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Une transition négociée est-elle possible en Algérie ?

par Reguieg Issaad Driss(1)

  Le mouvement populaire contestataire grandissant en Algérie, depuis l'annonce de la candidature du président en exercice Abdelaziz Bouteflika, de sa décision de briguer un cinquième mandat, a mis à nu la réalité politique nationale. En effet, il est à reconnaître que la situation actuelle aggravée par trois facteurs : une concentration historique des pouvoirs entre les mains du président ; une précarité constitutionnelle et un rôle de figuration des partis de l'opposition, rend l'acheminement vers une transition négociée, une chose ardue, voire compliquée. Peut-on parler de l'existence de propriétés contextuelles qui nous aideraient à comprendre les problèmes de gestion de cette phase de transition, de légitimation, de consolidation démocratique, ou les phénomènes de mobilisation collective qui marquent cette période de changement ?

Pour O'donnell G., Schmitter P. (1991) Les origines et l'évolution des régimes sont déterminées moins par les facteurs culturels ou économiques que par les actions, les choix des élites clés qui cherchent à maximiser leurs intérêts dans un cadre institutionnel en flux que leur lutte contribue à façonner. A l'intérieur de ce paradigme du choix rationnel, l'accent est mis sur diverses variables politiques : nature du leadership, du régime autoritaire (ou totalitaire) ; composition et division du bloc au pouvoir; performance/efficacité/légitimité du gouvernement ; autonomie/contrôle des forces armées ; soutiens/oppositions dans la Société civile...2

La doctrine classique des transitions politiques, bien illustrée par les travaux de Huntington3, présume qu'elles impliquent la succession d'un régime autoritaire par un régime démocratique, de l'oppression par la liberté, des violations des droits de la personne par l'Etat de droit. Elle présente ce phénomène comme débutant par le processus de dissolution d'un régime autoritaire et débouchant sur la mise en place d'un système de gouvernance démocratique.

La spontanéité de la contestation populaire, en Algérie, a surpris plus d'un, dans la mesure où même si elle était perceptible elle reste néanmoins inattendue dans sa proportion, son organisation et l'implication des jeunes dans son encadrement. La succession des événements que nous connaissons tous et la grande mobilisation de toutes les couches sociales, dans le projet commun de déjouer le projet de candidature de Abdelaziz Bouteflika pour un cinquième mandat, à la magistrature suprême du pays, ont révélé une vérité trop souvent camouflée par le pouvoir en Algérie : la maturité du peuple et l'immaturité des dirigeants politiques. Ces derniers, occupés à traduire leurs desseins politiques en opportunités d'affaires, n'ont pas vu venir cette réaction de masse. Il est vrai, comme on dit, la nature a horreur du vide, et c'est ainsi, qu'en désertant le champ politique pour celui des affaires, les partis politiques algériens (ceux de l'opposition comme ceux qui soutiennent le fameux programme du président) se sont retrouvés dans une situation d'absence de visibilité et de lisibilité de leur environnement social.

Dans mon introduction, je disais que trois facteurs : une concentration historique des pouvoirs entre les mains du président ; une précarité constitutionnelle et un rôle de figuration des partis de l'opposition sont à l'origine de cette déconfiture politique. En effet, la forte concentration des pouvoirs du président de la République, s'alimentait d'une déconstitutionnalisation progressive de la vie politique et d'une vacuité du champ partisan, au point où aujourd'hui, dans sa deuxième lettre, le Président Abdelaziz Bouteflika, fort de son pouvoir constitutionnel a tout simplement décidé de ne pas se présenter une cinquième fois pour les élections présidentielles mais aussi d'empêcher les autres candidats éligibles de le faire par l'annulation des élections du 18 avril 2019. Plus grave encore, le Conseil constitutionnel, véritable coquille vide, et de la manière fataliste que nous lui connaissons a, tout simplement, décidé de prendre acte de cette décision présidentielle et de déposer les dossiers de candidats remplissant les conditions d'éligibilité, dans les archives du conseil.

Ainsi, nous nous dirigeons vers une situation, le moins que l'on puisse dire, floue et ambiguë. Le constat que nous pouvons faire est que nous sommes en face de logiques de mobilisation collective, et que leur rapport au contexte politique, pourrait faire progresser la compréhension des processus et des dynamiques de transition. Cela suppose et nécessite une meilleure structuration des jeunes, véritable force motrice de cette mobilisation, et une redéfinition des tâches de tout un chacun, dans et en dehors du champ politique qui se précise, jour après jour.

Notes :

1- Professeur à l'université d'Oran 2 MOHAMED BEN AHMED.

2- Voir O'donnell (G.), Schmitter (P.), Transitions from authoritarian rule. Tentative conclusions about uncertain democracies, Baltimore, The J. Hopkins Univ. Press, 1986. Przeworski (A.), Democracy and the market, Cambridge, Cambridge Univ. Press, 1991.

3- HUNTINGTON, S., The Third Wave: Democratization in the Late Twentieth Century, Norman, University of Oklahoma Press, 1991.