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Lettre à la Jeunesse de mon pays

par Pr Youcef Machef*

Ah... Si la maudite arthrose n'avait pas entamé l'autonomie de mes jambes et si le souffle n'avait pas déserté un cœur au demeurant vaillant, je serais sorti marcher, marcher, jusqu'à évanouissement pour me réhabiliter et réhabiliter toute ma génération... Mais je revis à travers vous... à travers l'espoir que vous m'insufflez à chacun de vos cris...

A vous jeunes Algériens de tous bords que l'on a cru à tort sans ambitions, sans horizons et même sans valeurs, dépêtrés de ses engagements à relever les défis. A vous rêveurs patentés à quoi on a extirpé de la racine petits espoirs et humaines aspirations.

A vous jeunes constamment dénigrés et jetés aux orties et aux critiques acerbes de vos aînés bien pensants»... A vous force et abnégation, chapeaux et mille chèches bas et au diable tous les autres couvre-chefs devant tant de volonté, courage et détermination.

A vous, j'ose cacher derrière notre vilenie dans l'étendue n'a d'égale que notre cupidité de cinquantenaires bedonnés aux slogans creux, vous dire mon admiration pour votre fougue et emballement citoyens et mon aversion pour nos écrits vains écrivains, cris fins et aphones quand le verbe était à l'action et à la révolution et que nous nous contentions de quelques remarques de «tritureurs» d'esprit, ma foi retirées sitôt dites...

A vous jeunes gars de mon pays, je vous envie, j'envie votre exactitude et votre ponctualité avec l'histoire, pas la petite histoire d'un chômage ou d'une formation universitaire déformée par une flopée d'incompétences égrenées autour d'un café pour 90% robusta. Mais la grande, celle dont les lettres s'écrivent en majuscules imbibée des tentative d'el Harga et de l'humiliation de la Hogra...

Je vous envie, et j'ai envie d'apporter des retouches à la nôtre pour la rendre plus racontable et peut-être même un soupçon mielleuse et pas trop culpabilisante pour nos egos surdimensionnés sous l'effet «dopant» de discours surannés».

Puisse votre révolte conjuguée à maîtresse honnêteté nous réveiller à «la vraie vie», à ses choses tangibles et nous aider à en vaincre nos mensonges et à nous regarder dans une glace... non pour arranger une cravate un peu gauche mais pour estimer notre petitesse...

Longtemps, trop longtemps on s'est cantonné dans une espèce de confort croyant, vaille que vaille, à un avenir radieux à portée de main, et que la main des gens d'en haut nous en fera cadeau... Illusion, chimère, utopie...

A vous...vous qui osez davantage votre sans-gêne qui ne saurait que gêner et jeter l'opprobre sur notre complice quiétude vous hissera sur le sommet des mondes et écrira sur les frontons de nos futures institutions la devise de votre glorieux combat

Exhorté et enhardi par le flux vivifiant de votre leitmotiv, crié à la face d'une ère à jamais révolue, je m'en irai, confiant et apaisé, une refaire une jeunesse, une vraie le temps d'une marche aux pas rythmés au son de ?Kassamen' et de ?Mine djibelouna'. Je saurais, emporté par la foule extasiée et déterminée, lever haut, très, très haut, l'emblème national convaincu que plus rien ne sera comme avant...

Dorénavant plus rien ne rimera avec «habitude» l'habitude que nous croyions à tort «une seconde nature» tombera en ruine sous les coups de boutoir de votre outrecuidance et de votre génie.

Demain, ou après-demain, quand dans notre salle de classe qui tombe déjà en ruine suite aux innombrables malfaçons qui ont jalonné sa construction récente, nous nous reverrons comme à l'accoutumé, pour faire cours et paraphraser les grands de notre spécialité, je ne vous regarderai plus du même œil...

L'opprobre estampillée de quelques leçons de morale que je vous faisais pompeusement, vous croyant futiles et me voyant utile n'aura plus jamais droit de cité», elle sera bannie de mon lexique...

Désormais, je vous écouterai autrement, je serai aux agents, je serai pour beaucoup l'apprenant et vous serez pour l'essentiel le prof...

Mais, pour l'amour du ciel, permettez-moi, encore une fois, vous glisser un petit conseil, une orientation... Ne vous laissez pas faire, ne vous laissez pas abuser par un pouvoir addictif à ses effets euphorisants... Il tentera par des promesses «creuses» mais joliment formulées et «savamment rimées» et des «tours de passe-passe» de confisquer et /ou de détourner en sa faveur «votre révolution». Le 05 octobre 1988 est encore là, présent avec toute son étendue et sa grande vivacité pour que vous redoubliez d'effort et surtout de vigilance...

*Département de Psychologie, Université Constantine2