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Problématique du recrutement en Algérie

par A. Tadjine*

En s'inscrivant dans l'économie de marché et suites aux répercussions des réformes structurelles, les pouvoirs publics ont mis en place des dispositifs d'aide à l'emploi pour réduire les taux de chômage et permettre l'éclosion d'un entreprenariat privé susceptible de soulager la fonction publique et les entreprises publiques de la charge qui leur était assignée lors de la période de l'économie socialiste , à savoir assurer le plein emploi même au dépend de la logique économique la plus élémentaire.

Il est inutile de préciser que cette main mise idéologique sur les entreprises publiques a fortement contribué à leur décadence ce qui a conduit l'économie dans sa globalité à se repositionner dans le giron de l'économie mondialisée et mondialisante. Ce revirement s'est effectué en urgence, sans préparation et surtout en se désavouant idéologiquement sous la pression des injonctions du FMI en promulguant loi 90/11 qui constitue le socle juridique et le fondement théorique de la nouvelle vision, qui de toute évidence comporte dans la majorité de ses contenus des orientations contradictoires à celles qui ont prévalu durant trois décennies de règne d'obédience socialiste. Les décideurs tant au niveau politique que des managers d'entreprises ont depuis considéré l'entreprise comme simple outil de transformation de ressources et de création de richesses qu'il suffit d'administrer sans autre considération comme si l'aspect culture organisationnelle est neutre en entreprise.

Bientôt déjà trente ans que l'entreprise publique Algérienne rame pour atteindre la haute mer de l'économie de marché et peine de se libérer des reflexes de l'économie planifiée au service de l'idéologie de l'état nourricier qui relègue la recherche de la performance économique de l'entreprise en dehors de ses priorités sous la pression de contraintes objectives. En effet, l'analyse des comportements et pratiques en usage concernant la gouvernance de l'entreprise met en exergue que malgré le discours officialisant l'option capitaliste de l'économie, l'entreprise publique continue à être administrer comme simple appendice de l'appareil étatique au service de considérations autres qu'économiques.          Cet état de fait permet à la transition de s'éterniser et de créer des reflexes et des pratiques à tous les niveaux qui rendent tous les efforts pour la mise en place d'une culture managériale de l'économie de marché simple vue d'esprit sans réel ancrage avec la réalité de l'entreprise.

L'entreprise évolue par rapport à l'interaction de deux environnements, de deux cultures, interne et externe foncièrement corrélés qui conditionnent son quotidien et son devenir, c'est pourquoi il est d'importance capitale de les situer, de les évaluer avant tout travail d'analyse et de mesure des performances de l'entreprise. Autrement dit, cette préoccupation peut être mentionnée par les présents questionnements :

- L'économie Algérienne est-elle réellement une économie de marché ?

- Les dirigeants d'entreprises sont-ils des managers ou simples exécutants ?

La réponse est de toute évidence non. En absence de concurrence et des mécanismes de financiarisation de l'économie tels l'apport de la bourse et le retrait de l'état providence de la sphère économique et le maintien artificiellement par injonctions réglementaires des monopoles, il est aberrant de qualifier l'économie Algérienne d'économie de marché ; elle se trouve écartelée tantôt à la solde d'intérêts de ce qui est convenu d'appeler « paix sociale » parfois happée par la convoitise d'intérêts qualifiés de mafieux ( surfacturation, opérations d'import douteuses?). Entre les deux extrémités, les entreprises publiques essayent autant que faire se peut de contribuer à la création de richesses, à promouvoir un produit industriel national, à vouloir même se positionner sur le marché de l'exportation. Le tableau n'est pas totalement noire, l'entreprise publique Algérienne n'est pas en faillite mais elle n'est pas fleurissante, elle a des atouts mais beaucoup d'handicaps. Une question nous interpelle, d'où lui viennent ses entraves ?

Pour les besoins de cet article, l'intérêt se focalisera sur un point, il s'agit du recrutement et de la politique d'emploi. Il est clair que les causes de la non efficience de l'entreprise publique ne peuvent être réduite à l'opération de recrutement et à la politique de l'emploi ; la situation est d'un enchevêtrement tel que le présent article ne peut démêler à lui seul. En management moderne, le recrutement revêt un caractère vital, névralgique pour la survie de l'entreprise, c'est son premier investissement qui conditionne sa performance future et lui permet d'être concurrentielle et de gagner la bataille de la concurrence, ce qui lui permet d'être viable.

Un recrutement raté est synonyme de charge non productive, de source de déperdition. Doter l'entreprise de la ressource humaine adéquate lui permet de s'assurer les conditions de la réussite. Pourquoi le recrutement en entreprise publique Algérienne est problématique et l'empêche d'être performante ? Pourquoi l'entreprise publique Algérienne déroge à la règle ?

Ce qui est certain c'est que la réponse n'est pas dans une volonté délibérée des pouvoirs publics ou des dirigeants des entreprises d'enfreindre l'orthodoxie de la pratique de recrutement en économie de marché, de vouloir imposer une empreinte particulière ou de la pratiquer de manière singulière, elle est ancrée dans la configuration et soubassement culturel de l'entreprise.

Cet ancrage jalonne de façon systémique l'opération de recrutement, qui de toute évidence n'a d'intérêt pour les dirigeants que comme simple procédure d'embauche de main d'œuvre sans plus.

En se référant à la littérature spécialisée et en se basant sur les enseignements du management, le recrutement est le moment privilégié qui met en exergue la compétence des dirigeants d'entreprise, car il permet à l'entreprise de se doter de la ressource humaine susceptible de lui permettre de réaliser ses objectifs, ce qui suppose tout un travail de lecture de l'environnement , d'identification des capacités, des atouts , des avantages, des handicaps et des objectifs. Vastes chantiers que seuls d'authentiques managers sont capables de faire. Le recrutement en entreprise publique Algérienne n'est que simple opération d'embauche souvent instrumentalisée par les décideurs pour des intérêts sans relation avec la réalité de l'entreprise. Présenté de la sorte, le dirigeant d'entreprise publique peut paraitre malveillant, délibérément néfaste pour son entreprise.

La réalité est toute autre, il n'est nullement à incriminer, il est plutôt à plaindre car souvent embarqué malgré lui dans une aventure qu'il ne maitrise qu'en s'inscrivant dans le respect strict des lois et des réglementations sans possibilité aucune à l'interprétation personnelle. Répondre aux injonctions de la tutelle, réaliser les objectifs souvent sans impacts réels sur l'entreprise même au détriment des opportunités sont les critères d'évaluations auxquels sont soumis les directeurs d'entreprises. Parler de recrutement dans ces conditions c'est méconnaitre la réalité de l'entreprise publique, c'est prendre la théorie pour de la réalité. Cette réalité ne permet pas l'émergence de culture managériale, de propager les techniques de management moderne, de raisonner en terme de processus, d'envisager les changements en terme de BPR ( Business Process Reeingerering) , d'intégrer dans le quotidien managérial le langage moderne du management, de parler de Lean management, de six sigma, de vérifier la fidélité et validité des outils de sélection et de recrutement , d'assessment center, d'ingénierie de formation et bien d'autres techniques et pratiques qui n'ont de sens que si l'entreprise retrouve sa vocation économique à la solde des intérêts qui lui sont intrinsèquement liés.

Parallèlement à cet état de fait, il est également utile d'attirer l'attention sur un autre aspect qui amplifie encore plus l'aspect négatif du recrutement en entreprise publique, à savoir l'obligation faite aux entreprises de ne recruter que suivant une batterie de textes juridiques contraignants qui déterminent les lieux géographiques des candidats. Il est clair que le recours à l'approche juridique et le balisage réglementaire dans la mise en place de la politique de l'emploi trouve sa raison dans des considérations biens réelles, qu'il constitue une réponse à des préoccupations de terrain, qui non prises en considérations sont sources potentiels de déséquilibre et de désordre à coup sûr très onéreux.

En ce qui nous concerne, nous ne remettons pas en cause le souci de préservation de la paix sociale, elle est primordiale voire plus que toute autre considération, ce que nous signalons c'est la fait qu'on fait supporter à l'entreprise publique ce qui en principe se doit être fait ailleurs. L'entreprise où qu'elle soit et qu'importe sa forme juridique et sa localisation, ne doit obéir qu'à la rationalité économique, seule quarante de sa survie. L'état doit rester dans son rôle régulateur, trouver les solutions, des parades, mettre en œuvre des stratégies, des politiques en s'assurant la préservation des équilibres.

Instrumentaliser l'entreprise, l'administrer et la soumettre à la logique juridique l'éloigne de ses propres finalités et génère des comportements absurdes et des habitudes contreproductives. Donner une légitimité aux lieux de résidence, réserver les emplois aux seuls détenteurs d'un certificat de résidence sans autre mérite semble mettre en désuétude l'égalité des chances que la constitution garantie pour tous.

Faire du lieu de résidence un critère de sélection conformément à la loi c'est accepter officiellement l'inégalité devant la loi et ouvrir la voie à toutes les dérives et créer des ayants droit. L'avantage du lieu de résidence entériné par la loi peut être considéré comme antécédent et reproduit à chaque fois qu'un argument susceptible d'avantager une frange de la population est trouvé.

Le danger de se soumettre aux exigences singulières et particulières dépasse le seul préjudice que subit l'entreprise, il est multiple et protéiforme. Se soumettre à de telles demandes dénote une méconnaissance de la synergie systémique du management et des mécanismes psychologiques et sociologiques de construction des attitudes, des valeurs et de la culture aussi bien organisationnelle que globale. Faire appel aux enseignements scientifiques spécialisés ne peut qu'éviter les fourvoiements préjudiciables et très souvent prévisibles.

Pour conclure sans clore, nous pouvons dire qu'en ce qui concerne l'entreprise publique économique, la propriété demeure publique, c'est-à-dire étatique, impliquant de ce fait l'intervention de l'état par l'intermédiaire de structures constituant la tutelle de ces entreprises. Il est vrai que l'entreprise publique économique jouit d'une autonomie de gestion, mais il n'en demeure pas moins qu'elle reste tributaire de décisions et d'interférences de cette tutelle, c'est pourquoi, il devient de toute première nécessité que le propriétaire (l'état) se doit de se dissocier de la gestion de ses entreprises, de ne pas intervenir dans la logique gestionnaire et managériale de l'entreprise; la finalité de l'entreprise se doit de s'inscrire dans la quête de l'efficacité et l'efficience économique tout en étant conscient des impératifs de sa responsabilité sociale.

Cette dernière en situant l'entreprise dans la sphère de la citoyenneté, ne doit en aucun moment l'assujettir à des considérations idéologiques ou à des objectifs de politique partisane. L'état se doit de se comporter en actionnaire conscient de ses droits et devoirs.

*Professeur. Universitaire