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Mouvement populaire: Bouleverser l'ordre établi

par Ghania Oukazi

Confronté à une crise politique aiguë, le pouvoir en place a choisi de constituer un gouvernement de technocrates pour une courte durée et dont la seule et unique mission est d'accompagner l'organisation d'une conférence appelée à «déterminer les valeurs fondamentales et constitutionnelles de l'Etat algérien».

C'est Nouredine Bedoui qui l'a affirmé jeudi dernier lors de sa première conférence de presse en tant que 1er ministre. Nommé en tant que tel il y a moins d'une semaine, l'ex-ministre de l'Intérieur a été chargé de la délicate tâche et ô combien sensible de convaincre «les marcheurs» que le pouvoir se met à leur disposition pour répondre «vite et bien» à la prise en charge de leurs revendications sans, cependant, s'ingérer dans comment et avec quels moyens procéderont-ils à leur concrétisation.

Le message de Bedoui, véhiculé aussi par son vice-1er ministre, a été clair, «le gouvernement n'est pas l'organisateur de la conférence nationale inclusive et indépendante mais il lui est un facilitateur». Interrogé d'ailleurs sur par qui et comment sera représenté le mouvement populaire dans cette rencontre, le 1er ministre a répondu que «ce n'est pas au gouvernement de mettre en place la méthodologie ou les mécanismes de la représentativité, le gouvernement central et local sera à la disposition de la conférence, si elle le demande, elle trouvera tout l'appui qui lui sera nécessaire». C'est comme si le pouvoir veut se transformer en une agence événementielle pour juste accorder la logistique qu'il faut pour la tenue de la conférence en question...

La précision de Bedoui vient cependant faire éviter le raccourci et fait savoir que «la conférence sera ouverte à tout le monde, mais il nous sera impossible d'y arriver si on ne se rencontre pas, on ne discute pas entre nous, on ne s'écoute pas les uns les autres». Tout est dans cette obligation que se fait le pouvoir de vouloir «discuter, dialoguer et se concerter» avec les représentants du mouvement populaire et «ceux particulièrement de l'opposition». Son vice-1er ministre Ramtane Lamamra semble installer un cadre à ces éventuelles tractations. «Les 7 décisions du président de la République constituent un tout global, elles ne peuvent être dissociées mais elles peuvent être enrichies par la conférence pour sortir avec une plate-forme consensuelle qui sera adoptée par un référendum». Il explique encore qu'«il faut qu'il y ait des concertations entre nous tous au préalable pour savoir le nombre de participants à la conférence, pour savoir qui dirigera les séances, préciser si une personnalité politique présidera les travaux ou plusieurs, si cette personnalité doit être désignée ou élue, si elle doit avoir une instance où siégeront des jeunes (...).»

Les nouveaux « coordonateurs » d'un gouvernement attendu la semaine prochaine ont rapporté la feuille de route que le président de la République ou son clan, peu importe le signataire, ont conçue pour, a dit Bedoui, «répondre vite et bien aux aspirations du peuple algérien». C'est ainsi qu'aux nombreuses questions qui lui ont été posées, le 1er ministre a eu comme seule réponse « la nécessité de dialoguer, de s'écouter mutuellement et de s'entendre sur une plate-forme consensuelle ».

Dans l'attente «d'une chute imminente»

Le pouvoir a jeté la balle dans le camp des marcheurs en leur demandant de s'organiser, de choisir leurs représentants à la conférence nationale à la tenue de laquelle il tient fortement. La réponse ne s'est pas fait attendre. «On n'a besoin ni de conférence ni de discours. Ya serakin, khlitou el bled ! Partez ! Partez tous! Pouvoir au peuple !» disaient les pancartes de l'important mouvement populaire d'hier vendredi. Les marcheurs rendent ainsi la pareille au pouvoir et jettent eux aussi la balle dans son camp. Dialogue de sourds ? De têtus ? Tout y est pendant que les partis dits d'opposition se délectent de ce qu'ils pensent être la chute imminente du pouvoir. Sortis de «la côte gauche (anatomie)» de tous les pouvoirs qui ont été en place, les opposants soutiennent aujourd'hui un mouvement populaire qu'ils n'ont jamais réussi à constituer même en lançant les pires insultes à l'égard du clan Bouteflika.

Nés à l'ombre des généraux, formatés pour répondre aux exigences du régime civil et militaire, un grand nombre d'entre eux ont préféré souffler le chaud et le froid pour certainement ne pas se retrouver en déphasage lorsque tous les dés seront jetés. Il y en a même certains d'entre eux qui doivent se rappeler que lorsqu'ils étaient gouvernants l'un de leurs forfaits est d'avoir signé la loi empêchant les marches dans Alger. La rue a d'ailleurs bien compris le jeu en se démarquant et du pouvoir et de ses opposants. Elle veut révolutionner les «mauvaises» mœurs et bouleverser l'ordre établi mais d'une manière qu'elle veut apolitique. Preuve en est, quatre vendredis de suite de marches grandioses mais en vain, aucun leader n'en a émergé. Des noms circulent appartenant notamment à des partis politiques mais aucun n'a bénéficié d'un consensus populaire.

Il est évident que tous les pouvoirs qui se sont succédé à ce jour n'ont jamais permis l'émergence de compétences, de véritables leaders politiques ou d'une élite forte et structurée. Mais le pouvoir par définition de « l'accaparement » n'est pas pour le faire. La France coloniale, une des puissances de l'Alliance atlantique, n'a pas frappé aux portes des Algériens pour les pousser à la combattre et la faire sortir de leurs territoires. Face à son important armement, ses pratiques de la torture, son pouvoir colonisateur, une poignée d'Algériens n'ont pas hésité à lui tenir tête. Ils étaient jeunes et souriants mais vifs et combatifs avec cependant sans aucun moyen pour mener une guerre d'indépendance. Ils se sont organisés, formés, constitués en force de persuasion, de lutte et surtout de sacrifices.

Quand le sacrifice fait défaut...

Ils ont arraché l'indépendance d'un pays-continent d'un colonisateur qui y a semé la terreur et le crime. Ils l'ont fait au prix de leur vie. L'histoire a ainsi enseigné aux Algériens-gouvernants et gouvernés- qu'il ne faut jamais rien attendre de ceux qui s'imposent par la force. La guerre de libération nationale est la leçon qui doit, en principe, être retenue à cet effet pour préparer l'édification de la 2ème République.

Cette guerre d'indépendance, avec ses nombreuses zones d'ombre, ses tiraillements, ses règlements de compte, ses liquidations physiques, son régionalisme, son clientélisme, ses mensonges, restera la plus belle page de l'histoire du pays.

Les enseignements devaient en être tirés tout de suite après l'indépendance. Ce qui n'a jamais été fait puisque l'Algérie a évolué depuis 1962 avec et sous les effets des même fautes et des mêmes fléaux.

Aujourd'hui, si le pouvoir essaie de sauver la (sa) face en proposant une conférence nationale inclusive pour en sortir une plate-forme consensuelle, la rue, elle, s'entête à la rejeter « dans le fond et dans la forme » sans pour autant lui en proposer une alternative. Elle n'en a ni les moyens ni les capacités politiques pour pouvoir le faire.

La revendication du «départ de tout le système» ne semble d'ailleurs pas réfléchie et n'a rien de politique, mais plutôt une réaction spontanée d'un éveil populaire face au poids des privations longtemps subies. «Le système est une mentalité» dit Mohamed Bahloul, chercheur universitaire de l'université d'Oran, directeur de l'institut des ressources humaines. Le système que les marcheurs veulent partir est une pratique dont les conséquences ont miné la gouvernance, les institutions, la société, les citoyens, le quotidien de tout un pays.

En a résulté un laisser-aller et une anarchie sous toutes leurs facettes qui ne gênent ni gouvernants ni gouvernés. Tout se vend, tout s'achète, sans vergogne.

Le système occupe l'administration, l'école, l'université, la rue, les quartiers... A-t-on les gouvernants qu'on mérite ? Ce n'est pas à démontrer. L'absence de leaders, de sacrifices et d'abnégation des élites en est une évidence.       Le mouvement populaire risque de se faire écraser sa force et sa beauté par le poids de la mauvaise foi, de la haine et de la fuite en avant.