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Crise de représentativité politique en Algérie 

par Hakem Bachir

La représentation politique vise à permettre à ceux qui ne peuvent pas contrôler personnellement le pouvoir politique, de le faire par l'intermédiaire des représentants, mais, ce moyen n'a pas été à la hauteur des aspirations du peuple algérien. Le mouvement populaire algérien qui a commencé le 22 février 2019 et qui a réussi à réunir plusieurs millions de citoyens le 15 mars 2019 de marcher pacifiquement dans toutes les villes et villages du pays, a montré la grandeur du peuple de ce pays. Aujourd'hui, après 4 semaines, ce mouvement ne s'essouffle toujours pas, mais au contraire, car le vendredi 15 mars 2019, il varie entre 12 et 15 millions de citoyens. Le renoncement de candidature du président de la République à briguer un cinquième mandat dénoncé par le peuple, vu l'état de santé de ce dernier, fut applaudi le 08 mars 2019, mais son remplacement par une prolongation et la nomination des mêmes personnes du système qui ont conduit l'Algérie à la faillite aussi bien politique qu'économique et encouragé la corruption à tous les niveaux, ont gâché la joie du peuple. Et très vite, le peuple sorti, la nuit du 08 mars pour fêter cette victoire, s'est rétracté après cette nomination, car les citoyens qui ont cru au début du changement du système, savent que la transition vers une vraie république et un Etat de droit ne peut se faire avec ceux qui ont été à la base des fraudes aux élections. La réponse du peuple à cette supercherie fut très forte le 15 mars 2019 où l'on annonce plus de 15 millions de citoyens qui ont manifesté, parmi eux 04 millions dans la capitale Alger, ces chiffres qui font froid dans le dos des hommes du système algérien, ont ébahi le monde vu le pacifisme et le civisme du peuple algérien. Ce pacifisme et ce civisme de la population algérienne furent partagés dans la joie même avec les forces de l'ordre, qui se sont jointes aux manifestants en fin de journée. Les citoyens et les forces de l'ordre sont aujourd'hui d'accord sur un changement de système, une non-prolongation de mandat présidentiel, mais le problème qui se pose aujourd'hui qui pourra faire cette transition, car le citoyen n'a plus confiance en des représentants qui l'ont trahi et cherchent à le représenter en se targuant d'être intègres. La course à la représentativité a commencé bien avant le 22 février 2019, et les plateaux de télévision continuent à jouer le jeu du système pour montrer des beaux orateurs, avocats ou syndicalistes ou présidents de partis ou d'associations, lesquels cachent bien leurs ambitions, mais le peuple n'est pas dupe. Aujourd'hui, le mouvement populaire citoyen de 2019 ne veut plus de ces visages, car ce ne sont pas ces personnes qui l'ont organisé, il réclame des vrais représentants jeunes dont la moyenne d'âge ne doit pas dépasser une quarantaine d'années qui feront les mêmes rêves de cette jeunesse algérienne dont plus de 75% a moins de 45 ans.

Oui, aujourd'hui en Algérie, la représentation parlementaire connaît une crise de légitimité due à divers facteurs :

Les politiciens utilisent ce que l'on appelle dans le jargon politique, « la cassette » ou la « langue de bois» :

? Fraudes électorales.

? Abstention de plus de 80 % des électeurs.

? Des lobbies dirigent les politiques et les assemblées.

? Décalage grandissant entre la classe politique (les représentants) et l'électorat (les représentés).

? Conflits sociaux.

? Aucun veto, toutes les décisions du gouvernement sont approuvées.

? Manque de transparence dans les déclarations de patrimoine des responsables politiques au début et à la fin du mandat.

? Scandale des politiques et immunité.

? Les promesses ne sont pas tenues par les élus.

? Salaire exorbitant : le salaire d'un député est quand même bien supérieur à celui de la moyenne des Algériens, celui d'un ministre encore plus.

? Les gouvernements et les présidents sont champions des promesses non tenues.

? Trop de cumul de mandats dans toutes les deux assemblées pour ne rien faire.

? Le politique n'est plus au service du citoyen et le vrai pouvoir est chez les décideurs économiques

? Baisse du pouvoir d'achat croissant sans solution.

Ces faits nous ont menés aujourd'hui à la crise de la représentation, accentué par :

- Discrédit des leaders politiques.

- Défiance envers les représentants.

- Difficile transcription du social en politique.

- Sentiment d'une dépossession.

- La distance qui sépare les Algériens et leurs représentants, sur un certain nombre de projets majeurs s'agrandit.

Tout cela a poussé plus de 90 % de la population d'être des anti-systèmes et les 80 % boycotteurs des élections sont pour la plupart en situation « très précaire » ou « difficile » ou en « perte de confiance ». Le moteur de chaque mouvement social est composé de jeunes instruits rencontrant des difficultés à s'insérer dans le marché national du travail. La population étant devenue radicalement un anti-système au cours des années sans réaction et, était devenue démissionnaire de la vie politique, cela a amené les représentants eux aussi à leur tour à se déconnecter de plus en plus de la réalité sociale.

Les plus démunis et les déçus ont plongé dans la « harga» ou dans l'absorption de drogue, car ils avaient perdu tout espoir. Le premier objectif de ces derniers pour retrouver espoir s'est appuyé sur la critique du système politique en vigueur dans le pays pour mettre en place une démocratie réellement représentative qui s'occupe de résoudre les problèmes fondamentaux des citoyens, c'est-à-dire qui les représente réellement. Le système déconnecté n'a jamais parié que le désespoir grandissant pouvait conduire à une révolte sans fin et que le seuil de la peur sur laquelle les gouvernants avaient bâti leurs politiques avait une limite et était dépassé, car les réseaux sociaux étaient là pour déjouer cela.        La politique de la main étrangère ou de la décennie noire ou de régionalisme, ou de Syrie, ou de printemps arabe, ou de Libye, ou de légitimité historique, ou de langue ou d'idéologie, est révolue et le cinquième mandat est d'abord un mandat de trop, celui de la prise de conscience et du regain d'espoir grâce à une unité citoyenne et une mobilisation record bâties sur deux points :

? Pas de cinquième mandat.

? Changement de système et une nouvelle république.

Le 22 février a été la sonnette d'alarme, car depuis 1962, l'Algérie grâce au cinquième mandat et au président de la République n'a jamais été aussi unifiée. Et aujourd'hui son seul problème est celui de la crise représentative, car le changement de système est acquis et accepté, mais cela se fera par qui telle est la question ?

La solution est aux mains des décideurs et elle est très simple, il suffit d'abord de ne pas transgresser la Constitution, de mettre fin à cette mascarade de prolongation de mandat et de dissoudre les deux chambres. A partir de là on pourra commencer à bâtir l'Etat de droit lequel nous permettra d'accéder à notre seconde indépendance. Ne refaisons pas les erreurs du passé pour permettre à de nouveaux loups d'accéder au pouvoir grâce à une gouvernance non constitutionnelle.

L'application de la Constitution est la clé qui consolidera notre unité, car trois mois de patience avec une vraie volonté de passer le flambeau aux enfants de l'Algérie de demain sont suffisants à bâtir la deuxième république.

Aujourd'hui, le peuple algérien voit au loin les loups jeunes ou moins jeunes qui montrent leurs dents pour accéder au pouvoir ou détruire le pays. Commençons par nous réconcilier, personne n'est perdant ni les hommes du système ni les anti-systèmes, car l'Algérie appartient à tous et est restée debout malgré que nos ennemis de l'intérieur et de l'extérieur attendent toujours sa chute. Laissons de côté notre entêtement et barrons la route à tous et appliquons notre Constitution pour faire la transition dans trois mois. Notre crise de représentativité sera résolue grâce à la future république et à la nouvelle Constitution qui nous permettra d'élire pour la première fois démocratiquement notre président, car le peuple sera maintenant là pour contrôler et organiser ces élections. Et choisissons aussi pour la première fois démocratiquement nos représentants, car nous n'avons rien à envier au monde développé, à quelques kilomètres de nos frontières, de l'autre côté de la Méditerranée, et nos dernières marches pacifiques et civilisées l'ont démontré.