Le train de
la révolte ne semble pas vouloir s'arrêter. La rue est devenue «le foyer de
l'histoire», pour reprendre un mot de Karl Marx. Au fil des semaines, les
Algériens s'organisent, se mobilisent et se structurent, même si le Hirak n'a pas encore dégagé des représentants officiels. De
l'autre côté du spectre, l'exécutif, morne et discrédité, ne trouve pas avec
qui prendre langue, se contentant de gérer le pays à huis clos. Sur les réseaux
sociaux, des listes de personnalités pour prendre la tête de l'Algérie, pendant
la période de la transition, sont déjà proposées par de nombreux internautes.
L'Après-système est déjà acté ! On y voit, côte à côte, des anciens militants
de partis politiques, des activistes, des blogueurs, des simples journalistes,
des intellos, des célébrités ayant percé grâce à l'audimat. La démocratie de la
jeunesse, c'est celle du clavier, de l'Internet, du numérique et de la
technologie, pas celle de la légitimité tirée des glorioles du fusil et de
l'histoire. Au milieu des vidéos, des tags et des caricatures, tournant en
dérision les symboles de l'ancien système, taxés de «génération Cachir», en référence à cette soirée à la Coupole ?Mohamed
Boudiaf' à Alger, où des rentiers venus en masse soutenir la candidature de
Bouteflika, se bousculent pour s'arracher des morceaux de cachir,
les jeunes exultent et narrent à leur manière le récit d'un peuple qui se
libère des griffes d'autocrates, sans scrupules. Inoxydable et très ludique,
leur humour a quelque chose de corrosif et d'original, en rupture avec les
codes anciens, en usage chez nous. En gros, les jeunes de cette nouvelle
génération que d'aucuns ont cru nulle, répondent avec ironie à ceux qui leur
ont tourné le dos et traité comme des ?moins que rien'. Ce nouveau «modus operandi» instaure, à vrai dire, une nouvelle culture
politique en Algérie. Une culture civique qui exclut la violence de son champ
sémantique.
Ce qui sera utile, bien entendu, pour les
années à venir dans le redressement de nos rapports sociaux, à présent très
tendus. L'autre élément important, à mettre en évidence, c'est la participation
massive des femmes dans les manifestations. Malgré quelques tentatives de mise
en quarantaine misogynes et machistes de certains, l'Algérienne s'est hissée au
rôle-phare de dissidente d'un régime aussi gérontocratique que corrompu qui,
quelque part, cultive une certaine forme du patriarcat traditionnel. Cette
touche féminine est on ne peut plus déterminante pour l'avenir de cette jeune
nation, la nôtre, ayant longtemps négligé, ou plutôt sous-estimé l'apport de
cette autre moitié à sa survie, en dépit de très valeureux sacrifices que
celle-ci aurait consenti auparavant pour elle.