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Le pouvoir en Algérie: «Des pieds-noirs aux pieds-sales» (1ère partie)

par A. Boumezrag

"Un peuple qui raisonne peut à chaque instant devenir une armée de révolutionnaires" Jean Dutourd

Qu'est-ce que l'indépendance d'un pays ? Est-ce la continuité, la rupture ou le legs de l'Etat colonial ? Tenter une réponse à ces questions est une opération bien périlleuse.

L'histoire officielle nous apprend que le pouvoir colonial avait atrophié l'initiative privée, empêché le développement autonome, marginalisé les autochtones. La réalité d'aujourd'hui nous interpelle. Le pouvoir post-colonial n'a-t-il pas poursuivi la même politique ? On croit savoir que la colonisation a été toujours placée sous le signe de l'économie dirigée et que de l'Etat colonial à l'Etat national ne s'est opéré qu'un certain déplacement du centre relais. Ce qui n'était qu'un centre administratif devient capitale, d'où un certain recentrage politique.

L'acquisition de l'indépendance politique ne signifiait pour autant ni l'indépendance économique ni l'abdication de la France coloniale. "L'indépendance est comme un pont. Au départ personne n'en veut ; à l'arrivée tout le monde l'emprunte". C'est le syndicat des promus de l'indépendance, les parvenus politiques qui se transforment en corporation des bénéficiaires de l'Etat, c'est-à-dire les héritiers du pouvoir colonial. Cette élite "moderne", culturellement aliénée, extravertie, modelée par la culture européenne et de bas étage, échappe difficilement au piège des modèles étrangers, en particulier sur le plan des institutions étatiques, du pouvoir et du développement. Il est intéressant de savoir que le modèle nationaliste inspiré de la mystique soviétique a permis aux dirigeants algériens d'occulter au nom de l'idéologie socialiste ses apparences avec le modèle colonial français. La colonisation française prédisposait au développement de la fonction publique et au centralisme jacobin. C'est la colonisation qui a donné naissance aux classes dirigeantes qui, à la suite d'un processus d'indépendance, ont reproduit médiocrement le modèle des métropoles au dépens de la recherche d'une authentique socio-économique et culturelle propre. Le transfert du pouvoir perpétuait indirectement le système de dépendance économique et culturelle vis-à-vis de la métropole. Le nationalisme s'est révélé bien souvent qu'un acte illusoire de souveraineté. L'indépendance politique n'avait pas suffi à elle seule à briser les liens de dépendance tissés à travers 130 ans de colonisation.

L'Etat centraliste et ostentatoire dérivé du modèle colonial a suscité le régionalisme, les dérives de l'intégrisme de ceux qu'il enferme dans un nationalisme formel. Si la recherche de l'indépendance fut un principe légitime, les pouvoirs mis en place n'ont pas toujours respecté les aspirations populaires qu'elle impliquait. En effet, depuis 1962, ne se sont succédé que des régimes autoritaires. En juin 1965, un coup d'Etat met un militaire au pouvoir, le colonel Boumediene. Depuis, les militaires n'ont jamais quitté le pouvoir. Pour le colonel Boumediene, l'intérêt de la nation algérienne était de s'identifier à son Etat, par conséquent de le subir. Dans cette optique, il fallait qu'elle puisse l'appréhender avant tout comme un Etat providence en faisant croire à la population que la providence se trouve au sommet de l'Etat et non dans le sous-sol saharien. Le nationalisme illusoire, le socialisme spécifique et le libéralisme débridé comme idéologies ont joué un rôle primordial dans cette stratégie. Ceci met en évidence les liens existants entre les idéologies et la politique prébendier. Cette dernière est permise par le développement de la rente énergétique suivi de l'endettement qui sert autant à équiper l'armée, à acheter la paix sociale qu'à financer les infrastructures de base. De plus la disponibilité de la rente pétrolière et les facilités d'endettement ont permis la stabilité globale du personnel politique, car les options ne pouvaient jamais être radicalement remises en cause. Il est frappant d'ailleurs de constater l'absence de réflexions critiques sur les choix économiques internes. Si dans un premier temps, la politique appliquée eut un certain succès grâce à la rente pétrolière, elle a connu par la suite une évolution négative causée notamment par la censure imposée à l'information et par la cécité douteuse vis-à-vis de la corruption impliquant un certain nombre d'officiels. La loi du silence instaurée par le MALG, reconduite par la SM et poursuivie par le DRS, s'est imposée à la façade civile de la gestion économique et financière du régime militaire en place. Un régime qui n'a pas pour vocation de construire une économie ou de bâtir une démocratie mais de se perpétuer au pouvoir. Jusqu'à présent, le seul remède que l'on est pu trouver pour éviter le scandale, c'est de garder le secret et d'empêcher toute publication jugée nuisible. L'Etat étant toujours entre les mains de personnels qui ont tous des défauts et des qualités de l'espèce humaine. Mais il est juste de dire que le "pouvoir absolu corrompt absolument". Et que plus un Etat est dictatorial est violent plus il affiche des prétentions de moralité.

Car, ce qui différencie la corruption dans une démocratie et la corruption dans une dictature, c'est que dans la première, elle est connue, dans la seconde elle est secrète. L'erreur de Boumediene, le père fondateur du régime politique toujours en vigueur à ce jour, réside à notre sens dans l'automatisme qui consiste à vouloir se débarrasser de ce que l'on a (y compris sa jeunesse) au lieu de l'employer productivement chez soi. La finalité de l'économie fut ainsi dévoyée, car il ne s'agissait pas d'améliorer ses conditions de vie par son travail mais par celui des autres grâce à la nationalisation des hydrocarbures et au relèvement des termes de l'échange avec l'extérieur et les revenus en devises concentrés entre les mains de l'Etat propriétaire des gisements pétroliers et gaziers. Evidemment, qui investit l'Etat s'accapare les ressources du pays. Qui tient la bourse, tient le peuple, et qui tient le peuple se perpétue au pouvoir. L'émancipation de la population passe par la libération de l'économie dominée par la rente et du retrait de l'armée de la gestion de la société et de l'économie. Parvenue au pouvoir au nom de l'indépendance et du développement, la petite bourgeoisie, héritière de l'administration coloniale, ayant évolué en marge de la lutte de libération nationale, venant d'horizon divers, disposant d'un bagage intellectuel limité, animée d'un patriotisme et d'une moralité discutable, s'investit massivement dans l'appareil de l'Etat naissant, pesant lourdement dans la prise de décision, elle se transforme en classe dominante qui conçoit la rente pétrolière et gazière comme un instrument d'une modernisation de l'Etat sans mobilisation de la nation.

De ce fait, l'Etat s'est dispensé de mettre au travail la population pour la maintenir indéfiniment sous sa dépendance. Vivant de la rente pétrolière et gazière, l'Etat jouissant d'une autonomie financière appréciable, n'avait par conséquent nullement besoin d'imposer les citoyens ni de taxer les produits pour financer son budget notamment de fonctionnement.

D'autant plus que l'Etat tire un avantage certain à ce que la population ne soit pas occupée utilement dans des emplois productifs durables et crée des richesses par elle-même de crainte qu'elle se libère de la domination étatique et réclame aux dirigeants des comptes sur la gestion des ressources du pays. Le nouvel Etat se retrouve à la fois propriétaire public et puissance publique d'où la confusion des pouvoirs et l'irresponsabilité dans la gestion. Une situation qui perdure soixante après l'indépendance. A croire que le temps et la société n'ont pas de prise sur le système en place. Aujourd'hui que la rente se tarit, que l'armée se replie, la société s'affole, les institutions vacillent, le système s'effondre. Un système qui a pris pour habitude d'apporter de fausses solutions à de vrais problèmes.

Le pouvoir a commis deux erreurs stratégiques impardonnables : la première est de croire que l'armée est détentrice exclusive de la légitimité historique de l'accession à l'indépendance du pays, la seconde est de croire que le pétrole et le gaz sont les seules ressources nationales qui permettent de rester aux commandes du pays sans en rendre compte de leur gestion à personne, même pas à soi-même. "Croire à une chose parce qu'on ne peut pas croire à son contraire, c'est au-dessus de nos forces". Alors que pour notre voisin de l'ouest, "gouverner c'est pleuvoir"; pour les Algériens, "gouverner c'est importer". Heureusement que l'eau est un don de Dieu et non un produit marchand, que Dieu soit loué ! Si la pluie était un produit fabriqué par les usines occidentales, on n'aurait pas hésité à l'importer pour peu qu'on touche sa commission au passage. Mais l'horrible vérité, c'est peut-être que les gouvernants qui se sont succédé ont besoin des importations pour asservir leur population. Un peuple de paysans indépendants vivant de ses récoltes pourrait devenir têtu et fier pour demander l'aumône à ses dirigeants. C'est pourquoi les premières victimes des politiques agricoles sont les paysans indépendants, et ce à commencer par la révolution agraire. La révolution agraire a donné l'illusion que la justice sociale est rétablie alors qu'en réalité c'est le travail de la terre qu'on enterre. La rente pétrolière rend dérisoire le surplus agricole potentiel et la facilité de payer les importations croissantes joue un rôle dissuasif vis-à-vis de l'urgence du développement agricole. Les importations sont un instrument imparable d'aliénation très efficace qui permet aux élites dirigeantes d'accumuler plus de pouvoir et plus de richesses. Mais cela peut également les mener à leur perte. La flambée des prix de produits alimentaires sur le marché international a été un des facteurs déclenchant de la chute des dictatures arabes et africaines. Un système pervers qui produit des diabétiques en quantité industrielle et leur propose un remède miraculeux mettant leurs vies en danger. Quand le sucre manque au corps humain, le système immunitaire va le chercher dans la graisse ou dans les muscles mais jamais dans les os. Par contre, un gouvernement qui manque d'argent va le puiser dans les pensions de retraites et des handicapés et non dans les fortunes illicites et les hauts revenus des fonctionnaires de l'Etat.

D'un autre côté, l'excès de sucre dans le corps fragilise les vaisseaux sanguins, le médecin recommande des exercices physiques et un régime alimentaire adéquat combinant sucre lent et sucre rapide. En période d'abondance d'argent, le gouvernement anesthésie la population en lui chuchotant à l'oreille "dormez, dormez, dormez bien braves gens, l'Etat est là pour veiller sur votre sommeil" et le peuple y répond en poursuivant son sommeil jusqu'à ce que mort s'ensuive. Il recommande à sa clientèle un cycle d'enrichissement rapide par le biais du commerce de "l'import-import" et des commissions sur les contrats publics gangrenant la société et non de gagner de l'argent par un cycle long de production et d'investissement profitable au pays et aux citoyens.

A suivre