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L'addiction à Facebook : plus de vie privée avec notre consentement

par Chems Eddine Chitour*

  Avec ces manifestations pour la dignité et l'espérance depuis quatre semaines nous avons offert un cadeau inestimable aux GAFA. En effet, les Algériennes et les Algériens viennent d'enrichir la base de données de Facebook en distribuant généreusement sans le savoir des données personnelles qu'ils croient protégées.

De tout temps les hommes ont tenté, par l'imagination, de sortir du présent et de s'évader dans le monde du futur ; il en fut ainsi de Aldous Huxley avec «Le meilleur des Mondes» et de tant d'autres comme Georges Orwell. Souvenons-nous, dans les années 70 on parlait de l'an 2000 comme d'un horizon indépassable ; dans un film culte «L'Odyssée de l'espace » le réalisateur Arthur Clarke a rendu compte de ce saut vers le futur. Mais qu'est-ce que au juste l'intelligence artificielle ? Cedric Villani, médaille Fields de mathématiques, donne une définition : «L'intelligence artificielle (IA) est un programme fondé autour d'un objectif ambitieux : comprendre comment fonctionne la cognition humaine et la reproduire ; créer des processus cognitifs comparables à ceux de l'être humain. Le champ est donc naturellement extrêmement vaste, tant en ce qui concerne les procédures techniques utilisées que les disciplines convoquées : mathématiques, informatique, sciences cognitives? Les méthodes d'IA sont très nombreuses et diverses (ontologique, apprentissage par renforcement, apprentissage, réseaux de neurones) (1) L'intelligence est un marché qui va peser plusieurs milliards de dollars dans la prochaine décennie, ce qui explique l'investissement important des GAFA (Google, Amazon, Facebbok, Apple).

L'avenir selon Google : si vous n'êtes pas connecté, vous êtes suspect !

La prophétie d'Orwell est plus que jamais à l'œuvre. Big Brother veille sur vous. D'abord à notre insu et depuis Google, il nous est fait injonction de nous «déclarer». L'ambition finale : écrire l'avenir. C'était le thème central de l'ouvrage signé par Eric Schmidt, ancien P-DG de Google, intitulé «A nous d'écrire l'avenir». On trouve dans le premier chapitre des ébauches de technologies futuristes à foison, allant d'algorithmes contrôlant à peu près tout à des implants externes pour ne rien oublier, en passant par des caissons holographiques pour se téléporter virtuellement dans un autre lieu. La mort elle-même n'est, finalement, qu'un problème à résoudre, un «miracle à l'envers» selon Ray Kurzweil, gourou du transhumanisme et chef de l'ingénierie chez Google. (2)

Pierre Haski abonde dans le même sens que Philippe Vion-Dury, en analysant l'ouvrage cité plus haut en expliquant qu'on peut être suspect, rien qu'en refusant : deux pontes de Google promettent une apocalypse dont seuls les géants de la technologie pourront nous sauver : «les deux auteurs annoncent la fin de la vie privée et de l'anonymat à l'ère numérique, avec l'apparition de «la première génération d'êtres humains à avoir un dossier indélébile» (...). Pire, le refus de se plier à cette ère du tout-connecté sera suspect aux yeux des autorités, tous régimes confondus : «Un gouvernement pourra suspecter que les personnes qui choisiront de rester, totalement à l'extérieur ont quelque chose à cacher et sont, donc, plus susceptibles de violer la loi. Les gouvernements, par précaution antiterroriste, pourront faire un fichier des «gens cachés» (...). Dans leur conclusion, les auteurs nous expliquent qu'en fait, les sociétés de technologie sont les mieux placées pour sauver le monde (...). Le monde vu par Google est donc relativement simple : la technologie va nous faire entrer dans une époque pleine de menaces pour l'individu, pour les sociétés, pour les Etats. Et seul le savoir-faire de ceux qui maîtrisent la technologie peut nous permettre d'éviter les catastrophes. CQFD» (3).

«Vinton Cerf, considéré comme l'un des pères fondateurs d'Internet et futurologue chez Google, a annoncé que conserver une vie privée sur Internet ne sera plus la norme, et que cela sera à l'avenir un objectif quasiment inatteignable. Nous essaimons en permanence des informations personnelles, et ce à un rythme sans cesse plus important (?). Si je sors de chez moi pour aller faire des courses au supermarché, mon opérateur téléphonique retiendra dans ses infrastructures informatiques mon déplacement, par l'intermédiaire des antennes 3G qui accrocheront mon portable tout au long du trajet qui me mène à Monoprix. Puis, une fois mes courses effectuées, le GIE Carte Bleue ainsi que ma banque, retiendront cet élément de ma vie privée, Monoprix - dont je possède une carte de fidélité - aura de son coté un inventaire complet de mes emplettes, lui permettant de savoir une multitude de choses à mon sujet : quel est mon alimentation (bio ? équilibrée ? Trop de sucres ?), la taille de mon foyer (des enfants ? Combien ? Quels âges ?) Voilà comment en à peine vingt minutes - le temps de faire mes courses - je disperse à travers une multitude de systèmes d'informations dont le grand public n'a pas vraiment conscience, un nombre effrayant de données concernant directement ma vie privée. Vous noterez qu'à ce stade, je n'ai pas encore utilisé internet» (4).

«La vie privée, lit-on sur cette contribution, est menacée d'extinction dans notre monde numérique. Nous devons comprendre que notre vie privée intéresse plusieurs types d'acteurs. Les entreprises qui cherchent à affiner leur marketing et les Etats qui cherchent à anticiper et comprendre les changements au sein du social afin de maintenir une certaine forme de stabilité sociale et lutter contre tout ce qui peut y porter atteinte, à lutter contre le terrorisme, ce qui est en général la raison invoquée pour justifier cette surveillance» (5).

Facebook est un service d'espionnage selon le lanceur d'alerte Edward Snowden Plus d'un quart de la population utilise Facebook. Elle pourrait devenir le sous traitant de la NSA américaine dans les dix prochaines années. La surveillance de masse a d'ailleurs été entérinée par le Sénat américain en renouvelant le programme de surveillance de l'internet par la NSA. Google la société de Marc Zuckerberg est capable de déterminer des éléments du quotidien avec précision. Parmi les données aspirées même quand l'ordinateur est fermé on compte l'adresse IP de l'ordinateur, sa géolocalisation l'adresse mail, le trajet de la souris sur l'écran, le temps, partie sur telle ou telle partie d'une page, que l'on croit être seul à voir même les messages messengers sont décryptées. Facebook récupère toutes les données disponibles sur l'ordinateur sur le téléphone grâce à ses algorithmes. Les mentions «j'aime» et «partager» contraignent le navigateur internet à transmettre des données de l'internaute même s'il n'a pas cliqué dessus. Avec la reconnaissance faciale, les algorithmes permettent de ficher tout le monde même si c'est une seule fois? Si on y ajoute notre dossier médical qui rentre même dans l'intime jusqu'au génome, nous n'avons plus rien à cacher ! Adieu la personnalité humaine !

Où s'arrêtera la science et la tentation prométhéenne de l'homme ?

Entre intelligence artificielle et nouvelles technologies, le cerveau humain a du souci à se faire, la crainte du docteur Laurent Alexandre qui lance un nouveau cri d'alarme, lors des Assises de la sécurité et des systèmes d'information (SSI), un rendez-vous pour les décisionnaires dans le domaine qui s'est tenu du 1er au 4 octobre 2014 : «si jusque-là, écrit-il, la peur des NBIC - carrefour des Nanotechnologies, des Biotechnologies, de l'Informatique et des sciences Cognitives- relevait de la science-fiction, attendons de voir ce que nous réserve la réalité dans les prochaines décennies. Le cerveau humain serait en danger. Avec comme plus grande menace, Google» (6).

«Notre identité est fondée sur notre cerveau», explique-t-il, mais un continuum est en train de s'établir entre le cerveau biologique, l'intelligence artificielle et les neurosciences. D'ailleurs, les objets connectés, ces extensions de notre corps et de notre cerveau, servent déjà en quelque sorte d'assistants neuronaux. A terme, plus de différence donc entre l'intelligence artificielle et l'intelligence «biologique»? C'est bien possible. En fait, selon lui, c'est même sûr. «Entre l'intelligence artificielle et les neurosciences, il n'y aura pas de différence à terme, parce qu'un cerveau c'est un ordinateur fait de viande». «Le fait nouveau, rapporte l'auteur, c'est que nous sommes en train de passer d'un hacking artisanal à un hacking industriel, avec les technologies NBIC». A ce propos, les ambitions des dirigeants de Google sont on ne peut plus claires : vaincre la mort (le géant du web a pour objectif de 20 ans d'espérance de vie gagnés d'ici 2035), développer l'intelligence artificielle et interfacer cette dernière avec le cerveau biologique. Raymond Kurzweil, ingénieur en chef chez Google, est convaincu qu'en 2045, l'intelligence artificielle sera un milliard de fois plus puissante que les 8 milliards de cerveaux humains réunis. Stephen Hawking, dans une tribune sur The Guardian en mai 2014, expliquait lui que les scénarios à la Terminator n'étaient pas impossibles. «la neuropolitique va émerger», Pour le Dr Laurent Alexandre la neurosécurité pourrait, bientôt, devenir le premier des droits de l'homme (6).

Stephen Hawking, ajoute «.L'impact à court terme de l'intelligence artificielle dépend de qui la contrôle. Et, à long terme, de savoir si elle peut être tout simplement contrôlée». Mais le plus préoccupant, ce n'est pas cela. C'est la possibilité que la machine se retourne contre l'homme, non parce qu'elle aurait acquis, comme par magie, une conscience maléfique, mais parce que les capacités de calcul limité des programmeurs ne peuvent pas éviter l'apparition d'effets pervers. Ce type de technique pourrait se lancer seule et se reproduire à une vitesse accélérée. Les humains, limités par la lenteur de leur évolution biologique, ne pourraient pas rivaliser et seraient dépassés» (7).

Conclusion

De plus et plus largement, les conséquences de certaines avancées peuvent constituer un danger pour la condition humaine. La «Singularité Technologique». Ce concept tend à l'immortalité digitale, permet de conserver l'intelligence et le cerveau de l'Homme pour l'éternité. L'Homme a rendu indispensable les nouvelles technologies à sa vie. Kurzweil explique que «nous allons devenir de plus en plus «non-biologiques», au point où les parties non-biologiques domineront et que les parties biologiques ne seront plus importantes. Du coup, même si cette partie biologique était retirée, cela ne ferait aucune différence (...). Nous aurons également des corps non biologiques - nous pouvons créer des corps virtuels et une réalité virtuelle aussi réaliste que la réalité réelle. Nous serons, donc, capables de changer de façon routinière de corps, mais aussi d'environnement, très rapidement (8).

Face à ces dangers, la communauté scientifique se mobilise. A la suite d'une conférence internationale organisée par l'Institut du Futur de l'Humanité, le 2 janvier 2015, une lettre ouverte a été publiée pour inciter le monde de la recherche à ne pas se concentrer uniquement sur le développement des capacités de l'intelligence artificielle, mais aussi sur ses bénéfices pour la société et la constitution de garde-fous. Ces technologies sont à l'évidence utiles ; mais demandent un temps pour accepter de les intégrer dans l'environnement. L'assistance à l'humain dans des tâches répétitives et usantes ou pour accompagner moralement des personnes isolées est positive. La place des robots dans notre vie quotidienne est inéluctable: l'éducation des enfants dès la naissance, les actes de chirurgie, la production des biens de consommation. Il faut cependant faire attention que ces objets vivants ne soient pas amenés à nous «échapper» en prenant des décisions à notre place (9).

Les certitudes dangereuses des apprentis sorciers sur l'intelligence artificielle amènent à un légitime questionnement. Il est de ce fait évident qu'il nous faut faire très attention. L'utilisation débridée de Facebook peut amener à des surprises et personne ne doit penser qu'il est protégé avec ses ruses de sioux. Facebook aura toujours le dernier mot ; faisons gaffe en ayant à l'esprit qu'en acceptant de «naviguer» nous sommes une victime potentielle et ce que nous écrivons peut nous revenir comme un boomerang !!

S'agissant à titre d'exemple de ce que nous faisons de Facebook en Algérie, nous pouvons être quasi-certains que nous sommes fichés sous toutes les coutures. On va même plus loin, il semble que le génome des Algériens commence à être connu. Certains se sont même lancés dans la recherche de leur ancêtre ! pour 1000 $ mais beaucoup plus cher si on veut décrypter de toutes les façons tel que c'est parti, l'homme des années 2030 sera de plus en plus digital ; difficile dans ces conditions de rester simplement humains A trop jouer avec le feu, on risque de perdre ce qui est notre patrimoine le plus précieux ; notre humanité.

* Professeur

Ecole Polytechnique

Notes :

1. Cedric Villani : Donner un sens à l'intelligence artificielle Mission parlementaire du 8 septembre 2017 au 8 mars 2018 (France)

2. Eric Schmid : A nous d'écrire l'avenir. Edtions Denoël. Paris. Novembre 2013.

3.http://www.rue89.com/2013/05/07/lavenir-selon-google-si-netes-connecte-etes-suspect-242084

4.http://www.atlantico.fr/decryptage/futurologue-en-chef-google-annonce-fin-vie-privee-faut-resoudre-fabrice-epelboin-frederic-jutant-906467.html

5. https://www.contrepoints.org/2018/07/15/320277-la-vie-privee-est-menacee-dextinction-dans-notre-monde-numerique

6. Stéphane Desmichelle http://www.sciencesetavenir.fr/sante/20141021.OBS2699/hacker-le-cerveau-la-menace-ultime.html#obs-article-mainpic

7.Catherine Gouëset 02/12/2014 http:// www.lexpress.fr/actualite/sciences/pour-stephen-hawking-l-intelligence-artificielle-menace-le-genre-humain_1628230.html #ZoQYRd9z0T5 JDKaG.99

8. http://www.agoravox.fr/actualites/technologies/article/2045-l-homme-sera-immortel-147343

9.http://www.lexpressiondz.com/chroniques/analyses_du_professeur_ chitour/212890-une-arme-qui-pourrait-detruire-l-humanite.html