de Dieu, prend conscience de la présence d'une autre Souveraineté, matricielle, celle qui donne une raison d'être à l'Etat. Elle était là depuis longtemps, depuis toujours, recroquevillée, ratatinée, méconnue, opprimée jusqu'à presque disparaître. Le Peuple ? Qui est-il ? S'interroge enfin l'Etat.

N'était-il pas qu'une légende, une fable, un faire-valoir ? Que peut-il faire ?

Le Peuple récupérera les attributs essentiels depuis toujours à son existence : l'Agora et la Constitution. Considérant que plus personne ni aucune Institution n'aient été jusqu'à présent assez téméraires pour monter au front et défendre ce qui subsistait d'un Etat-Nation avachi et décomposé.

Il fera ce qu'aucun peuple au monde n'ait osé faire, il réactualisera une Institution qui a vu le jour il y a plus de 2600 ans : la Démocratie directe. Il désavouera et répudiera sans ambages toutes les formes de représentations fantoches qui ont prétendu le servir. Il essayera le temps que cette épopée durera de remplir les trois fonctions essentielles à une Démocratie qu'il n'a jamais connu.

Face à un Etat grabataire dans lequel toutes les institutions on été d'une manière ou d'une autre compromises. Le Peuple exercera simultanément, selon des procédés éminemment habiles et avec une dextérité remarquable, les trois fonctions (L'Exécutif, Le Judiciaire, Le Législatif).

Il fera, (en présence d'un résidu d'Etat, Conseil Constitutionnel et Parlement réunis) une re/lécture objective de la Loi Fondamentale en vertu de laquelle il s'estimera habilité à congédier un Triumvirat dégénéré. Il plaidera pacifiquement et doctement sa cause face à l'Histoire et au monde.

Devant la gravité et l'ignominie des crimes commis contre la nation, le peuple trouvera approprié d'utiliser les anciens châtiments infâmants tels que l'ostracisme et la flétrissure.

Le Gotha de la rapine se barricade, c'est le couvre-feu diurne pour la racaille politique.

La détermination d'un peuple opprimé et la tragédie nationale pousseront l'institution militaire à franchir le Rubicon tout en restant à une distance raisonnable , celle qui fait d'elle la garante des intérêts supérieurs de la nation , de la sécurité et de la stabilité politique du pays et de la préservation de l'Etat de droit.

On verra des enfants crier au crime et au vol « Ya Sérakkine Klitou Blad » à l'intention d'un gouvernement honni et misérable. Il ne m'a jamais été donné de voir pareil spectacle pathétique.

Le peuple provoquera un tsunami juridico-judiciaire ; les procès commencent à s'ouvrir à travers l'ensemble du territoire. Les langues se délient, les cadavres sortent des placards, les auditions se multiplient hâtivement, les pièces à charge s'empilent. L'Etat et ses oligarchies sont appelés à la barre.

Tous les boulevards, avenues, ruelles, sentiers du pays, transfigurés par et pour la cause du peuple, deviennent par l'effet d'une solidarité époustouflante l'une des plus vastes et chatoyantes Agoras au monde. Une Agora qui fera raisonner son réquisitoire à travers toute la planète.

C'est la combinaison de la Révolution française avec Mai 68, mais néanmoins avec un enjouement, une dignité et un pacifisme remarquables. Les Aïeux avec leurs arrières petits enfants manifestent côte à côte, les quatre générations sont dans la rue, qui osera contester la légitimité de cette révolution. La Rue s'aménage en tribune, en théâtre, et donne lieu à des spectacles qu'on ne reverra plus jamais. Tous les thèmes seront visités avec un brio extraordinaire car spontané, authentique. La révolution sera agrémentée par une effervescence artistique inouïe. Une remarquable prose révolutionnaire raisonne dans toutes les rues du pays. La satire, les pamphlets, les quolibets, les pancartes, les bannières...tout sera utilisé avec une esthétique insoupçonnée pour faire de cette révolution l'évènement du siècle.

Chapeau l'Artiste. Tu mérites le Prix Nobel.

*Universitaire