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Transition constitutionnelle ou comment instaurer une nouvelle République ? (2ème partie)

par Mourad Hamdan*

Questions relatives à la transition constitutionnelle

Suite au mouvement citoyen pour le changement qui a affecté l'Algérie, à partir du 22 février passé, et sa volonté de construire et d'établir un État de droit, la transition constitutionnelle doit interpeller nos constitutionnalistes. En effet, cette étape importante, considérée comme « le moteur de l'évolution historique d'un peuple », dans toutes ses dimensions, doit faire l'objet d'analyses menées à la fois sur les plans juridique et socio-politique. Des réponses originales et innovantes doivent être apportées aux questions suivantes : Comment l'Algérie, dans cette période délicate qui se caractérise par une reconsidération des équilibres entre l'État et une remodélisation du système politique et des ordres constitutionnels, peut-elle se doter du constitutionnalisme libéral qui implique la soumission de tous à l'État de droit ? Quelle méthodologie doit être adoptée pour construire un nouveau système constitutionnel ? Quels sont les défis auxquels l'État, en situation de reconstruction constitutionnelle, est confronté ? Quel peut être l'apport des expériences comparées ayant été confrontées à cette étape de reconstruction ? Peut-on transposer les modèles existants ? Existe-t-il des données contextuelles spécifiques à chaque État ? Peut-on tenir compte des erreurs d'autres États afin d'éviter de nouveaux échecs ? L'Algérie doit-elle changer de statut et passer d'un État unitaire à un État fédéral ? Toutes ces questions doivent constituer une source importante de réflexion qui ne peut en aucun cas être conçue d'un point de vue purement normativiste, mais doit également être appréhendée dans sa confrontation avec les réalités politiques et sociales.

Analyse de la transition constitutionnelle

Le concept de transition constitutionnelle peut être analysé dans la pensée de Giuseppe De Vergottini à travers trois points cardinaux : la généralisation du constitutionnalisme libéral en tant qu'objectif des transitions constitutionnelles (I), le rôle des nouvelles Constitutions adoptées dans le processus de transition constitutionnelle (II) et le lien étroit entre le juge constitutionnel et ce processus (III).

i- L'Objectif des transitions Constitutionnelles : La mise en oeuvre du constitutionnalisme libéral

A) Transition

La doctrine de science politique a fait émerger la thématique du changement en faisant référence au concept de « transition » alors que la doctrine constitutionnaliste a privilégié le concept de « transition constitutionnelle ».

À l'origine, le concept de « transition » a été introduit par les politologues afin de désigner le phénomène de passage d'une forme de l'État vers une autre, mais qui ne correspond pas avec le changement, pur et simple, de la Constitution. Ce terme évoque plus un ensemble de phases ou un processus complexe qu'un simple moment formel de décision. En principe, le terme de transition « a été utilisé pour souligner le passage d'ordonnancements monopolistiques à vocation autoritaire à des ordonnancements pluralistes et «garantistes ».

Pour le professeur Giuseppe De Vergottini, le concept de transition doit être entendu comme « le dépassement d'un schéma normatif, formé par des principes et des normes, et sa substitution par un autre ». En effet, ce concept peut être utilisé pour indiquer, efficacement, le processus dynamique de formation d'une nouvelle Constitution, avec le changement au moins de la forme de l'État (d'autocratique à démocratique, dans notre cas) ou encore seulement de la forme du gouvernement. Le concept peut être également utilisé pour expliquer l'introduction des révisions totales ou même le changement des institutions substantielles de la Constitution, sans recourir aux modifications formelles. Ainsi, « la transition marque un passage institutionnel et, dans un régime de libertés, ne fixe pas nécessairement un point d'arrivé immuable, et surtout ne marque pas l'adoption d'un acte formel donnant naissance au nouvel ordre, acte que les juristes vont, généralement, rechercher pour établir des points de référence dans leurs tentatives de mettre un ordre entre les phénomènes politiques ». Toutefois, du point de vue juridique, « sont pertinentes les transitions qui aboutissent à l'adoption d'une nouvelle Constitution ou à une révision substantielle de l'ancienne Constitution qui accompagne les changements du régime politique ou de la forme du gouvernement ».

B) Transition démocratique

Les transitions démocratiques s'individualisent plus particulièrement par trois phases :

- La première phase est celle de « libéralisation », caractérisée par une autolimitation des organes de gouvernement de la Constitution autocratique encore inchangée ;

- La seconde phase se caractérise par un ensemble d'interventions afin de réaliser les transformations nécessaires pour la démocratisation, parmi lesquelles l'adoption des nouvelles Constitutions ;

- Et enfin, la troisième phase, de consolidation de nouveaux principes, représente, pour le juriste, le moment où l'effectivité du nouvel ordre est vérifiée. Le concept de transition démocratique indique un processus de phases qui se succèdent dont l'objectif est la démocratisation. Ce processus se polarise sur l'adoption d'une Constitution. La démocratie a été définie par Kelsen comme « une forme d'État ou de société dans laquelle la volonté générale est formée, ou ? sans image ? l'ordre social créé par ceux qu'il est appelé à régir ? le peuple. La démocratie signifie « identité du sujet et de l'objet du pouvoir, des gouvernants et des gouvernés, gouvernement du peuple par le peuple ». La transition démocratique apparaît comme la quête de la démocratie, comme une dynamique « un mouvement qui part d'une situation et qui vise la réalisation d'un objectif donné à savoir : la construction d'une autre organisation étatique ».

Pour le professeur De Vergottini, la démocratie revêt deux aspects complémentaires : un aspect substantiel et un aspect procédural.

- Aspect substantiel

Il inclut un ensemble des valeurs spécifiques comme la liberté individuelle et la liberté collective, ainsi que des institutions représentatives caractérisées par la responsabilité à travers le contrôle et la possibilité d'alternance.

- Aspect procédural

Dans l'aspect procédural, la démocratie permet de prédisposer des règles juridiques par lesquelles on peut canaliser les conflits politiques, choisir les gouvernants, mettre en cause leur responsabilité et assurer la garantie des libertés individuelles. En effet, on ne peut pas réduire la démocratie à un système politique où les gouvernants sont élus, périodiquement, par le peuple et où les pouvoirs sont séparés et équilibrés, se contrôlent mutuellement et sont politiquement responsables. La démocratie est aussi le régime politique qui se fixe comme projet de garantir les droits fondamentaux que la Constitution reconnaît. Au sein de l'État démocratique, les institutions permettent une interaction réelle entre la collectivité et les organes verticaux et la présence de l'opposition politique, le contrôle entre les pouvoirs, les droits essentiels de la personne sont bien assurés. La transition constitutionnelle passe soit par l'adoption d'une nouvelle Constitution, soit par une révision constitutionnelle. En outre, les transitions constitutionnelles peuvent donner lieu à un dualisme entre l'ancienne constitution dépassée et la nouvelle constitution qui s'impose dans la pratique, mais qui n'est pas encore formalisée.

Le processus constituant visant la réception des principes du constitutionnalisme libéral passe soit par la révision des Constitutions anciennes soit par l'adoption de nouvelles Constitutions. Ainsi, « dans les cas où de nouveaux sujets de droit international se forment et dans ceux où les Constitutions sont l'expression d'un changement évident de régime politique, en prévoyant la forme de l'Etat ? bien qu'en gardant la continuité du sujet de droit international, les manifestations du pouvoir constituant dans ces Constitutions sont claires, tout en s'éloignant du régime politique ancien ». L'alternative continuité-discontinuité entre les ordres ne se résout pas de façon immédiate, puisqu'elle s'insère, dans la plupart des cas, dans un contexte temporel avec des phases plus ou moins larges.

ii- Les conditions de l'effectivité du processus de transition constitutionnelle

L'entrée en vigueur d'une nouvelle Constitution démocratique, représente, indiscutablement, l'élément le plus significatif du changement et de la discontinuité entre l'ancien régime politique autoritaire et le nouveau régime de nature démocratique. Toutefois, cette entrée en vigueur n'est pas en mesure de déterminer, en soi, le passage effectif de l'État autocratique vers l'État démocratique. Pour garantir cette effectivité, le professeur De Vergottini précise qu'il est nécessaire d'avoir une convergence entre la Constitution formelle et la Constitution substantielle (A). En outre, l'adoption des nouvelles constitutions démocratiques a été conditionnée par un ensemble de facteurs qu'il convient d'étudier (B).

A) La nécessaire convergence de la Constitution formelle et de la Constitution substantielle

Les nouveaux principes issus du constitutionnalisme libéral inscrits dans les nouvelles constitutions ont, au départ, un caractère purement théorique. « Les principes sont presque toujours de simples aspirations, des intentions, des programmes ». Ainsi, le processus de consolidation du nouveau régime peut se révéler complexe en pratique. La phase de l'application de la Constitution « est toujours caractérisée par des processus d'adaptation de la réalité factuelle aux principes. C'est lors de cette phase que se manifeste, au cours du temps, la distance entre la volonté des constituants et ce qui est consenti à la situation de fait ». Le professeur De Vergottini identifie des éléments qui permettent de déterminer la convergence de la Constitution formelle et de la Constitution substantielle, ce qui permet de garantir l'effectivité de la transition constitutionnelle. Parmi ces éléments, il convient de mentionner : la présence de représentants élus, le fonctionnement physiologique du principe de séparation des pouvoirs (aussi bien verticalement qu'horizontalement et entre le pouvoir civil et le pouvoir militaire), la garantie effective des droits de l'opposition politique et parlementaire, l'effectivité des libertés d'expression et d'association, l'effectivité du principe d'égalité, la reconnaissance et la garantie des droits fondamentaux de la personne, la présence des sources alternatives d'information et la garantie du droit d'accès à ces sources. Si dans la pratique les principes et les valeurs inscrits dans la Constitution restent lettre morte, la transition reste inachevée. En effet, la transition inscrite dans la Constitution doit coïncider avec la transition en action. La volonté d'adopter des Constitutions similaires avec celles des États d'inspiration libérales n'a toujours pas coïncidé avec l'affirmation d'ordres juridiques réellement démocratiques. En ce sens, le phénomène de « démocratie de façade » s'est largement consolidé. La phase dans laquelle la démocratie est consolidée peut être plus ou moins longue et dans certains cas elle peut aboutir à un échec.

B) Les facteurs capables de garantir un perfectionnement du processus de transition constitutionnelle

Pour le professeur De Vergottini, il existe des facteurs endogènes et exogènes capables de conditionner le perfectionnement de la phase de transition constitutionnelle. Les facteurs endogènes peuvent être reliés à la nature du processus de transition constitutionnelle, à la nature du système économique adopté, à la culture politique présente et enfin à la structure constitutionnelle. En ce qui concerne ce dernier point, « la forme de gouvernement présidentiel dénote, par rapport à la forme de gouvernement parlementaire, une fonctionnalité inférieure aux fins de la consolidation démocratique et une propension supérieure à favoriser les phénomènes de régression dans le fonctionnement de la forme de gouvernement ».

En ce qui concerne les facteurs exogènes, le professeur De Vergottini identifie l'intérêt propre du pouvoir constituant à adopter les principes du constitutionnalisme libéral afin de pouvoir adhérer aux diverses organisations internationales. Ainsi, « le conditionnement opéré sur les nouvelles constitutions par la participation aux différentes organisations internationales apparaît comme l'un des facteurs déterminants du processus constituant et de la réforme des ordonnancements ».

A suivre...

*Consultant en management