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Le pouvoir en Algérie: «Des pieds-noirs aux pieds-sales» (Suite et fin)

par A. Boumezrag

Mais, il s'agit d'un système pervers narcissique c'est-à-dire qu'il manque d'empathie à l'égard du peuple, il ne reconnaît pas ses erreurs, il ne se culpabilise jamais, il vit de mensonges, il est centré sur lui-même et devient agressif dès qu'il est découvert. Il n'aime pas la lumière du jour, il préfère les ténèbres de la nuit pour mieux vampiriser. C'est finalement une coquille vide qui éprouve un besoin impérieux de se remplir pour exister. Maintenant que le masque tombe, il apparaît dans tout son horreur et toute sa nullité. Il ne changera pas ; il est destructeur dans l'âme. Le système n'offre comme seule alternative que deux solutions, la fuite ou le suicide. La fuite permet de prendre ses distances vis-à-vis de l'Etat et de son potentiel destructeur et corrupteur. Le suicide est de chercher ailleurs le paradis virtuel en tentant de traverser la Méditerranée dans des embarcations de fortune ou le paradis céleste en s'engageant dans des mouvements révolutionnaires. En vérité, le but n'est pas de rejoindre le paradis mais de quitter le pays qui est vécu comme un enfer. Un pays qui ressemble à "une prison à ciel ouvert entre les mains de dirigeants sans foi ni loi, assoiffés de sang et d'argent".

La mort est préférable à la vie pour de nombreux jeunes désespérés qui font le lit de la pérennité du pouvoir profondément aliéné et aliénant. C'est dire que l'appétit de domination de l'Etat est grand et la complicité des puissances étrangères indestructibles, notamment l'ex puissance coloniale. Pour se prémunir contre toute atteinte qui lui sera fatale, le système utilise les hommes comme des préservatifs ; une fois servis, il les jette dans la poubelle de l'histoire. Un système qui ne considère pas les Algériens comme des êtres humains mais comme des objets que l'on peut posséder avec quelques billets de banque imprimés en quantité plus que nécessaire sans monnaie d'appoint pour apprendre à compter. Mais à quoi bon savoir compter, puisque les comptes sont faux. Un système qui achète les consciences et vend des illusions. Un système qui a l'art et la manière de faire marcher les chiens debout et les hommes à quatre pattes.

Des êtres que rien ne semble les distinguer des détritus qui jonchent le sol. On se trouve devant une société coupée entre le réel vécu et le virtuel délirant, produisant des pathologies psychiatriques difficiles à stabiliser, quelle que soit la thérapie proposée. Le système politique algérien est incapable de jouer le rôle antique de maître vis-à-vis de ses esclaves, il est incapable d'exploiter leur force de travail, de les nourrir, ou de s'en défaire sans s'auto détruire. Il est pris dans son propre piège. En dehors des ressources pétrolières et gazières, il ne peut survivre. Pour se maintenir, le régime algérien n'a que deux choix, soit faire appel à une puissance étrangère pour protéger ses propres intérêts, soit démocratiser le pays et prendre des risques de se voir déposséder. Renoncer au pouvoir, c'est perdre la propriété acquise, la seule solution c'est de s'accrocher au système lequel tient sa force de l'armée et de la rente pétrolière, il s'agit d'une question de sécurité à la fois physique et psychique. Rester au pouvoir est la seule garantie contre d'éventuelles poursuites judiciaires engagées par un gouvernement légitime qui sera dans l'obligation de veiller à la défense des intérêts de la majorité qui lui a accordé sa confiance. C'est pourquoi, le contrôle de l'Etat, de l'économie et des citoyens est un impératif majeur pour la pérennité du régime. Si par le passé, l'armée pouvait renverser les régimes politiques avec l'appui de l'étranger et le soutien local, aujourd'hui, les coups d'Etat comme mode d'évolution du pouvoir sont rejetés aussi bien par les populations que par la communauté internationale. L'absence de débats et de critiques, en raison de l'absence d'enjeux scientifiques, les luttes n'opposent pas des écoles de pensée mais des clans. Elles mettent en jeu la domination des relais qui donnent accès à l'autorité de l'Etat et donc aux ressources du pays.

Le financement de l'Etat doit être assuré par la contribution financière des citoyens. La fiscalité pétrolière et gazière doit céder la place à la fiscalité ordinaire sur les patrimoines et les revenus. Or, il nous semble qu'une amélioration des termes de l'échange avec les pays développés ne peut être acquise que par une valorisation du travail autochtone. L'insertion dans le marché mondial fragilise l'Etat algérien soumis aux aléas de la conjoncture mondiale. Cette dépendance de l'économie aux hydrocarbures répond à une logique de conservation de pouvoir savamment orchestrée et patiemment mise en œuvre dont le seul but est de profiter des richesses du pays en toute impunité, sans se soucier du sort des nouvelles générations. L'Algérie s'est trouvée livrée "pieds et poings liés" aux multinationales dont le but est le profit et non la création d'emploi ou la satisfaction des besoins d'une société pour des raisons humanitaires.

D'un point de vue capitaliste, les êtres humains se divisent en deux groupes, ceux qui peuvent payer et ceux qui ne le peuvent pas. Les Occidentaux appellent les premiers les consommateurs. Et nous sommes, dit-on, une société de consommation alors que nous ne disposons pas d'une économie de production. Fabriquer des billets de banque dans une économie rentière mono exportatrice vivant des importations est une absurdité. Le recours au crédit international s'imposera tôt ou tard et dans des conditions draconiennes n'ayant plus de gages à présenter et plus de crédit à consommer. La situation financière n'empêchera pas l'Etat de poursuivre la construction publique à bénéfice privé par l'emprunt international.

Les flux financiers internationaux s'orientaient vers des projets "pharaoniques". Le cas de Riad El Feth dans les années 80 et la construction de la grande mosquée d'Alger ces dernières années à la faveur d'une embellie financière conjoncturelle sont symptomatiques à cet égard. Ils seront aussi destinés aux dépenses militaires, dans la consommation des produits de haute gamme ou contribuent même à la fuite des capitaux opérés par des dirigeants publics ou privés mais jamais dans l'autosuffisance alimentaire ou la création massive d'emplois durables productifs. C'est l'économie du crédit international qui tisse sa toile sur le tiers-monde pour gager ses créances, non pas sur une promesse d'un travail social productif mais sur une complicité d'un pillage des ressources énergétiques. Le service de la dette contraint mieux que toute domination politique directe les pays sous-développés à livrer leur matière première ou énergie contre une paix sociale précaire et le maintien des privilèges des gouvernants. Tant que les pays subiront les contraintes imposées par la logique capitaliste dominante, ils ne pourront mettre en place un modèle de développement endogène capable de compter sur ses propres forces afin de satisfaire les besoins essentiels de la majorité de leur population. En effet, les échanges internationaux répondent aux intérêts des pays dominants plutôt qu'à ceux des pays hégémoniques où la classe au pouvoir leur sert de relais. Le crédit international sert également à bloquer, à asphyxier les pays qui prétendent s'engager dans un développement le plus autonome possible et forger des structures sociales participatives. L'Algérie a raté une occasion en or de sortir de ce cercle vicieux par la hausse inespérée du cours du pétrole sur une longue période. Dans la mesure où la production et la reproduction des bases matérielles de ces sociétés reposent de plus en plus sur l'économie mondiale, la maîtrise de l'instance économique et politique échappe au contrôle des acteurs sociaux du tiers-monde. A partir du moment où le rythme de croissance s'infléchit, les moteurs de la machine politique se grippent et les dysfonctionnements du système menacent la stabilité de l'Etat. Or il arrive que les exigences du système politique dépassent les capacités de l'économie, des failles se dessinent sur la façade du modèle qui a pour noms chômage, affairisme, corruption, inégalités croissantes et régression de l'économie. La militarisation des régimes politiques constitue une des formes d'expression de la situation de dépendance de ces pays. L'Algérie s'est singularisée par une mainmise des militaires dans les affaires de l'Etat et par leur disposition à l'action dans un champ politique.

Tout système qui prétend imposer d'en haut le bien de tous malgré toutes les résistances se transforme en oppression.

Questions :

- Est-il certain que l'Etat autoritaire est le meilleur constructeur de la nation ?

- Est-il certain que les populations sont incapables de voir où se trouvent leurs intérêts ?

- Est-il certain qu'elles sont incapables d'accepter les sacrifices que la construction de la nation exige ?

- Ces populations seront-elles nécessairement plus incapables que les élites qui prétendent être les authentiques interprètes de leurs intérêts ?

Malheureusement les peuples sont résignés. Il faut survivre et donc se taire. Mais la liberté n'est pas morte, elle attend son heure. Cette heure est finalement arrivée, le peuple est sorti dans la rue manifester en grand nombre sa colère contre un système corrompu et répressif. Quand un peuple décide de briser ses chaînes, le destin s'y pliera, si telle est la volonté de Dieu.

Après une longue nuit d'un sommeil artificiel sous l'effet de l'administration de psychotropes que sont les revenus pétroliers et gaziers, le peuple algérien s'est réveillé miraculeusement dans un sursaut national salvateur réclamant sa libération des mains des "usurpateurs" du sang des martyrs de la révolution. Avec l'indépendance les Algériens se sont débarrassés des colons français, aujourd'hui, sont-ils prêts à se débarrasser de leurs commis ? Si les "pieds-noirs" ont une patrie : la France, les "pieds-sales" ont perdu la leur : l'Algérie. Une Algérie nouvelle vient de naître. Elle marche debout et non sur son ventre. Elle réfléchit désormais avec sa tête et plus jamais avec ses pieds. Elle veut retrouver sa dignité et sa fierté. Elle refuse de tendre la main au pouvoir. Un pouvoir qu'elle sait en fin de vie, ses jours sont comptés. La Méditerranée ne sera plus un cimetière à ciel ouvert, elle sera un lac de paix, de solidarité et de prospérité entre tous les peuples des deux rives. Le Maghreb des peuples renaîtra de ses cendres. Les peuples sont faits pour s'entendre, se connaître et s'apprécier les uns et les autres dans la joie et la bonne humeur. Dieu unit, il est un ; le marché divise, il est deux : l'offre et la demande. Diviser pour régner a été la devise des hommes au pouvoir pour dominer les peuples. Les Etats sont sommés aujourd'hui de répondre aux aspirations de leurs peuples qui demandent plus de liberté, de justice et de progrès. Les Etats ne sont pas des météorites tombés du ciel pour faire le bonheur des hommes sur terre malgré eux, mais des produits des peuples libres et laborieux. Plus rien n'arrêtera les peuples en marche, ni la force, ni l'argent, ni la ruse. Victor Hugo disait : "Le jour où le peuple sera intelligent, il sera souverain". De la légitimité historique à la légitimité populaire, d'une révolution violente à une révolution pacifique, le temps s'accélère, l'histoire n'attend pas les retardataires.