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Mon pays l'Algérie : après la réaction citoyenne, il faut passer à l'action politique

par Saïd Demmane

  "La tactique consiste à savoir ce qu'il faut faire quand il y a quelque chose à faire. La stratégie consiste à savoir ce qu'il faut faire quand il n'y a rien à faire". De Savielly Tartakover.

C'est une affirmation du maître d'échecs Savielly Tartakover qui m'a interpellé tant elle est pleine de sens pour aller vers une solution qui serait la résultante des forces en présence, un juste compromis pour éviter des développements qui pourraient porter préjudice au pays et à toute sa composante.

Après que les Algériens dans leur grande majorité se sont exprimés, je pense que le constat est fait et, il ne souffre d'aucune équivoque ! Maintenant, il faut aller de l'avant et pour cela, l'action politique est requise mais comment y aller ?

Estimer que tous ceux qui ont composé, à tort ou à raison, même sous la contrainte, mais en toute conscience, doivent dégager, est une erreur car ce serait plus que la moitié d'entre nous qui serait concernée !

Il ne faut surtout pas confondre l'Etat nation en particulier, les acteurs de tous bords qui l'animent, qui assurent son fonctionnement, la survie de toute l'architecture de la République, des vrais responsables qui ont agi délibérément au détriment de cette même République.

Nous devons faire preuve de lucidité, éviter les extrêmes, être à la hauteur des enjeux au travers de choix réfléchis, appropriés et très important, responsables pour ne pas rater cette page historique que les Algériens ont déjà commencé à écrire.

Quand j'entends qu'il est question de bloquer l'économie du pays au travers d'appels à l'arrêt de l'outil de production national dans des secteurs comme celui des hydrocarbures, cela ne peut être que l'œuvre des ennemis de l'Algérie en totale contradiction avec la maturité affichée par nos citoyens ces dernières semaines.

Alors soyons vigilants !!

Ils ne sont pas nombreux ceux qui ont privilégié leurs intérêts aux dépens du pays ; la majorité d'entre eux est bien identifiée ; il faut les inviter fraternellement et dans le calme à se mettre en retrait de la République, en leur proposant des actions constructives, intelligentes, réalistes et réalisables en direction de la création d'une nouvelle République, dont le fondement serait le régime parlementaire, et, ne plus dépendre du bon vouloir d'une seule personne, Président (e) élu fût-il (elle).

Cela ne peut se faire en toute quiétude et sérénité que si l'on se met autour d'une table pour une passation pacifique entre une classe dirigeante actuelle, que l'histoire a déjà archivée, et la nouvelle génération qui a décidé de prendre son destin en main et s'inscrire dans la modernité, la gouvernance, l'économie du savoir et la mondialisation une sorte de seconde conciliation nationale.

Faudrait-il être tacticien ou stratège, comme le souligne le maître d'échecs Savielly, pour sortir de l'impasse actuelle compte tenu de la complexité de la situation et des retombées tragiques qui pourraient en découler ? Je considère que nous sommes dans les deux cas, à savoir, qu'il y a des choses que l'on peut à ce stade faire et d'autres que l'on ne peut pas à ce stade faire.

Regardons notre histoire très récente et essayons d'en tirer les enseignements tout en évitant, par respect aux chouhadas, d'aborder la période de notre glorieuse révolution.

Après 1962, avec la désignation du Président Ben Bella, les règlements de comptes entre révolutionnaires, le coup d'Etat du 19 juin 1965 qui a porté le Président Boumediene aux commandes du pays, assisté par un Conseil de la Révolution, cette décennie qui a vu la centralisation des pouvoirs par une minorité bien qu'animée par un patriotisme sans faille, a dévoyé les objectifs de la Révolution, à savoir construire une République démocratique et populaire.

Le Conseil de la Révolution avec ses personnalités diverses a régné sans partage sur l'Algérie et, vers la fin de cette décennie, quand le Président Boumediene a envisagé une ouverture institutionnelle, il est subitement tombé malade et mourut en 1978.

A la suite de conclaves (?) semble-t-il, le Président Chadli a été investi comme Président bien avant son élection. Nous connaissons la suite, une ouverture non contrôlée s'est traduite par un cafouillage au plan économique et un ratage des premiers pas vers la mondialisation ; 1986 effondrement du prix du pétrole et en octobre 88 le soulèvement populaire ; une revendication populaire réprimée par les tenants du pouvoir qui considéraient l'Algérie comme leur propriété. Par la suite, une nouvelle Constitution, la libération de la presse, une conférence nationale, un gouvernement de " réformes " nous ont donné l'illusion du début d'un processus démocratique mais, vite enterré par le coup d'Etat constitutionnel en 1991 ; la démission forcée du Président Chadli pourtant très conciliant pour, entres autres, garder la mainmise sur le pouvoir et les recettes des hydrocarbures.

On qualifia cela comme un redressement historique et salutaire ; peut-être bien, mais on ne le saura jamais ! Le fait est que, une fois le redressement opéré, on retomba vite dans les travers du passé ; chassez le naturel il revient au galop !

La boîte de Pandore ouverte, des groupes armés envahissent du jour au lendemain et mystérieusement le quotidien des Algériens comme si, l'Etat n'existait plus ; l'état d'urgence est proclamé ! Comment s'en sortir ? Une trouvaille ingénieuse pour ses concepteurs : la création et l'installation du " Haut Comité de l'Etat (HCE) " adossé à une sorte de Parlement " CNT ", avec une légitimité inventée de toute pièce, il prit la destinée du pays et tel Machiavel, cerise sur le gâteau, on fIt revenir un historique le regretté Boudiaf réputé pour son amour pour la patrie, sa probité et, comme le ferait un metteur en scène, les détenteurs du pouvoir nous ont fait jouer à l'instar d'un film ô combien réel, des rôles pré-écrits et dont la fin fut dramatique pour l'Algérie et, pour le défunt Boudiaf qui a osé désigner la mafia politico-financière comme à l'origine de tous les maux du pays !!!

Après l'assassinat de Boudiaf, il est mis fin au mandat du HCE et, à nouveau par consensus basé sur la légitimité de la guerre de libération, un général fut investi de la fonction présidentielle avec l'objectif premier de ramener la paix en réconciliant la société avec elle-même sans oublier, l'impératif de permettre au pouvoir en place de perdurer.

Bref, le tour est encore fois joué sauf que, le général Zéroual en l'occurrence ne respecta pas le deal et se mit sérieusement à la tâche. On releva immédiatement le soutien d'une grande partie des Algériens à ce général dont le franc-parler a conquis la majorité d'entre eux ; d'ailleurs, il est le véritable artisan de la concorde nationale qui est à l'origine du dépôt des armes par les groupes armés, notamment le groupe AIS.

Il fut rappelé à l'ordre par les tenants du pouvoir à telle enseigne qu'il démissionna et resta digne durant la période de transition et, même à ce jour toujours refusant d'œuvrer au détriment de son pays.

L'arrivée d'un compagnon de Boumediene à la présidence de la République, véhiculait un espoir certain et, les préjugés étaient favorables.

Parce que cette contribution doit s'attarder plutôt sur les préconisations pour sortie en urgence de l'impasse politique actuelle, je préfère résumer les (4) mandats par des constats et indicateurs que d'aucuns peuvent relever aujourd'hui.

Il y a 20 ans, on dépendait de l'exportation de la seule ressource hydrocarbure ; c'est toujours le cas ; aucune valorisation locale en termes de valeur ajoutée. Nous sommes toujours dépendants de l'importation pour se nourrir, pour se soigner, dépendant des prestations de services de sociétés étrangères pour boire, pour être transporté, pour gérer des infrastructures pour extraire nos richesses, pour produire notre énergie? etc. !

Il y a 20 ans, les secteurs de la santé, de l'éducation, du tourisme pour ne citer que ceux-là, n'étaient pas à niveau ; aucun progrès notable n'est relevé aujourd'hui !

Bien sûre que des réalisations ont été enregistrées dont certaines à saluer (logements, paiement de la dette, épargne devises?) mais, pas à la hauteur des ambitions d'une période où le prix du baril dépassait les 100 USD, l'arbre ne peut cacher la forêt ! Le plus grave c'est la démission du citoyen, conséquence d'amendements répétés de la Constituions, d'élections non transparentes et une banalisation généralisée sans précédents de l'Etat et de ses institutions.

Bien plus, comble du désespoir, nous imprimons sans compter et sans contrepartie productive notre monnaie ! Près de 40 milliards de dollars en une année qui plus est, n'est pas injectée dans l'économie formelle car, détournée et thésaurisée au lieu d'aller chercher cette somme à travers la régulation et le contrôle au niveau des activités informelles ; quel gâchis dans 18 mois au maximum, si rien n'est entrepris, on risque d'être dans le scénario actuel du Venezuela pays membre de l'OPEP dont le peuple vit un véritable cauchemar.

J'ai tenu à travers ce bref rappel, souligner les péripéties et, les manœuvres opérées par le pouvoir en place pour rester aux commandes du pays ! C'est cela qui risque de se reproduire aujourd'hui.

Nous connaissons plus au moins les véritables intentions des uns et des autres, dont, les repentis de la dernière heure, ceux qui quittent le bateau en premier pour se doter d'une nouvelle virginité et, espérer rebondir avec la vague qui arrive.

Maintenant que le compte a rebours a commencé, il faut refermer la boîte de Pandore, être tacticien et stratège pour franchir le pas vers l'action politique et, arracher pacifiquement des concessions à même de garantir les étapes à venir, à savoir des élections nationales et régionales ouvertes et transparentes dans des délais raisonnables dotant ainsi le pays d'Institutions crédibles depuis l'APC jusqu'à la présidence de la République, s'assurer de la séparation des pouvoirs et surtout l'indépendance de la justice.

Le comment ? Chacun a sa version ; moi-même j'en ai formulé une la semaine passée dans une autre contribution et, je saisis l'occasion de celle-ci pour l'enrichir compte tenu de l'évolution de la scène politique :

1. Agissons concrètement au plan politique pour profiter du statut actuel du Président pour donner au cadre de négociation et étapes du très court terme un habillage institutionnel.

2. Ne plus évoquer la Constitution, celle-ci n'a en réalité servi que des desseins inavoués d'ailleurs, certains pays n'en disposent même pas et ne s'en porte pas plus mal.

3. Les promoteurs, au nombre de "trois" de la feuille de route du Président de la République, peuvent être des interlocuteurs en son nom pour entamer les premiers rounds de négociations au sein d'un " Comité des Sages " que les représentants de la démarche citoyenne pour une deuxième République doivent rejoindre.

4. Ce Comité des Sages peut être élargi sans pour autant alourdir sa composante ; disons (5+5) plus (2) représentants du MDN.

5. L'ordre du jour consistera à valider un programme d'actions concrètes au plus tard le jeudi 28 mars courant et à les faire adopter par décrets présidentiels dans la semaine qui suit leurs adoptions c'est-à-dire au plus tard le jeudi 04 avril prochain:

- Dissolution des deux chambres parlementaires.

- Fin de mandat pour les membres du Conseil Constitutionnel.

- Création d'une Assemblée populaire constituante pour une durée d'une année avec comme prérogatives de voter une loi qui supprime le régime présidentiel au profit du régime parlementaire, de désigner un gouvernement de transition, de constituer une commission parlementaire d'organisation et de supervision durant ces 12 mois de toutes les élections nationales et régionales.

6. La désignation et l'installation de cette nouvelle Assemblée devra intervenir au plus tard le Jeudi 18 avril prochain et s'attèlera à installer un le Gouvernement provisoire au plus tard le jeudi 25 avril prochain.

7. Le 28 avril le Président décide :

- De se retirer pour raison de santé, le Président élu de la nouvelle Assemblée constituante assurera l'intérim pour 3 mois et organisera

- l'élection présidentielle.

- De rester pendant la période de transition de 12 mois ; cela ne posera pas de problèmes s'agissant d'un régime parlementaire. Son rôle sera protocolaire, la passation se fera dans la sérénité et la sécurité ; l'élection présidentielle dans ce cas interviendra dans les 12 mois.

- Le plus important c'est le changement radical et non le départ d'un Président qui est déjà dans les faits.

Pendant les 12 mois nous aurons à élire une APN ; un Senat, les membres du Conseil Constitutionnel, les procureurs et les juges mais aussi, les walis et APW, les maires et APC.

Une fois ce processus achevé, nous débattrons et adopterons la nouvelle Constitution de la République algérienne démocratique et populaire.

IN CHA ALLAH