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Algérie : quelques pistes pour aujourd'hui et pour demain

par Abdelhadi Benzaghou

Depuis un petit commentaire paru dans le journal El Watan du 09 mars 2019, j'ai préféré prendre un moment de réflexion et d'observation, m'interdisant d'ajouter de la passion à la passion. Notre révolution doit impérativement rester pacifique et inclusive. Le temps a toujours été précieux, et il ne s'écoule pas à la même vitesse tout au long d'une vie d'homme, d'une nation ou même d'une civilisation, L'histoire bégaie parfois mais elle s'accélère à d'autres moments, comme en ce moment dans notre beau et héroïque pays.

Après ces journées radieuses du printemps algérien, un vrai celui-là, le peuple ne doit jamais plus être le dindon de la farce et la variable d'ajustement des systèmes mafieux.

Aujourd'hui, jeudi 18 avril, grâce à Dieu et au sursaut révolutionnaire du peuple cette fois-ci, un « cadre » n'a pas été intronisé président de notre beau pays pour un 5ème mandat.

Les derniers « bâtiments « de l'Algérie qui tenaient encore en 1999 ont été mis quasiment à terre après 20 ans d'impéritie. L'ex-président Bouteflika laissera un champ de ruines !

J'espère qu'on ne reviendra pas à la case de départ (1962 et en 1988) avec cette fois-ci un nouveau moteur de la rapine (dopage de Hassi-Messaoud et exploitation du gaz de schiste et des ressources minérales par les prédateurs algériens et étrangers).

Ces derniers jours ont été magnifiques et grandioses.

C'est une immense joie qui fait chaud au cœur et qui réhabilite totalement nos concitoyennes et concitoyens et en particulier notre belle jeunesse.

Je ne désespère pas, ne suis pas découragé et ne veut pas décourager les gens et les jeunes en particulier qui doivent résister et éviter les manipulations et les récupérations.

Nous sommes la génération qui n'a pas libéré le pays mais qui a laissé faire... un peu, depuis 1962, à des degrés divers.

Il faut aider la jeunesse en l'amenant à réfléchir, à faire jouer son sens critique et à être correctement informée.

Il faut regarder en permanence les réalités, leurs faisabilités, leurs fonctionnements et leurs maintenances, mais aussi leurs coûts.

Savourons ce moment de libération ...en cours, que nous devons à une jeunesse qui nous honore. Certes le plus dur reste à faire, mais sa vigilance n'est pas à remettre en cause - tout ce que nous pourrons faire, pour notre part, c'est peut-être lui livrer notre expérience et nos conseils. De toute façon le pays lui appartient.

Il faut faire la part des choses et clairement distinguer entre :

Les Objectifs stratégiques

-refonder l'Etat national démocratique, à ne pas confondre avec les appareils et le « zaïmisme ».

-reconstruire la légitimité et la confiance sur un socle juridique solide et pérenne (stabilité juridique), transparent et connu de tous, garantissant les libertés individuelles et collectives.

-consolider l'unité de notre nation plurielle et préserver autant que possible la religion et notre armée des manipulations politiques.

-Jeter les bases d'un développement autoalimenté équitable et harmonieux en matière d'aménagement du territoire, en s'éloignant progressivement de l'Etat rentier et donnant toutes leurs chances à la jeunesse et aux vrais entrepreneurs.

En un mot, instaurer des règles de jeu claires, stables et connues de tous en érigeant la communication à tous les niveaux comme culture et comme obligation légale.

Objectifs tactiques

-déconstruire progressivement « le système »

-Privilégier les démarches réfléchies aux ruptures brutales.

-ne pas s'acharner à tout détruire, même ce qui fonctionne de façon imparfaite.

-ne pas humilier ou harceler les appareils anciens tout en restant fermes sur l'essentiel.

-accepter autant que possible, pour le moment, les compromis -à négocier de toute façon- en vue d'accords à MINIMA.

Il faut bien comprendre que tout est à faire, mais avec méthode, intelligence, sagesse, détermination et endurance.

Le temps nous est compté, mais il faut être patient et personne n'a de baguettes magiques.

1/Partie institutionnelle et politique

D'éminents politiques et juristes spécialisés ont apporté et continuent d'apporter de précieux éclairages.

La première phase, l'actuelle, est déterminante : déconstruire les aspects les plus choquants et dangereux du système, provoquer une onde de choc pour réveiller les consciences et mettre en place des instances transitoires exceptionnelles et acceptables pour gérer le présent et préparer l'avenir.

*instance présidence collégiale

*Instance de préparation des élections législatives et présidentielle

*Instance de contrôle des élections

-prendre les mesures conservatoires et celles qui doivent être prises quelles que soient les options futures pour la 2ème république que nous appelons tous de nos vœux.

-Il faut initier d'ores et déjà, pour préparer l'avenir, engager un chantier titanesque de rationalisation, de fusion, de modernisation, de suppression et de mise en cohérence de tout l'arsenal législatif et réglementaire à présenter aux nouvelles instances élues. Aujourd'hui, c'est un vrai maquis inextricable.

La seconde phase :

Après les élections présidentielles et législatives, les chantiers les plus complexes et les plus fondamentaux pour l'avenir de la Nation seront abordés :

*La réforme du système éducatif : Vaste et complexe chantier qui conditionne tous les succès à venir. Les problèmes linguistiques devront être traités en dehors de toute surenchère et de toute manipulation.

La démocratie est une et entière et s'applique aussi à la démocratie linguistique.

Dieu merci, la reconnaissance de la composante berbère a déjà été constitutionnalisée en tant que langue nationale et officielle.

Reste à effectuer la même démarche pour l'autre langue algérienne (Darija ou Maghribi) parlée par la majorité des locuteurs algériens, sans oublier l'indispensable ouverture sur les langues étrangères garantes de notre réinsertion dans le concert des nations et dans le commerce international.

* La formation professionnelle : Des décisions irresponsables (dont la suppression des collèges et lycées techniques) ont privé pour longtemps notre pays de techniciens et d'artisans de qualité.

*L'enseignement supérieur et la recherche scientifique demanderont pour leur réhabilitation de longues années de réforme et d'efforts exceptionnels. Ils conditionnent la reproduction démocratique de nos élites.

*La réforme de l'Etat (Constitution, organisation administrative et économique de l'Etat national démocratique) tout en permettant les adaptations futures nécessaires, devra sanctuariser certaines dispositions, notamment les limitations et l'alternance des mandats qui devront quasiment tous sortir des urnes à l'exclusion de quelques fonctionnaires d'autorité aux mandats limités dans le temps et dans les prérogatives selon des règles stables, connues et respectées de tous.

*La réforme de la justice : la mère des guerres

2/la partie économique : Des chantiers urgents et vitaux

Analyser et tirer les leçons du passé, prendre les mesures conservatoires et nous prémunir constitutionnellement pour l'avenir de toutes les possibilités de prédation et de détournement de la volonté populaire et de l'intérêt général.

Commencer par bien comprendre les mécanismes de la prédation qui ont prévalu jusqu'à présent, arrêter l'hémorragie du trésor public, juger tous ceux qui ont commandité, exécuté ou couvert cette immense et immonde prédation qui a ruiné le pays et a découragé les compétences les plus patriotiques et les plus à même de réinsuffler l'espoir et la vertu du travail et de la réussite honnête et méritée.

Il y a lieu de pointer rigoureusement les modalités de prédation, pratiquées à large échelle avec la bénédiction et au profit de la bande dirigeante et des oligarques qui ont allégrement pompé sur le trésor algérien : les surfacturations par les importateurs des matières premières, des demi-produits et des produits finis par le biais des sociétés écran, les rétro-commissions des sociétés étrangères véreuses ou cupides et l'enrichissement indirect de la bande et de ses sbires oligarques ainsi que des riches par un système de subvention irrationnel et injuste et par les inconstitutionnelles préméditées et organisées, recapitalisation des entreprises publiques.

Il faut remettre le pays au travail, créer des richesses pérennes, réduire l'addiction aux hydrocarbures, créer des millions d'emplois pour nos jeunes, recycler les compétences jeunes et remettre à niveau tout le monde du travail.

Remobiliser les compétences techniques, économiques, sociales, culturelles et cultuelles en service et ne pas hésiter à demander l'aide de tous les retraités et de toutes les compétences injustement et arbitrairement marginalisées.

Encore une fois, il ne faut pas que la haine et les règlements de compte prennent le dessus sur la vérité et la justice.

Tout un chacun a droit à un procès équitable et transparent.

Cette révolution pacifique doit le rester et s'inspirer pour son aboutissement exemplaire que nous souhaitons tous, des exemples réussis à travers l'histoire contemporaine récente.

Sans être exhaustif, il y a lieu d'identifier et de commencer par les actions urgentes et de complexité croissante :

-Création d'un outil de planification et de prospective pour la prévision indicative et la mise en cohérence de notre développement.

-Audit du fonctionnement des entreprises publiques, des collectivités locales et des administrations centrales.

-Reprise en mains et élaboration d'une vraie stratégie en matière d'hydrocarbures : rôle et vision à moyen et long termes ( exploration, exploitation, utilisation, etc. Réactiver le conseil national de l'énergie : CNE)

-Agriculture et irrigation (barrages, retenues collinaires, dessalement d'eau de mer, AEP et assainissement, traitement des eaux et recyclages, etc.)

-Remise aux normes de toutes les villes (urbanisme, aep, espaces verts, voies de communication, zones à protéger et d'évacuation en cas de catastrophes naturelles ou accidentelles, etc.)

-Energie et efficacité énergétique

(enr, traitement des déchets, environnement et recyclage des plastiques notamment, rationalisation de l'utilisation de l'énergie, politique du transport, etc.)

-Secteur minier et stratégie d'exploration, d'exploitation et de valorisation

-Infrasctructures ( routes, ports, aéroports, ponts, chemins de fer, etc.) à restaurer, à ausculter, à développer

-Services en réseaux (electricité, gaz, tél, internet)

-Révolution digitale

-Services en général (immenses chantiers à ouvrir)

-Startup de haute technologie et les centres d'incubation entre technopoles et universités.

-etc.

Des millions d'emplois potentiels seront créés

3/ la partie culturelle et cultuelle

D'une complexité redoutable, elle requiert plus de recul, de sciences et de savoir ainsi que beaucoup de sagesse et de maturité politique.

Cette partie sera abordée le moment venu, surtout par ceux qui ont des choses à dire et le souci d'aller de l'avant pour notre jeune Etat, sans manipulation et sans langue de bois.

En conclusion :

Passer du moment de « dégage » à celui de « j'engage » requiert une préparation minutieuse et un haut niveau de conscience politique et des enjeux pour le pays.

Gloire à nos martyrs et que vive l'Algérie éternelle