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Présidentielle 2019, marches et pouvoir: Pourquoi l'Algérie dépassera la crise et en sortira plus forte ? Un modèle pour le monde arabe ? (1ère partie)

par Medjdoub Hamed*

Ce qui se passe aujourd'hui, en Algérie, est absolument magnifique. C'est vrai que tout le monde a peur, à commencer par le pouvoir. Et c'est tout à fait normal que le pouvoir politique ne comprenne pas.

Tellement il a été habitué à l'inertie de l'histoire du peuple algérien qui, au départ, a tellement investi dans les slogans islamistes du Front islamique du salut, à la fin des années 1980 et début des années 1990, puis se trouve pris entre deux feux durant la décennie noire qui a suivi l'interruption du processus électoral en janvier 1992. Et, pour avoir voté FIS, il s'est trouvé «châtié» par ce même FIS qu'il a élevé au-dessus du pouvoir en lui donnant son suffrage, en votant pour lui. Il a payé chèrement le prix. Ensuite, durant la guerre civile, il a cherché la protection du pouvoir, la protection des forces armées algériennes issues de l'ANP dont le sigle ne trompe pas. Une ANP ou Armée nationale populaire. Une armée qui, depuis la guerre de libération de 1954 à 1962 et que l'on dit digne héritière de l'Armée nationale de libération (ALN), ne peut être que nationale et populaire.

Donc, on ne peut croire que durant ces jours de crises qui sont politiques, économiques, sociales, générationnelles, et on ne peut croire que la gérontocratie algérienne qui préside à la destinée de l'Algérie est hostile à sa jeunesse, à ses enfants, faudrait-il dire. Donc, au contraire, n'en déplaise à nos dirigeants du pouvoir qui voient cette jeunesse s'interposer entre le pouvoir et l'opposition et demander son dû légitime, cette jeunesse qui veut vivre son existence, qui ne veut pas mourir de ne rien faire, sans emploi, sans objectif dans sa vie, et se demande même pourquoi elle existe. Alors que tous ses horizons sont fermés. Elle n'a que, durant l'enfance, l'école primaire, à l'adolescence l'enseignement moyen, et passer le baccalauréat ensuite à 17-18 ans, et pour ceux qui réussissent quatre à sept années d'études supérieures. Les études terminées, cette jeunesse se trouve livrée à elle-même.

Les seuls créneaux qui marchent et dont le recrutement est très limité sont les emplois publics (ministères, collectivités locales, banques, armées, police, etc.) et les emplois privés tout aussi limités. Un ministre algérien parle de 500.000 de jeunes Algériens qui viennent en tant que demandeurs d'emploi chaque année sur le marché du travail. Et les diplômés qu'ils soient ingénieur, médecin, licencié, master et qui se comptent par milliers, ou centaines de milliers au chômage et ne s'en sortent que par la débrouille ou au petit bonheur la chance, est-ce normal ? Est-ce la faute à l'Etat algérien ? Est-ce la faute à quelqu'un ? Il est difficile de dire que c'est la faute à l'Etat, à Bouteflika, au système politique, à ceux qui ont volé et détourné des milliards, à l'époque d'Abdelhamid Brahimi, l'ancien Premier ministre du temps de Chadli, qui parlait de 26 milliards de dollars détournés par des personnalités de l'État ou du privé à l'étranger. Mais que faire, comment moraliser le système ? Et la gabegie aujourd'hui, pratiquement la corruption à grande échelle, etc. Que faire ? Et l'État ne peut rien faire car la situation est très complexe, il n'y a pas de baguette magique. Notre pays, l'Algérie, malgré de grandes avancées, reste encore un pays sous-développé. On le pare de ce sobriquet que lui donnent les Occidentaux «pays en voie de développement», mais où est la voie de développement si on ne construit que ce qui apparaît le plus facile comme les routes, les autoroutes, les ponts, certes c'est important, mais on ne voit nulle part des investissements, une politique de création d'emplois par des investissements économiques porteurs.

Précisément, depuis les lois de la concorde et la réconciliation, promulguées par le président Abdelaziz Bouteflika, d'ailleurs ça a commencé déjà par le président Liamine Zéroual par la loi sur la «Rahma» (le Pardon), la situation n'a guère évolué sur le plan économique. Peut-on en vouloir à Bouteflika ou au système ? Ce n'est pas lui chercher des excuses, c'est tout simplement que nos décideurs, que ce soit du gouvernement, du système financier jusqu'à la Banque centrale d'Algérie qui a la haute main sur toutes les opérations financières en national et en international, ou aux dirigeants du FLN et ses prolongements, «tout le monde navigue à vue, tout le monde n'a de regard que sur le prix du baril de pétrole». S'il baisse ou s'il remonte. Tout le système politique algérien est accro aux hydrocarbures. Comme s'il n'existe aucune possibilité de développement, étant le système anesthésié par le pétrole. Le pétrole est devenu une relique divine, comme si Dieu nous dit: «Il faut vous en tenir au pétrole, et faire vos lois de finances chaque année sur la base d'un prix du baril de pétrole selon la conjoncture».

Non, Dieu n'a pas dit de se remettre uniquement au prix du baril de pétrole et de faire des lois de finances annuelles répartissant les recettes fiscales issues du pétrole et dépensées entre les différents secteurs de l'État. Aucune prospection ne se voit et un système économique et financier léthargique et monotone qui se reproduit année après année. On construit des routes, des ponts, des écoles, des hôpitaux, on achète du matériel militaire, on dote nos forces armées, etc., mais toujours de la donne pétrolière. Et cela depuis 57 ans. Une situation qui doit changer et c'est là le problème. Où est la réflexion pour bondir, sortir de la prison où nous a mis le pétrole ? Le pétrole est une richesse que nous a octroyée le Bon Dieu pour que nous puissions survivre les jours difficiles, mais les autres jours de bonne croissance, il nous dit et nous devons l'entendre, je vous ai donné des corps, des yeux pour voir, des oreilles pour entendre, des cerveaux avec le pouvoir de penser, faîtes en sorte de trouver des solutions à votre pays, des solutions à votre jeunesse.

Il peut même dire, au peuple algérien, à son gouvernement, ceci : «Croyez-vous que vous êtes sortis de la guerre civile par vous-mêmes ? Par vos forces armées ? Par les contingents de l'ANP constitués d'une grande partie de la jeunesse algérienne qui a fait face aux hordes terroristes ? Dieu nous dira certainement que c'est moi qui ai créé en vous l'unité dans vos rangs, entre le peuple qui a voté FIS mais qui l'a combattu ensuite avec son armée nationale et populaire. C'est Dieu qui a tenu en respect les velléités étrangères qui avaient voulu à l'époque briser le peuple algérien, qui ont voulu éclater la nation algérienne comme elles ont tenté de le faire en Syrie et ailleurs».

Il est certain que Dieu est avec la cause juste, et il est avec le peuple algérien, et avec tous les peuples de la Terre. Nous sommes sa Création, et Dieu ne peut pas ne pas nous aimer. Mais il veut que nous nous développions et cela l'Algérie est en retard. Or, aujourd'hui, l'Algérie se trouve à un rendez-vous majeur avec son destin.

Et pour comprendre les forces en jeu qui se jouent en Algérie, d'abord le premier, mais ce premier est à l'échelle humaine, je laisserai le «premier absolu» ensuite pour la compréhension de la dynamique en cours en Algérie.

Tout d'abord la population algérienne, comment est-elle constituée ? Selon l'APS, «sous l'hypothèse que le rythme de croissance de l'année 2017 se maintiendrait pour l'année 2018, l'ONS prévoit une population résidente totale de 43,4 millions au 1er janvier 2019». Au 1er janvier 2018, sa population était de 42,2 millions d'habitants (chiffres officiels APS).

Pour ce qui concerne les tranches d'âge. L'APS donne les informations suivantes. «Pour ce qui concerne les tranches d'âge de la population, il est constaté que les moins de 25 ans ont été de 18,76 millions d'individus, soit 45% de la population globale». (1) Ce qui veut dire que 18,76 millions d'Algériens sont nés en 1994. Ce qui signifie qu'ils n'étaient pas nés avec le début de la guerre civile en 1992. De même, lit-on sur le document de l'APS, «la population des moins de 30 ans a été de 22,48 millions, soit 54% de la population globale». Ce qui signifie que cette population n'a commencé à naître qu'en 1990. Et même en 1984, par exemple, au début de la guerre civile, ceux nés en 1984 n'avaient que six à huit ans, donc ne pouvaient pas bien comprendre les enjeux de la guerre civile. Depuis 2000, la population algérienne a augmenté de 13 millions d'habitants. Donc 13 millions sont totalement étrangers des problèmes passés de l'Algérie. Pourquoi ces chiffres ? Simplement pour montrer le décalage de la perception du pouvoir sur les enjeux aujourd'hui. Il se trouve malgré lui à mener une politique à contre-courant des enjeux d'aujourd'hui puisque l'aveuglement est là, et il n'en est pas conscient, et «se trouve obligé d'aller contre son époque parce qu'il vit dans la virtualité d'une époque passée».

Le deuxième problème, ce sont les réserves de change. En quatre ans, elles ont fondu de plus de la moitié qu'elles étaient en 2014. Moins de 80 milliards de dollars. «Et les réserves de change qui diminuent chaque année et dans trois années ou quatre, l'Algérie pourra-t-elle payer ses fonctionnaires, ses salariés ? Et la situation économique ? Reviendra-t-on aux bons pour le café, la semoule, l'huile, etc., et des dessous de table pour un bidon de 5 litres d'huile, ou un kilo de café».

C'est dire que tout a changé aujourd'hui. On n'est plus au boom du pétrole des années 2000 avec les guerres qu'a menées l'administration Bush contre l'Irak et l'Afghanistan. Et grâce aux déficits commerciaux et américains entre 4 et 7% du PIB, le prix du baril de pétrole s'est envolé parce que la hausse du prix de pétrole permet de pondérer les émissions monétaires américaines pour financer leurs déficits et donc leurs dépenses de guerre. Et on ne doit pas perdre de vue que le pétrole vendu par les pays d'OPEP notamment arabes est facturé en dollar que seule la Banque centrale américaine peut émettre. Et elle émet des liquidités en dollar contre des richesses et donc finance ses importations non couvertes par les exportations. Aujourd'hui, le déficit commercial et courant américain se situe autour de 2%. Et les États-Unis remettent en cause les excédents commerciaux de la Chine. Donc, d'autres freins à venir, et le prix du pétrole demeurera certainement dans la fourchette que l'on connaît aujourd'hui et pendant longtemps.

Donc, le duo démographie explosive et réserves de change en berne ne laisse que peu d'issue pour le pouvoir pour trouver une issue pour sortir de la crise économique rampante aujourd'hui. Et surtout l'absence d'investissements économiques porteurs. Surtout que l'on sait que les entreprises publiques sont pour la plupart déficitaires et donc à la charge de l'Etat. Quant aux entreprises productives privées, elles sont pour la plupart cantonnées dans des créneaux comme l'agroalimentaire, ou d'autres créneaux, dans l'industrie légère, à peine visible et bien sûr l'agriculture, la construction et le commerce qui absorbent plus ou moins de la main-d'œuvre. Mais il n'existe pas une réelle industrie florissante comme en Indonésie, en Malaisie, et pourtant tous ces pays ont été colonisés, et ont accédé à l'indépendance après la Seconde Guerre mondiale. Entre 1945 et le début des années 1960, la plupart des pays sont devenus indépendants.

Évidemment, le monde arabe est un peu particulier parce que dès le début il était divisé en deux tendances, les pays progressistes arabes alignés à l'Union soviétique et les pays monarchiques arabes alignés à l'Occident. Ces pays arabes ont fait les frais de la guerre froide et des guerres avec l'État d'Israël, implanté en Palestine. Une situation qui, jusqu'à aujourd'hui, reste encore négative puisqu'ils se trouvent pris en otage entre les deux pôles de puissance, d'un côté, l'Occident qui déstabilise le monde arabe pour le dominer et dominer ses richesses pétrolières, de l'autre, la Russie et la Chine aident les pays arabes qui lui sont fidèles. Et qui paie la facture ? Ce sont les peuples, et surtout leurs jeunesses comme on le voit aujourd'hui avec ceux qui prennent la mer pour rejoindre l'Europe au péril de leur vie, et ceux qui végètent parce qu'ils n'ont pas d'horizons.

Et évidement leurs gouvernements et la classe politique affairés dans la lutte pour le pouvoir oublient totalement qu'ils sont à la tête de leurs peuples. Les peuples tant ils sont absents sur la scène politique hormis quelques émeutes vites réprimées apparaissent comme des choses, des bouches à nourrir. Et c'est un peu ce qui s'est passé en Algérie. Comme on l'a écrit dans la première partie de cette analyse. «L'éditorial du journal ne peut être plus clair, avait-on dit à l'époque, quant à la situation de passivité qui prévaut sur le plan des préparatifs de la présidentielle à venir. Tout le monde s'interrogeait sur ce paradoxe qui au lieu de susciter une dynamique, un engouement sur les défis et enjeux qui attendent l'Algérie, en 2019, c'est plutôt une pause politique, une attente de quelque événement qui laisserait entrevoir les cartes susceptibles d'être jouables pour ceux qui aspirent à présider un jour l'Algérie.

Eh bien, il faut le dire, «l'attente est terminée, le suspense est levé». Dimanche 10 février, juste après le show du FLN le vendredi, l'APS annonce : «M. Bouteflika prévoit dans son message d'initier «dès cette année», s'il est élu, une conférence nationale inclusive qui aurait pour objectif l'élaboration d'une «plateforme politique, économique et sociale», voire «proposer un enrichissement de la Constitution». (2)

Et la réponse à laquelle le pouvoir ne s'est pas attendu, il ne l'a pas eue de l'opposition, mais du peuple, de cette jeunesse qui constitue le futur de l'Algérie. Non pas qu'elle n'aime pas son président Abdelaziz Bouteflika, elle n'a pas accepté qu'un homme gravement malade, ne parle pas, ne marche pas, paraissant très peu sur la scène publique, recevant rarement des personnalités étrangères, vivant dans un lieu médicalisé, soit utilisé parce que, n'arrivant pas à s'entendre, le pouvoir annonce la reconduction de Bouteflika pour un cinquième mandat. Et arrivent les grandes manifestations populaires dans toutes les principales villes d'Algérie, le 22 février 2019. Le pouvoir n'arrive pas à croire, et des manifestations qui se sont tenues avec un mot d'ordre impérieux pour tous «pacifique». Et les manifestations ont continué durant toute la semaine et une autre est prévue aujourd'hui, le vendredi 1er mars 2019.

 Que peut-on dire de ces manifestations ? Viennent-elles des réseaux sociaux, et donc d'Internet ? Oui, mais les réseaux sociaux et Internet, c'est le progrès ? Et qui crée le progrès ? C'est l'homme, cela est certain ? Mais le progrès est créé par la pensée de l'homme. Et l'homme n'est rien sans pensée. L'homme peut-il savoir d'où lui vient sa pensée ? L'homme sensé sait qu'il n'est rien sur terre, un être créé et une pensée qui lui a été donnée par une instance divine.

A suivre

*Auteur et chercheur spécialisé en Economie mondiale, Relations internationales et Prospective.

Première partie de l'analyse parue :

«Election présidentielle 2019. Les «herméneutiques majeures» dans l'histoire de l'Algérie», par Medjdoub Hamed. Le 18 février 2019

https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/election-presidentielle-2019-les-212745

http://www.lequotidien-oran.com/

Notes:

1. «La population algérienne à 42,2 millions d`habitants au 1er janvier 2018», par l'APS Algérie. 27 juin 2018

www.aps.dz/algerie/75645-la-population-algerienne-a-42-2-millions-d-habitants-au-1...

2. «Election présidentielle 2019. Les «herméneutiques majeures» dans l'histoire de l'Algérie», par Medjdoub Hamed. Le 18 février 2019

https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/election-presidentielle-2019-les-http://www.lequotidien-oran.com/