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Café, cacao et technologies de pointe

par Steve Hollingworth*

WASHINGTON, DC - Ce petit rituel du matin apprécié par des millions de gens, une simple tasse de café, pourrait bien un jour être chose du passé. Les dernières études montrent que 60 % des 124 espèces sauvages de café dans le monde risquent de plus en plus de disparaître, principalement en conséquence des résultats de la déforestation. Cette perte potentielle de diversité génétique pourrait, en voie de conséquence, limiter les filières évolutives d’adaptation que le café pourrait emprunter pour s’adapter aux changements climatiques et contrer les attaques de maladies.

Le café n’est pas le seul en danger. La déforestation met également en péril le cacao et l’avenir du chocolat. La disparition de forêts dans l’Amazone élimine des espèces sauvages proches du cacao, tandis qu’en Afrique de l’Ouest, les sols s’épuisent rapidement ; ce qui empêche certaines cultures. L’épuisement des sols, ainsi que le vieillissement des arbres et les risques d’ennemi et de maladie des cultures menacent le gagne-pain de petits exploitants déjà démunis qui produisent la plus grande part de la production mondiale de cacao et de café.

Étant donné les nombres imposants de producteurs (et des familles) 25 millions dans le café et six millions dans le cacao dans le monde entier, l’ampleur des efforts pour briser ce cycle d’appauvrissement sur le plan humain et des ressources naturelles doit correspondre à l’envergure du problème. Heureusement, grâce à l’utilisation intelligente de technologies de pointe, il est possible de relever le défi.

Il faut de nouvelles initiatives pour aider les agriculteurs à rapidement adopter des pratiques de développement durable et à accroître le rendement des terres agricoles défrichées, dans le but d’améliorer leur bien-être et de réduire la ponction sur les forêts. Les initiatives pour remédier à la pauvreté régnant chez les agriculteurs doivent également combler des manques de financement, de formation agricole et d’outils de planification avancés.

C’est là où les technologies peuvent jouer un rôle déterminant. Les technologies liées aux données, au numérique, à la télédétection et à l’Internet des objets constituent l’avenir de l’agriculture et sont même déjà utilisées dans de grandes exploitations agricoles des pays riches. Or, ces technologies peuvent aussi aider les petits exploitants des pays moins en moyen, où des démarches innovatrices doivent être mises au point, faire l’objet de projets pilotes, être facilitées et déployées à plus grande échelle.

L’Afrique en a fourni de nombreux exemples. Au Ghana, la collaboration entre le secteur agroalimentaire, la société civile et les milieux universitaires a produit l’initiative SAT4Farming, qui a recours aux technologies du numérique et de la télédétection pour élaborer des programmes de développement des exploitations agricoles (PDEA) pour les petits exploitants. Mis en œuvre par la Fondation Grameen en partenariat avec la Rainforest Alliance et la société Mars, ce programme incorpore des données des exploitations comme les conditions environnementales, le financement des ménages et les échelles de production pour appliquer des techniques d’«intelligence logique» afin de produire des plans septennaux qui guident les investissements des petits exploitants. Ces plans, comme dans les états des résultats, sont ajustés chaque année selon les décisions annuelles des agriculteurs.

Peter Oppong, un petit producteur de cacao au Ghana œuvrant dans ce secteur depuis 17 ans est l’un des premiers à adopter un PDEA numérique. Selon ces recommandations, Peter a commencé à remplacer ses arbres en fin de vie. Vu les coûts élevés, il a d’abord replanté le quart de ses terres et il prévoit ajouter un autre quart chaque année jusqu’à ce qu’il finisse de tous les remplacer. En parallèle, d’autres mesures moins onéreuses, comme la taille des branches, ont très vite donné des résultats.

Peter a eu la chance de disposer des fonds pour remettre sa ferme sur pied. Beaucoup de petits producteurs de cacao et de café n’ont pas cette chance. Et sans accès au financement, même les conseils du meilleur agronome ne servent à rien. Ici, aussi, de nouvelles démarches plus innovantes sont nécessaires.

FarmDrive au Kenya est une démarche aussi ambitieuse, qui fournit aux prêteurs des cotes de crédit détaillées sur les petits exploitants à l’aide de données tirées de leurs téléphones portables, d’autres données (comme le taux d’adoption par les agriculteurs de bonnes pratiques agricoles), et de l’apprentissage machine. Ces données donnent aux prêteurs une plus grande certitude, augmentant l’offre de crédit aux petits exploitants.

Parallèlement, selon le chocolatier Barry Callebaut, le secteur financier pourrait assurer aux exploitants un accès abordable à du microcrédit pour financer l’adoption de pratiques agricoles exemplaires. L’entreprise mentionne que replanter un seul hectare de cacao coûte approximativement 2 400 $ et elle estime que des milliers d’hectares au Ghana et en Côte d’Ivoire ont besoin d’être replantés. Sa chaîne logistique d’Afrique occidentale aurait besoin à elle seule d’environ 250 millions de $ en garanties de prêts aux petits exploitants agricoles.

De nouveaux modes de financement sont également nécessaires dans la chaîne logistique du café. Starbucks, par exemple, a créé un fonds mondial destiné aux agriculteurs de 50 millions de $ qui apporte un soutien financier aux agriculteurs, notamment pour des projets de rénovation. Le fonds a aidé plus de 60 coopératives dans huit pays et plus de 40 000 agriculteurs.

Le financement de la transformation des chaînes logistiques du café et du cacao est une immense initiative qui nécessite des investissements accrus sur plusieurs plans ainsi que des stratégies différentes, dont des consortiums de prêts public-privés pour l’atténuation et le partage des risques, des produits de microfinancement spécialement conçus sur mesure et des outils numériques pour l’évaluation de la solvabilité. L’utilisation judicieuse du traitement massif des données peut faciliter de telles initiatives et procurer des analyses précises des besoins et des capacités des agriculteurs.

Aujourd’hui, les enjeux sont beaucoup plus vastes que le réconfort apporté par une tablette de chocolat ou la dose matinale de caféine. L’amélioration des conditions de vie des petits exploitants agricoles et de leurs familles pourrait faire sortir des millions de personnes de la pauvreté. Elle aurait aussi de profondes retombées positives sur le développement économique et les écosystèmes qui soutiennent l’agriculture.

Traduit de l’anglais par Pierre Castegnier
*Président et directeur général de la fondation Grameen