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Ils ont marché, on a marché, nous marcherons

par Bouchikhi Nourredine

Tel a été le slogan de ce jour grandiose qui s'inscrit dans l'histoire de l'Algérie contemporaine, celle d'un peuple longtemps contraint au silence.

De mémoire, c'est la première fois que j'ai eu la chance et l'honneur de participer à une marche pour exprimer avec le peuple de manière non partisane le raz-le bol d'un système gangréné, arrivé à bout de souffle. Le peuple n'a pas eu d'autres moyens de faire entendre sa voix, il ne s'est jamais senti concerné par les turpitudes partisanes, les médias serviles et les porte-paroles désignés et imposés. Ce jour-là et dès l'accomplissement de la prière du vendredi, une marée humaine se forma rapidement dans notre ville à l'instar de l'ensemble des autres villes comme rapporté par les médias. Une foule immense dont on pouvait difficilement distinguer la tête de la queue, toutes les couches sociales étaient représentées, il y avait surtout les jeunes, filles et garçons, des familles entières, des fonctionnaires, des médecins, des retraités, des femmes portant le hidjab et d'autres sans, des vieux avec leurs petits-enfants et même des contestataires en fauteuil roulant, seuls manquaient à l'appel les caciques rentiers du système et certains visages qui se réclament du salafisme et qui n'avaient pas eu l'aval et les fatwas de leurs mentors orientaux, car contraire à leur idéologie qui est classiquement du côté des dictateurs où qu'ils soient, en Egypte, en Arabie saoudite ou en Libye. Ils tiennent pour le moment le bâton par le bout en attendant que les choses deviennent plus claires pour se rallier avec le puissant du moment. Mais ce n'est pas le sujet du jour.

Les slogans dénotaient d'une grande maturité, écrits en arabe, en français et fait nouveau en anglais qui doit prendre à l'occasion la place de la langue de l'ancien colonisateur dont le président, méprisant les foules aspirant à la liberté et la démocratie, est venu plutôt secourir le système qu'il parraine et avec lequel il trouve son intérêt. Le peuple ne doit compter finalement que sur soi-même. Ils étaient (les slogans) incisifs, clairs, nets et précis au point que la prétendue conférence à laquelle appellent les tenants du système et les invitations de ses nouveaux représentants récemment reconditionnés pour enjoliver la sauce n'ont aucune utilité si ce n'est une manière de gagner du temps et de jouer l'usure. Les revendications n'ont point besoin d'une conférence concoctée pour qu'elles soient déchiffrées par une équipe qui veut endosser le rôle de juge et partie; les exigences scandées par la rue sont les mêmes partout mais il semble sûrement utile de les rappeler à ceux qui font la sourde oreille afin de sauvegarder leurs intérêts plutôt que ceux de la nation qu'ils pensent être les seuls à en détenir le secret et l'exclusivité.

« Pas de prolongation du quatrième mandat, pas de place aux vétérans du système qui ont gouverné à l'écart des aspirations populaires, le FLN dégage, Respect de la Constitution, Liberté de la justice, Liberté de la presse, revendications auxquelles on doit y ajouter, le libre choix syndical, le libre choix partisan, le libre choix associatif ».

Toutes ces attentes ne constituent en fait qu'un SMIC démocratique nécessaire au redressement de la situation avant qu'elle ne s'embourbe davantage. L'image d'un pouvoir occulte se renforce aux yeux des Algériens depuis la révélation de la dernière lettre attribuée au président Bouteflika dans laquelle il dément toute volonté de briguer un 5ème mandat et qui s'inscrit en faux et en totale contradiction avec sa lettre programme dans laquelle on lui a prêté la volonté de se porter candidat; une preuve irréfutable que c'est une main invisible qui pilote le bateau, le président semble étranger à tout ce qui se trame et c'est compréhensible vu son état de santé et vu l'immensité du chantier qui exige toute la maîtrise de ses capacités physiques et mentales.

Les sorties médiatiques du nouveau Premier ministre, de son vice-ministre ainsi que de l'ancien et vieux diplomate dont on ne sait quel poste officiel il détient n'ont pas dérogé aux us et coutumes en s'exprimant dans une langue de bois devenue incompréhensible et non convaincante pour cette génération avertie et révèlent toutes les difficultés pour essayer de s'extirper de ce marécage dont ils se sont aventurés.

Le peuple n'a pas besoin d'un tuteur qui s'est attribué le rôle de médecin pour juger de l'état de santé du président et essayer de nous vendre une image irréaliste de la situation, au contraire, cela ne pourrait que renforcer le peuple pris pour débile dans sa quête de recouvrer sa dignité bafouée, sa légitimité, sa liberté et enfin sa citoyenneté.

Ils ont marché, on a marché, nous marcherons. C'est le verbe à conjuguer à toutes les personnes et surtout au présent et au futur, c'est la seule stratégie qui pourra faire entendre la détresse du peuple et ébranler les convictions d'un pouvoir devenu pesant et de plus en plus impopulaire. La vigilance demeure de mise, éviter à tout prix de répondre aux violences et aux provocations, terrain sur lequel le système excelle et qu'il pourrait être tenté de s'y aventurer.