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Gouvernement: «L'anarchie créatrice» s'installe

par Ghania Oukazi

Le ministère des Finances vient de décider en lieu et place de la Banque d'Algérie d'installer «un comité de veille et de suivi» qui doit s'assurer que «les opérations de transferts en devises par les banques sont exécutées dans le strict respect de la réglementation des changes édictée par la Banque d'Algérie».

Le ministère des Finances veut devenir vigilant face à «l'évolution des transferts en devises et en matière de transactions financières avec le reste du monde». Sa décision de mettre en place «un comité de veille et de suivi» intervient bien après que l'Algérie ait été accablée par des transferts illicites colossaux, entre autres Panama papers, vers diverses destinations du monde, des achats à coups de milliards d'usine en faillite à l'étranger, l'octroi d'importants crédits par les banques publiques jamais remboursés et des masses de devises qui se changent toujours en plein air, au vu et au su des autorités du pays ignorant ainsi la loi sur la monnaie et le crédit qui autorise l'ouverture de bureaux de change.

La confusion dans les ressources financières du pays n'a jamais gêné une quelconque institution financière ou bancaire. La Banque d'Algérie n'a jamais pensé à durcir la règlementation en matière de changes et de transferts de devises ou même de rapatriement de dividendes par des sociétés étrangères implantées en Algérie. L'on se demande pourquoi aujourd'hui le ministère des Finances décide-t-il à la place de la Banque d'Algérie qui est «une institution indépendante». Qui plus est, le nouveau comité de veille et de suivi est mis en place alors qu'elle n'a plus de gouverneur depuis la nomination de Loukal en tant que ministre des Finances dans le gouvernement Bedoui. C'est peut-être pour avoir eu à gérer cette institution et surtout d'avoir été instruit de mettre en marche la planche à billets pour garantir des liquidités à une économie qui dépense qu'elle ne produit que Loukal a décidé de se substituer à la BC en pensant combler des vides réglementaires pour corriger des lacunes qui durent depuis de longues années. Les opérations soumises à «la veille et au suivi» sont classées en trois catégories, a dit le communiqué rendu public samedi dernier.

«Les trois catégories» et les affaires scabreuses

«La première catégorie concerne le règlement des opérations d'importation de biens et services, conformément à la législation et à la règlementation régissant le commerce extérieur et des changes en vigueur ; la seconde concerne les transferts dans le cadre d'investissements à l'étranger effectués par un opérateur résident en Algérie ; et la troisième catégorie porte sur les transferts des dividendes liés à des investissements directs en Algérie». Des catégories qui ont toutes connues «des transactions douteuses». Le ministère des Finances affirme cependant que les transferts sont exécutés «conformément aux dispositions légales et réglementaires, sur la base d'un dossier constitué dans le strict respect de la règlementation des changes, régissant ce volet». Il précise aussi que «s'agissant de transferts de cash, relatifs à des exportations physiques de billets de banques, qu'elles sont encadrées rigoureusement par la règlementation en vigueur. Ils font l'objet d'un contrôle strict au niveau des postes frontaliers par les services compétents».

Les précisions apportées dans le communiqué laissent croire que la rigueur a manqué auparavant. Mais même si ce n'est pas ce que pense le ministère des Finances, l'importance des transferts illicites opérés jusque-là le laisse croire sans conteste. Loukal devrait indiquer à l'opinion publique si le contrôle et le suivi se feront à posteriori, précisément d'une manière rétroactive et s'étaleront aux mallettes d'argent en devises qui ont été «exportées» vers des pays étrangers par voie maritime, aérienne et terrestre. A moins que sous la pression de la rue, le pouvoir se contente de faire de Ali Haddad, seul, le dindon de la farce ou le bouc émissaire. Les magistrats et les avocats doivent en savoir plus que tout le monde sur ces affaires scabreuses pour avoir défendu des hommes d'affaires qui ont brassé des milliards en un temps record ou se sont constitués (pour les avocats) dans des procès opposant des institutions publiques à leurs cadres. Des avocats ont perçu des centaines de millions pour assurer la défense de cadres sans qu'ils ne se déplacent les jours des audiences et des plaidoiries.

Aujourd'hui, «les hommes de loi» se coalisent et décident de boycotter l'organisation des élections présidentielles annoncées pour le 4 juillet prochain. Ils justifient leur boycott en avouant qu'ils ont de tout temps approuvé des résultats de scrutin sans savoir exactement ce qu'il en était en réalité. «Nous signons des listes sans savoir ce qu'il en est», a affirmé l'un d'entre eux le jour de leur sit-in devant le ministère de la Justice. Ils se défendent comme ils peuvent tout autant que les députés des partis «d'opposition» qui ont toujours crié à la fraude et qualifié d'illégitime le Parlement dans lequel ils ont toujours siégé mais qu'ils quittaient dès le début du «hirak».

Dixit Condoleeza Rice

Depuis le 22 février dernier, chaque corporation se cherche «des circonstances atténuantes» pour avoir servi un système corrompu et corrupteur. C'est une véritable course contre la montre pour se repositionner dans une conjoncture où l'anarchie et l'illégalité défient le peu de raison qui reste. Sinon, comment expliquer cet entêtement de ministres qui veulent faire «le terrain» alors que les esprits sont en ébullition. Béchar en a été le théâtre samedi dernier. Les autorités locales savaient que des manifestants bloquaient les routes depuis vendredi après-midi mais n'ont pas demandé l'annulation de la visite des ministres de l'Intérieur, des Ressources en eau et de l'Habitat. Ils ont voulu tirer le diable par la queue. Le résultat a été catastrophique.

Empêchés de faire le moindre pas, les ministres ont été obligés de se barricader dans le siège de la wilaya. Ils ne pouvaient en sortir qu'à des heures indues. Ils ont inauguré un institut de musique dans le chef-lieu wilaya à 5h30 du matin, pendant que les habitants dormaient. Nos sources nous font savoir que deux journalistes ont failli être lynchés par la foule parce qu'ils avaient salué des policiers. Les ministres ont subi la pire des humiliations. Ils ont été empêchés de rentrer dans Taghit pourtant encadrés par les éléments de la gendarmerie nationale. Ils n'ont pu le faire qu'à 7h du matin pour inaugurer une station d'épuration. Ils ont joué au chat et à la souris pendant tout leur séjour. A Kenadssa, quatre véhicules du cortège officiel ont été détériorés à coups de jets de pierres par des manifestants déchaînés. Les ministres sont retournés au siège de la wilaya sous la protection d'impressionnants dispositifs sécuritaires.

Avant de quitter la ville sous escortes renforcées le dimanche dans la matinée, les ministres ont rencontré les représentants de la société civile sous haute surveillance. La raison a bien manqué à des gouvernants qui ont voulu faire plus alors qu'ils ont été désignés juste pour gérer les affaires courantes. Provocations, diffamations, accusations, menaces, réactions violentes font leur apparition à tous les niveaux. Hier, un analyste menaçait «ceux qui oseraient se porter candidat aux élections présidentielles, ils seront mis sur une liste noire et seront jugés» a-t-il averti. L'Algérie vit une anarchie sans précédent. Les marches se font tous les jours de la semaine. Les étudiants d'Oran ont décrété hier une grève pendant que ceux d'Alger manifestaient à coups de «yrouhou gâa».

Si Condoleeza Rice était en fonction, elle aurait rappelé que ce genre de situation s'appelle «l'anarchie créatrice (el faoudha el khalaka)». Une appellation qu'elle a sortie après avoir vanté les mérites du «GMO (Grand Moyen-Orient)». El faoudha el khalaka a aussi été mise en avant pour applaudir les «printemps arabes» en Egypte, en Tunisie et en Libye.