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La tentation de l'intervention étrangère

par Mourad Benachenhou

  Que les autorités publiques le reconnaissent ou non, le mouvement populaire actuel échappe totalement à leur contrôle.

Une situation de paralysie politique au sommet de l'état

Elles n'ont ni la possibilité de le réprimer en faisant usage des moyens sécuritaires dont elles disposent ni la capacité de le neutraliser politiquement en convaincant la population d'adhérer à leur propre feuille de route, qui est, en fait, une vaine tentative de retourner au statu quo politique que ce mouvement spontané a finalement brisé.

La vaine tentative de reprendre la main, par l'effet d'annonce que crée la tentative de mise en place d'un gouvernement de « personnalités, » supposées être « apolitiques, » et de mobiliser des appuis à l'étranger pour faire pression sur les manifestants algériens, en tentant de les isoler de tout soutien extérieur, apparaît vouée à l'échec, car il est difficile de croire que la perte de crédibilité des autorités officielles puisse être atténuée par des bruits de chaise, au niveau ministériel ou des applaudissements venus de l'étranger

De plus, ce mouvement, si bien intégré dans la population, tirant sa source de la mobilisation populaire, et non concocté par des « officines étrangères, » est très peu sensible, si ce n'est indifférent, aux positions prises, ça et là, dans les grandes capitales de ce monde, en son appui, ou contre lui.

La mobilisation par les autorités publiques d'appuis étrangers pour la feuille de route, sans effet, sur le mouvement populaire

Donc, la mobilisation des « leviers extérieurs, » pour crédibiliser auprès des « observateurs étrangers,» - concernés, à juste titre, au vu de leurs intérêts nationaux, par la situation actuelle dans le pays, - la démarche des autorités publiques, maintenant en sa première étape, et délégitimer le mouvement populaire pacifique, pose problème politiquement, vu que ce qui se passe est strictement interne, et, de plus, son impact est insignifiant sur l'évolution du mouvement. Quelle que soit l'habilité des diplomates « au long cours , » remis en selle pour la circonstance, tous leurs arguments, si bien conçus soient-ils pour gagner la conviction de leurs interlocuteurs, et qu'ils pourraient leur présenter, sont réduits à néant par l'ampleur de la mobilisation populaire et les erreurs stratégiques accumulées par l'équipe dont ils font partie.

Tous les observateurs étrangers peuvent constater, sans avoir à utiliser leurs « hommes de l'ombre, » les errements de la stratégie suivie par les autorités publiques pour imposer le maintien à la tête du pays d'un homme qui, visiblement, n'est plus en mesure d'assumer sa charge depuis plusieurs années. Ils peuvent, également, établir un lien clair, de cause à effet,, entre le soulèvement populaire pacifique et cette stratégie.

De plus, et encore plus important à leurs yeux, ces observateurs sont, sans aucun doute, convaincus que la complexité et l'ampleur de leurs liens avec l'Algérie sont telles que, quelle que soit l'autorité au pouvoir dans ce pays, ces liens ne pâtiront pas des changements qui pourraient survenir à sa tête. Ces interlocuteurs étrangers auraient même intérêt à ce que l'Algérie mette rapidement derrière elle cette situation de crise, dont le prolongement ne pourrait qu'affecter tant leur position que la donne géostratégique de la région. Ils opteraient , sans doute, pour prodiguer aux autorités nationales actuelles des conseils de modération et de sagesse, plutôt que de les pousser à l'emploi de méthodes rudes pouvant aggraver les choses, et déboucher sur des conséquences dramatiques imprévisibles et incontrôlables. Il est évident que certaines « puissances, » qui ne veulent pas que du bien au peuple algérien, pourraient être tentées de jouer la politique du pire, sans compter les « exagérations journalistiques, » destinées plus à attirer le maximum de téléspectateurs ou de lecteurs, pour des motivations publicitaires, bassement commerciales, qu'à informer le grand public, mais dont la crédibilité est vite ébranlée dans ce monde « branché » et où les sources alternatives d'informations ne manquent pas.

Les autorités publiques doivent accepter que la sortie de la crise passe par le peuple, et non par les capitales étrangères

Donc, la recherche d'appuis étrangers pour la démarche triptyque décidée, unilatéralement, par les autorités publiques, risque de ne pas donner les résultats attendus, quels que soient, par ailleurs, les talents diplomatiques mobilisés pour cette entreprise. Les autorités publiques vont se retrouver face au seul interlocuteur qui compte, et qui est la clef à la sortie de crise, à savoir : le peuple, maintenant en foule dans les rues des villes et villages, et mobilisé en masse tous les Vendredi après la prière de l'après-midi. C'est avec ces manifestants que ces autorités doivent dialoguer, d'une manière ou d'une autre, ou convaincre, pour qu'elles retrouvent la crédibilité nécessaire pour continuer à assumer leurs responsabilités, et dans le cas contraire, pour prendre acte et se préparer à céder la place à plus représentatifs qu'elles.

C'est une vérité dont ces autorités doivent accepter la puissance, que le pouvoir populaire s'exprime dans la rue, et nulle part ailleurs, et qu'il ne sert à rien de « travailler » les puissances qui comptent dans ce monde, si ces mêmes autorités ne sont pas capables de convaincre leur propre peuple, sans usage de la violence, et par des moyens politiques convaincants autres que l'obstination à s'en tenir à une démarche qui ne contribue pas à sortir le pays de la profonde crise politique actuelle.

En conclusion

Les autorités publiques ne peuvent pas casser la situation d'assiégées dans laquelle elles se sont mises, en faisant appel à la compréhension et à l'appui des puissances étrangères. C'est au peuple algérien que viendra la levée du siège dans lequel elles sont, qu'elles le consentent ou non. Le peuple, est, à l'égard de ces autorités, dans une position de force, que celles-ci le reconnaissent ou pas. Est-ce à dire que, dans un avenir proche, ce peuple viendra, finalement, à bout d'un système politique qui domine les affaires du pays depuis l'indépendance ? Loin de là ! Il ne s'agit pas de mettre en doute la puissance de ce mouvement, ni sa capacité à bouleverser profondément le paysage politique du pays, mais simplement de rappeler que le cours de l'Histoire n'obéit ni aux règles de la physique ni aux théorèmes de la géométrie ni même aux sophismes de la rhétorique, que le poids de la masse mobilisée n'est pas suffisant pour assurer que la balance du pouvoir penche en faveur de la majorité des citoyens, de même que la ligne droite, en politique, n'est pas toujours la distance la plus courte d'un point à un autre, et que le syllogisme établissant un lien logique entre le pouvoir et la puissance est plus que souvent démenti par la réalité.

La victoire est loin d'être acquise, et la dynamique politique nouvelle créée par ce mouvement populaire, qui prend l'aspect d'un soulèvement pacifique contre l'ordre établi, ancré dans la société depuis près de soixante années, passera par de nombreuses étapes, dont certaines seront sans doute douloureuses, avant que l'objectif final, c'est-à-dire la mise en place d'un système politique plus transparent et plus conforme aux vœux de la population, soit atteint.