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L'avenir du pays entre les jeunes de la rue et les gérontes du trône

par Bouchikhi Nourredine

Ce qui se passe sur la scène nationale ne doit laisser personne de glace, même si les expériences vécues par le passé sont encore vives dans les esprits, et pour les jeunes surtout qui n'étaient pas encore nés, j'insinue par-là les évènements d'octobre 88 qui, sûrement, ne veulent pas dire grand-chose pour la génération contemporaine mais qui, pour les jeunes que nous étions, nous semblait annonciateurs d'espoir rapidement tronqué en scènes tragiques au point que beaucoup, toujours sous le choc post-traumatique, n'osent pas s'impliquer, de peur de revivre ce cauchemar. Mais si une remarque devrait s'imposer d'elle-même, à la vue de ces manifestations qui secouent la rue algérienne ces jours-ci, c'est cette image des jeunes présents en force et surtout des étudiants universitaires déterminés à la tête de la contestation ; l'université, et ce n'est que justice, a tout bonnement repris ses droits car elle a été de tout temps la scène où se confrontent les idées et les idéologies.

La génération des années 70 et 80 fortement politisée a vécu des moments que n'ont pas connu les jeunes d'aujourd'hui dont la majorité a été sciemment dépolitisée, de crainte qu'elle s'implique dans la gestion du pays, devenue une propriété exclusive relevant de la gérontologie politicienne, les jeunes n'ont pu avoir droit au plus qu'à des discours vagues dénués de toute sincérité qui louent, avec une grande hypocrisie, leur dynamisme et leurs potentialités flattant uniquement leur ego sans jamais les impliquer réellement dans le bain.

Ces jeunes ont grandi abreuvés des mêmes visages qui sont de tout temps au sommet du pays et dont la gestion n'a pas été pour le moins à la hauteur de leurs aspirations et de celles du peuple.

A chaque soubresaut de la conscience citoyenne qui semblait ébranler la caste gouvernante, les décideurs, dans un tour de passe-passe qu'ils maîtrisent à merveille, font semblant de partir mais en réalité ils changent tout juste de case sur l'échiquier des affaires politiques sans jamais quitter la scène au point que les jeunes et moins jeunes exclus du champ politique s'en sont lassés et réclament aujourd'hui légitimement au minimum de voir d'autres têtes émerger qui pourront peut-être redonner de l'espoir, comme c'est le cas dans d'autres pays ; la France de Macron, 42 ans, le Canada de Trudeau, 48 ans, l'Autriche de Sébastian Kurz, 33 ans, où bien que les 3e âges sont dans une proportion beaucoup plus importante que la nôtre du fait du vieillissement de la population et de la dénatalité ; ce sont finalement les jeunes qui sont arrivés au sommet du pouvoir contre «tout bon sens», diront les patriarches du système ; ce qui devait faire méditer chez nous la caste vieillissante qui détient toujours les commandes.

Chez nous, c?est les antiques qui font et défont les choses, ils se projettent dans l'insolence et sans hésitation dans l'avenir, même lointain, et concoctent des projets, sans se soucier du poids des années qui pèsent sur leur discernement, de la maladie qui freine leur ambition, de la faiblesse qui les rend si vulnérables, ils croient dur comme fer être des messies qui, jusqu'au bout, doivent délivrer le message : celui de veiller éternellement ou de faire semblant sur les jeunes, les couver, les parrainer, penser même à leur place et décider pour eux car ils trouvent qu'ils sont encore et toujours inconscients des risques qui les guettent, ils ne peuvent être laissés alors sans assistance car, à leur yeux, ils ne sont pas et ne seront jamais en mesure de connaître leurs propres intérêts et si c'est vrai pour une catégorie de jeunes du fait de leur mise en quarantaine pendant des décennies au point d'être transformés en des incultes politiques et ce n'est pas péjoratif dans l'unique but de les maintenir dans un état de minorité intellectuelle perpétuelle et d'être ainsi à l'abri de leur intrusion dans la gestion publique.

Mais il est fort plaisant de constater qu'une lueur d'espoir semble pointer à l'horizon, avec ce réveil de la classe jeune et les réseaux sociaux et l'internet ne sont pas étrangers à ce bouleversement qui fait échec au discours de la langue de bois qui sévit de tout temps ; ces jeunes, chose nouvelle pour beaucoup et peut-être inattendue pour certains, commencent à s'intéresser à la chose publique, un simple regard sur les forums finira par convaincre les plus sceptiques ; si les premiers jours de la contestation, beaucoup sont sortis dans la rue sans connaître les revendications ou plutôt sans en comprendre la portée, au fil des jours, ils commencèrent à s'interroger, à poser les questions, à recouvrer la lucidité, à s'imprégner de visions autres que celles véhiculées par les médias officiels ou leurs nombreux relais d'affairistes et opportunistes ou simplement soumis à la solde du système rentier ; l'avantage dont dispose ces jeunes et qui constitue en même temps le tendon d'Achille du pouvoir, c'est qu'ils n'ont pas été du temps de la génération d'après l'indépendance à qui il suffisait juste d'évoquer la légitimité historique et les affres du colonialisme pour qu'ils renoncent à toute critique ou reproches même légitimes et ils n'ont pas aussi vécu la décennie rouge pour qu'on la leur exhibe à tout bout de champ comme épouvantail pour tenter de calmer leur soif de liberté et d'émancipation; hélas, la recette magique qui marchait jusque-là ne semble plus être en mesure d'endiguer leurs revendications du changement et surtout leur droit à disposer d'eux-mêmes et d'être impliqués dans les décisions qui compromettent leur avenir.

L'erreur du système ou bien sa stratégie est de ne pas avoir préparé une relève intéressée par le débat politique, moteur à nous propulser vers une société où chacun ressent qu'il existe et qu'il jouit de toute sa citoyenneté longtemps ensevelie.

L'activité partisane a été réduite à un simple rôle de figuration ; des partis créés de toutes pièces sans assise populaire, sans programme que celui imposé comme tel par le pouvoir sont projetés au-devant de la scène, au grand dam de l'opinion publique, créant un sentiment d'injustice et de mépris ; des élections jouées d'avance qui plaçaient au sommet des personnes honnies du peuple, au point que la jeunesse ne voyait aucune utilité de prendre part aux mascarades qui se suivaient et se ressemblaient, ce qui semblait faire l'affaire des carriéristes et c'était sans compter sur la prise de conscience de cette jeunesse dont les précurseurs étaient déjà représentés par des milliers de médecins résidents qui ont défilé et défié des mois entiers bravant les interdictions et subissant les violences, ce n'était alors que partie remise, les associations n'ont droit de cité ou bien d'audience que si elles s'intéressent au folklore ou s'adonnent aux louanges des réalisations qualifiées dans bien de cas faussement de grandioses ou bien au culte de la personnalité devenu une seconde nature pour les apparatchiks.

L'élite intellectuelle s'est dans sa grande majorité résignée entre ceux qui sont partis et ceux restés mais qui, dans un réflexe d'autodéfense, font dans le déni volontaire, de crainte de sombrer dans la déprime et la schizophrénie.

Un seul son de cloche est resté prédominant, celui d'un système qui ne semble pas pouvoir ou vouloir établir sa mue, en concordance avec la réalité et les aspirations du peuple mais qui se régénère chaque fois qu'on pense que c'est sa dernière heure ; mais gardons l'esprit vif, car nous ressentons un air de déjà vu ; au lendemain des événements d'octobre 88, nous crûmes naïvement à la résurrection d'un vent de liberté qui commença à souffler, les langues ont commencé à se délier, la censure marqua une halte, les partis politiques foisonnaient, les gens exprimaient leur ressenti sans gêne aucune, sans crainte mais, hélas, c'était sans compter sur le système qui, reprenant son souffle, trouva dans la décennie noire et rouge le prétexte infaillible pour reprendre de plus belle son hégémonie sur la vie politique, en instrumentalisant toutes les institutions, les organisations, les partis asservis, les syndicats de maison, les organisations patronales et professionnelles versées dans l'opportunisme pour asseoir de nouveau et mieux sa vision réductrice de la société. La manne pétrolière lui servit de perche pour perdurer et faire taire, contre monnaie sonnante et trébuchante, toute velléité contestante, l'objectif ultime est de se maintenir aux commandes contre vents et marées.

Les jeunes sont soudoyés par des millions qui en fait était l'argent du peuple, tout le peuple, au prétexte de créer l'emploi mais sans aucune garantie, sans de compte à rendre ; la seule condition était de ne pas se mêler ; pas de ce qui ne les regarde pas mais plutôt de ce qui devait les regarder, c'est-à-dire la gestion de leur sort. Ce qui était au début des prêts à rembourser est devenu, comme à chaque échéance électorale, une donation contre soumission et voix à comptabiliser.

Et avec les étudiants longtemps laissés dans l'ignorance politique, beaucoup d'autres jeunes ont été laissés dans l'ignorance tout court sans instruction, sans éducation, victimes d'un système éducatif à la tête duquel se sont succédé des responsables venus plus pour imposer une vision sans relation avec la réalité socioculturelle du pays que pour hisser le niveau vers le sommet ; l'école a été un champ d'expérimentations et de luttes idéologiques dont aujourd'hui on paye les conséquences. Le système, s'il était toujours prompt à étaler toute sa puissance répressive à l'égard de la liberté d'expression et d'opinion, est resté étonnamment passif pour faire régner la loi et la sécurité devenue une hantise pour le citoyen, les agressions, les incivismes n'épargnent personne, rendant la vie insupportable ; malgré la pléthore des corps de sécurité, les sentiments de menace et d'insécurité sont quasi permanents, l'impunité à l'égard des corrompus et corrupteurs est de règle, les lanceurs d'alerte sont tenus de faire l'impasse sur toute malversation qu'ils pourraient dénoncer, au risque de se retrouver derrière les barreaux, à leur charge d'en apporter des preuves impossibles et de conduire les enquêtes dont ce n'est pas du tout de leur ressort et à savoir !

Alors qu'il suffisait tout simplement de demander des comptes à toute personne devenue richissime du jour au lendemain sans raison et sans explication d'autant qu'il s'agit d'un commis de l'Etat. Des exemples à ne pas du tout suivre narguaient une jeunesse désabusée les poussant à flirter avec le danger et risquer leur vie en quête d'une reconnaissance et d'un avenir meilleur.

Et après avoir subtilisé aux jeunes qui constituent la grande majorité de la population, la liberté de penser, de réfléchir, de proposer, on tente de les priver de leurs droits de gérer le pays ou du moins d'y participer, en leur imposant la sénescence, l'incapacité et le déclin comme seules alternatives ! Un affront insupportable qui a eu l'effet d'un électrochoc capable de faire sortir de sa léthargie un comateux dont l'état semblait être désespéré. Cet éveil de la conscience citoyenne pourrait être salutaire à l'avenir du pays, à la seule condition de ne pas sombrer dans la violence que certains tenteront dans un ultime état de désespoir de provoquer afin de blanchir leur répression et de contourner la volonté populaire. La vigilance est de mise, afin de faire aboutir les aspirations légitimes. Il était grand temps que le crépuscule laisse place à l'aube et au rayonnement du soleil, pour un avenir radieux.