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Bank of Algeria et la planche à billets (1ère partie)

par Mounir Ben Abba*

En 2017, en présentant le budget de l'Etat de 2018, le Premier ministre M. Ahmed Ouyahia a surpris et choqué tout le monde en déclarant que l'Etat n'a plus d'argent pour financer son budget.

L'effondrement des prix du pétrole en 2014 et l'épuisement du Fonds de régulation des recettes en 2016 a mis le pays dans une situation financière énormément difficile. De ce fait, le gouvernement avait décidait de faire recours au financement non conventuel. Le Premier ministre a affirmé que la mesure inclurait l'injection de 30 milliards de dollars sur une période de trois ans pour couvrir le déficit du Trésor public, payer la dette publique, l'inscription et financer uniquement des projets d'investissement. En décembre 2018, le Gouverneur de Bank of Algeria (Banque centrale), M. Mohammed Loukal, dans une intervention au Parlement a choqué tout le monde en confessant que Bank of Algeria (Banque centrale) a injecté l'équivalent de près de 43 milliards de dollars américains dans l'économie entre septembre 2017 et novembre 2018 qui représentait presque 27% de PIB. Le Gouverneur a même tenté de rassurer les députes en leur faisant savoir que cela est moins du montant prévu auparavant qui s'élevait à l'équivalent de 52 milliards de dollars américains. Il a même avancé que l'opération ne causerait pas une hyperinflation ni ne nuirait à l'économie, car la majorité de de cet argent ayant été utilisée pour payer des dettes publiques existantes, principalement à Sonatrach et Sonelgaz.

Le gouvernement et les partisans de sa politique (financement non conventionnel) ont souvent évoqué des actions similaires entreprises par des pays développés tels que les États-Unis, le Royaume-Uni, le Japon et l'Union européenne pour tenter de rassurer le public sur les résultats de la politique adoptée par le gouvernement. Mais, le gouvernement ignore que ces pays sont totalement différents de nous. Ces pays ont des économies de marché concurrentielles bien structurées, un secteur financier et bancaire très avancé, disposant de facteurs de production massifs (équipements très avancés et sophistiqués et main-d'œuvre hautement qualifiée) et des institutions très compétentes.

Ainsi que des taux de chômage et inflation très réduits. En revanche, le gouvernement, délibérément ou non, évite de mentionner des cas des pays semblables à nous, comme le Venezuela et le Nigéria qui ont des économies presque entièrement dépendantes de la rente des hydrocarbures, souffrent de rigidités structurelles, système financier et bancaire archaïque et terriblement sous-performant, un dépérissement du tissu productif, des taux de chômage et inflation élevés, dysfonctionnement profond et irréparable dans la plupart des institutions du pays, une bureaucratie strangulant et une corruption industrialisée.

Le financement non conventionnel, très connu sous le nom de «la planche à billets», aussi expansion monétaire ou assouplissement quantitatif (Quantitative Easing, QE) est généralement présenté comme suit: «La Banque centrale imprime de l'argent pour financer l'économie». Tout d'abord, il faut mentionner qu'il y a une perception fausse ou les gens croient que la totalité de l'argent dans un pays est créée par le gouvernement. La vérité est que la majorité de la masse monétaire d'une économie, presque 97% de la masse monétaire totale, est créée par les banques commerciales via l'octroi des prêts et pas par la Banque centrale. A titre d'exemple, en Algérie, le rapport de 2018 de la Banque centrale indique que la masse monétaire du pays est à l'ordre de l'équivalent de 134 milliards de dollars américains. En même temps, en novembre 2018, M. Achour Aboud, président de l'Association des banques et établissements financiers (ABEF), a indiqué que le volume des crédits bancaires accordés à l'économie nationale devra atteindre à fin décembre 2018 plus de 100 milliards de dollars américains.

C'est-à-dire un pourcentage de 75% de la masse monétaire globale. Mais, si on ne considère pas tout l'argent injecté très récemment par Bank of Algeria (Banque centrale) lors de l'opération de la planche à billets, ce pourcentage devait attendre plus de 90%.

Toutefois, lorsque le système bancaire est endommagé, comme ce qui s'est passé lors de la crise financière de 2008 où les banques commerciales ont cessé d'octroyer des prêts, et donc de créer d'un nouvel argent. En même temps, les particuliers et les entreprises remboursaient encore leurs emprunts, ce qui signifiait que l'argent était «détruit». Par conséquent, la quantité totale de l'argent dans l'économie diminuait. Pour contrer cela et «remplacer» l'argent que les banques détruisaient, les Banques centrales sont intervenues et ont créé plus d'argent utilisant la planche à billets «Quantitative Easing» (QE).

Cette création monétaire par la Banque centrale est réalisée par le biais de système financier, en achetant des actifs financiers des sociétés et de gouvernements, presque exclusivement des obligations d'État, et les paie en créant de nouvelles réserves, le type de l'argent que les banques commerciales utilisent entre elles pour se payer. Le Trésor reçoit des dépôts (argent) dans des comptes auprès des différentes banques commerciales, dit BNA, BEA, BADR, CPA, etc. Donc, ces banques commerciales se retrouveraient avec le nouveau dépôt (un passif vis-à-vis du Trésor) et un nouvel actif à la Bank of Algeria (réserves de la Banque centrale). Par conséquent, l'argent fraîchement créé augmente simultanément:

a) La quantité de monnaie de la Banque centrale utilisée dans le système interbancaire que les banques commerciales utilisent pour se payer mutuellement.

b) Le montant des fonds des banques commerciales (dépôts sur les comptes bancaires de personnes et de sociétés).

Cependant, seuls les dépôts peuvent réellement être dépensés dans l'économie réelle, car les réserves de la Banque centrale sont uniquement destinées à un usage interne entre les banques commerciales et Bank of Algeria (Banque centrale).

Au lendemain de la crise financière de 2008, The Bank of England (Banque centrale du Royaume-Uni) et Federal Reserve (Banque centrale des USA) se sont lancées dans l'assouplissement quantitatif (financement non conventionnel). En même temps, la mesure a été accompagnée par d'autres actions telles que le maintien du taux de base de la Banque centrale à presque zéro. Aussi bien qu'une relance budgétaire (fiscal stimulus) à travers une réduction d'impôt, TVA principalement et IBS, rationalisation des dépenses mais une augmentation des dépenses publiques dans les projets d'infrastructure. Le but de ce package d'actions était de stimuler la croissance économique pour inciter la consommation et l'investissement.

Entre 2009 et 2012, Bank of England (Banque centrale du Royaume-Uni) a injecté 445 milliards de livres sterling (653 milliards de dollars) d'argent neuf dans son programme d'assouplissement quantitatif. Aux USA, entre 2008 et 2015, la Federal Reserve américaine (Banque centrale) a injecté plus de 3 700 milliards de dollars. La zone Euro a lancé son programme d'assouplissement quantitatif en janvier 2015 et jusqu'à présent ECB (European Central Bank) a injecté 600 milliards de dollars supplémentaires. À l'origine, le programme devait durer jusqu'en septembre 2016, mais il a été prolongé jusqu'en mars 2017. Par le passé, Bank of Japan (Banque centrale du Japon) a également poursuivi des décennies de politique monétaire non conventionnelle. À partir de la fin des années 1980, Bank of Japan a appliqué une politique monétaire expansionniste pour plus de 15 ans.

Le gouvernement japonais a affirmé que cette politique (création monétaire) a empêché le Japon de sombrer dans une récession et déflation, tout en stimulant considérablement la production et les prix. Aux USA, le Royaume-Uni et la zone Euro, les partisans des actions entreprises au lendemain de la crise financière de 2008 affirment que les mesures de relance budgétaire et les politiques monétaires expansionnistes ont contribué à un retour de la croissance économique, à une inflation stable et à une augmentation de l'emploi.

Cependant, les opposants à la mise en œuvre du programme font valoir que le financement non conventionnel déployé aux États-Unis, au Royaume-Uni et dans la zone Euro n'a pas permis de stimuler la croissance du PIB et a plutôt aggravé les inégalités dans la société. Leur argument est que le problème était que l'argent créé a été envoyé directement sur les marchés financiers, ce qui a permis aux obligations et aux marchés boursiers d'atteindre leur plus haut niveau historique. Au Royaume-Uni, par exemple, Bank of England estime elle-même que la planche à billets a dopé le prix des obligations et des actions d'environ 20%. Les opposants à la politique ne voient pas cela comme une économie réelle. Bank of England estime que les premiers 375 milliards de livres sterling de QE ont entraîné une croissance du PIB de 1,5 à 2%. En d'autres termes, la création de 375 milliards de livres d'argent neuf pour créer entre 23 et 28 milliards de dollars de dépenses supplémentaires dans l'économie réelle. Cela a été considéré comme incroyablement inefficace.

A suivre

*Enseignant des Finances et Management