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Le vent qui souffle - Peut rendre fou

par Bouchan Hadj-Chikh

  Nous ne sommes pas des «Ghachi». Peuple. Ou foule.       Mais un peuple. Encore moins des individus sortis des cavernes derrière lesquels se cachent des «violeurs» ou des malpropres. Ce fut dit, pourtant. La protesta -contre le candidat sortant pour un 5e mandat présidentiel, dans sa troisième version- a rebondi sur la «journée internationale de la femme », amplifiant, au contraire, les manifestations à travers tout le pays. En tout bien, tout honneur. Mieux encore, des collectes ont eu lieu, parfois, pour acheter des sachets pour collecter, le long des parcours empruntés, tous les détritus par les femmes et les hommes en marche. Plus «clean» que ça, tu meures !

Reste l'essentiel. Au-delà.

Que disent nos «intellectuels» et politologues, voire les chefs de partis ?

Véritablement ? En panne d'idées.

Lisant l'entretien que M. Saïd Saadi-homme politique respectable au demeurant- a accordé au Nouvel Obs de cette semaine, un paragraphe interpelle, comme on dit aujourd'hui. Il y déclare ceci, à propos des lendemains qui nous attendent, une fois affiché sa crainte l'espoir d'une éradication du système en place : «je n'exerce aucune position organique, mais je sais que des contacts se nouent entre des personnalités réellement autonomes, qui ne sont pas dans la gestion de carrière politique et qui ont le sens de la responsabilité historique. Des personnes qui esquissent une transition, en cas de démission de Bouteflika : la possibilité d'établir un gouvernement de transition pour gérer les affaires courantes ainsi que l'installation d'un comité d'éthique de gens intègres pour assurer la représentation symbolique de l'Etat ».

On retrouve les mêmes thèmes, les mêmes éléments de langage dans la bouche d'un respectable expert et professeur en management de l'Université du Québec, M. Omar Aktouf.

Dans un entretien publié le 7 mars par le quotidien national El Watan, il avance ce qui suit : «Les Algériens réclament l'éradication du «système» d'établissement et de reconduction du pouvoir, autant politique qu'économique, «système» qui sévit depuis l'Indépendance. C'est la mise hors d'état de nuire de ce que j'ai personnellement dénommé «système Algérie» en entier qui est demandée». Et il ajoute : «En faisant l'hypothèse comme je le souhaite, que le pouvoir résistera à la tentation de la répression violente, je ne vois plus d'issues pour l'Algérie sinon, et par ordre d'urgence :

- «Annoncer immédiatement le retrait des tenants actuels du pouvoir politique; président, armée et gouvernement compris, tout en reconnaissant qu'il y a eu des années de spoliations du peuple et que des comptes seront demandés, le temps venu, à tout coupable avéré -quel qu'il soit- de détournements, subornations, corruptions, malversations, accaparements illicites de biens et de richesses?

- Dissoudre l'assemblée nationale.

- Mettre en place un gouvernement de salut public dont les membres seraient absolument intègres, réellement compétents et indemnes de tout soupçon de connivence avec les forces du «système Algérie» passé ou en place, oligarques et ploutocrates inclus.

- Charger ce gouvernement de mettre en place les conditions d'élections crédibles (avec observateurs et journalistes étrangers, agents de l'ONU?) d'une assemblée constituante -toutes tendances et sensibilités politiques admises- en vue de l'instauration d'une seconde République, de la rédaction d'une nouvelle Constitution porteuse d'un projet de société clair, et réellement démocratique.»

Qui sélectionnera/désignera les membres d'un Conseil de personnes «compétents» et «intègres» ? S'ils existent, à n'en point douter, quelle «autorité» -pas la rue, tout de même ! - les identifiera et les investira d'une telle mission ?

Qui doit éradiquer qui ?

L'exercice intellectuel de M. Said Saadi ne s'arrête pas à de telles considérations. Il s'agira, dans une étape suivante, de mettre «une commission, non pas de surveillance, mais d'organisation des élections afin que l'administration n'assure plus que la logistique des scrutins». Naturellement, après une révision des «listes électorales parce que le pouvoir a toujours disposé de deux ou trois millions de voix à utiliser en fonction des besoins». En d'autres termes, «éradiquer» même une partie de l'électorat qui a toujours mal voté.

C'est plié ?

Du tout !

Boualem Sansal craint, lui, dans ce même numéro -j'allais ajouter de cirque- l'élection du président sortant. «Si Bouteflika est élu, ce sera l'explosion, la répression, la loi martiale». Pas moins. «On entrera dans l'inconnu, la glaciation, l'éclatement du pays, le déferlement des islamistes. Beaucoup fuiront l'Algérie. Le pire est peut-être en marche».

Non. M. Yasmina Khadra n'est pas d'accord. Il déclare, dans le même numéro : «Il était temps»... «Les Algériens réalisent combien ils ont été complices et non victimes du système en laissant pourrir les choses».

Fatalitas ! Malheur à nous.

Nous voici désignés «complices». Mais ça se soigne, rassurez-vous. Il suffit de trouver un homme providentiel. Ce qui semblerait un exercice difficile, sinon hors de portée pour l'écrivain. A la question qu'il se pose, lui qui pensait, un jour, pouvoir briguer la haute magistrature : «Où trouver la bonne personne pour incarner les espoirs de la Nation ?», il répond : «Le manque de discernement, chez une grande partie du peuple, conjugué à la méfiance héritée des désillusions et la promptitude à contester toute figure qui se propose de mener la marche populaire, risque de retarder la prise de conscience générale».

J'ai besoin que l'on m'explique ce bout de paragraphe. Je peux me tromper, mais je crois comprendre qu'une fois ce pouvoir «éjecté», nous aurions droit à une longue pause, sans gouvernance, jusqu'à ce que nous reprenions nos esprits. Ce qu'il nomme «prise de conscience». C'est ça ? Tout est dit ?

Pas seulement.

Intervient le Mouvement Mouwatana, de Jil Jadid, qui publie un texte, le 6 mars 2019, dans lequel il apprécie les manifestations légitimes comme un référendum de fait. On lit dans ce communiqué : «Le Peuple souverain, sans tuteur, vient d'organiser un référendum à ciel ouvert, pour prononcer la fin du régime politique et son incarnation, Abdelaziz Bouteflika ». Pas moins.

Et il énonce sa médication :

- «Le pouvoir n'a plus aucune légitimité. Ses institutions ont été démonétisées. Le Parlement, issu de la fraude et théâtre d'errements politiques, ne représente plus que ses propres membres ».

- «Le chef d'état-major de l'ANP se conduit comme un soldat au service d'un clan de prédateurs. Par ses positions anti-populaires, il porte atteinte à l'honneur de cette institution qui appartient au peuple».

- Le Conseil constitutionnel, censé protéger la loi fondamentale du pays «est devenu le paravent à toutes les transgressions du droit». «Par ses pratiques, le pouvoir a annulé lui-même toute référence à la légalité et à la légitimité».

- «Le mouvement populaire souverain doit ouvrir une transition pour préparer une nouvelle République et engager, enfin, des élections dignes de ce nom».

- Ainsi, «nous appelons à l'émergence de coordinations dans l'action par la base à tous les niveaux. Le mouvement populaire doit s'exprimer par lui-même et empêcher toute récupération», précisant qu'un modèle de gestion de la situation «nous protégera contre les possibles dérives violentes provoquées».

Il emprunte la pente raide. Ici, pas question d'un «cabinet noir», de «gens aux mains propres». C'est carrément l'autogestion. Mais qui mettra en place cette politique ?

Ce sont des gens majeurs et d'expérience qui ont rédigé cet appel.

Comme il faut bien commencer quelque part, il a été proposé d'engager un sabordage du «navire Institutions», notamment en vidant les bancs de l'Assemblée nationale et du Conseil de la nation. Ainsi Premier secrétaire du parti «Front des forces Socialistes», M. Mohamed Hadj Djilani, décréta le retrait des élus du FFS, sans consultation du conseil national. Ce qui lui valut son remplacement, le 8 mars, en intérim, par Mehenni Haddadou, l'actuel président de l'APW de Béjaïa.

Les autres élus ? Absents pour la séance de questions au gouvernement. Ils hibernent. Font profil bas tant est qu'il fût haut un jour. Pas de contre-manifestations pour réaffirmer leurs choix. Les Anciens Moudjahidine renient leurs engagements précédents, des membres du parti FLN présentent leur démission, les syndicats s'affolent.

A Genève, du 8ème étage de l'hôpital où est soigné le président, rien ne transparaît.

Le souffle est court. Le ministre des Affaires étrangères, M. Messahel, s'est rendu à Washington récemment pour y rencontrer le Secrétaire d'Etat Pompeo. Sans doute pour lui «vendre» l'idée de l'annonce de la candidature du président sortant. Il est dit que le frère Saïd Bouteflika était à Paris pour entreprendre une démarche similaire auprès des autorités françaises. Les analystes de ces deux pays ont asséné leur verdict. Ils ont éconduit les porteurs de message. Tout comme le fit l'Union européenne.

Les caisses sont vides. Le baril de pétrole est frileux. Les contrats pour les contracteurs occidentaux sont limités à l'achat de biens de consommation courante, il ne reste plus rien à distribuer pour apaiser les foules et les prédateurs. Demain les cités flamboyantes, comme elles sont construites et conçues, seront devenus des îlots de non-droit.

Quelque chose est pourrie dans le fruit.

Nous sommes seuls.

Comme au pire moments de la vie de notre pays.

«Game Over» ?

Quelqu'un aurait-il encore une pièce pour jouer une dernière partie ? Celle qui consiste à «faire sortir le génie populaire de la lampe d'Aladin ?»