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Quand les routes de la soie divisent l’Europe

par Akram Belkaïd, Paris

La fréquence avec laquelle le thème de la Chine dans l’économie mondiale revient dans cette chronique démontre à quel point l’empire du milieu est désormais un acteur incontournable. Pas une semaine ne passe sans que l’on évoque les grandes ambitions de Pékin, qu’elles se réalisent ou qu’elles soient contrariées. Aujourd’hui, c’est la tournée européenne du président chinois Xi Jinping qui fait l’événement. Si toutes les capitales lui déroulent le tapis rouge en espérant commandes et investissements, l’heure est aussi à l’inquiétude.

Restrictions à l’investissement

La question posée est simple : l’Europe est-elle menacée de passer sous influence chinoise voire sous contrôle chinois ? Année après année, l’importance économique de la Chine dans le vieux continent se renforce. Depuis 2010, plusieurs centaines de ses entreprises – deux tiers des concernées sont étatiques – y ont investi près de 145 milliards d’euros. Certes, le cabinet américain Rhodium Group relève un ralentissement de ces investissements (37,2 milliards d’euros en 2016 contre 17,3 milliards en 2018). Mais le mouvement est enclenché, alimentant les peurs de voir l’Europe devenir une dépendance chinoise.

De nombreux experts expliquent que les pays européens, notamment ceux de l’Ouest (Allemagne, France, Grande-Bretagne et Italie) et du Nord (pays scandinaves), intéressent la Chine parce que cette dernière a encore besoin de savoir-faire et de compétences pour faire monter ses productions en gamme. Alors que les Etats-Unis sont vus comme une forteresse bien gardée, notamment dans les domaines de la technologie, de l’intelligence artificielle, du numérique ou des nanotechnologies, l’Europe, plus ouverte sur le plan des lois commerciales, serait une cible plus facile.

De nombreuses capitales, dont Paris, veulent donc une «Europe plus forte» vis-à-vis de la Chine. Cela se traduit par des lois plus restrictives, des limitations en termes d’accès au capital d’entreprises ciblées. Le 14 février dernier, le Parlement européen a voté un texte pour le contrôle des investisseurs non-communautaires dans les secteurs stratégiques (intelligence artificielle, télécoms, robotique…). De son côté, l’Allemagne peut désormais bloquer une acquisition menée par un opérateur étranger si le rachat dépasse 10% (contre 25% précédemment) du capital de la société allemande concernée par l’opération. Bref, l’Europe ne veut plus être la région «naïve» où chacun peut venir faire son marché.

L’Italie rejoint la BRI

Mais cette fermeté a ses failles. Dans un contexte économique tendu, les investissements chinois sont souvent accueillis à bras ouverts. Portugal, Grèce, Pays-Bas, Suède et République tchèque n’ont guère fait obstacle à un passage de certains de leurs fleurons sous contrôle chinois. Plus important encore, l’Italie est désormais le premier membre du G7 à intégrer le projet chinois de Routes de la soie (Belt & Road Initiative ou BRI). Pour mémoire, il s’agit d’un gigantesque plan d’investissements et de développement à l’échelle mondial dont Pékin prévoit la conduite jusqu’en 2049, date du premier centenaire de la République populaire de Chine. A ce jour, il concerne 69 pays, notamment d’Asie.

La Belt & Road Initiative prévoit la construction d’un nombre important d’infrastructures (routes, ports, voies ferrées, villes nouvelles…) financées par Pékin et réalisées par des entreprises chinoises. Avec ce grand projet du XXIème siècle, unique en son genre et sans rival mondial, la Chine disposera d’outils d’envergure pour redessiner la carte mondiale des flux de marchandises. Une perspective qui inquiète désormais les Etats-Unis lesquels mettent en garde l’Europe contre toute adhésion à ce programme. En adhérant à la BRI, l’Italie vient donc d’affaiblir la position européenne en créant un précédent qui ne devrait pas rester isolé.