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24 Février : double commémoration pour célébrer quoi ?

par Reghis Rabah*

Lorsque le propriétaire de la principale mamelle du pays, en la personne du Premier ministre invite son gestionnaire placé sous son autorité à la discrétion dans la distribution de la rente, le ministre de l'Energie lance des réserves de pétrole de 6000 milliards de barils, le PDG de Sonatrach nous accrédite d'un domaine minier de plus de 2,2 millions de km2 et qu'un cinquième mandat par sa stabilité politique nous permet de produire plus de pétrole à condition d'adopter une démarche tout business, alors !

Que reste t-il du 24 février, considéré comme l'un des piliers de la révolution économique de l'Algérie. Cette double commémoration est célébrée chaque année voilà plus de 48 ans mais dès qu'un brouillard apparaît dans la conduite stratégique de la politique énergique, on ne rate pas l'occasion de le mettre sur le dos de ce processus qui a demandé d'abord une vigilance puis une mobilisation et enfin un énorme sacrifice des travailleurs. Si le feu président Boumediene a choisi cette date pour annoncer la nationalisation des hydrocarbures en 1971, c'est qu'il comptait réussir son entreprise avec les cadres et les ouvriers du secteur. C'est ainsi que depuis pratiquement le début des années 80, de nombreuses voix, fortement affectées par l'actualité, tentent en vain d'imputer l?échec d'asseoir une Politique pétrolière et gazière en Algérie à la nationalisation qu'ils qualifient d'hâtive, émotionnelle et coïncide avec la montée du nationalisme dans les pays pétroliers sans tenir compte de son impacte économique sur leur développement. Cette manière d'analyser un événement passé en s'appuyant sur les données du présent a conduit au dérapage qu'on connaît. Une restructuration organique et financière de Sonatrach en tant qu'instrument de l'Etat au nom du gigantisme pour le regretter amèrement quelques années plus tard. Sa coïncidence avec la commémoration de la date de création de l'UGTA se justifie amplement car sans le mouvement et la volonté ouvrière, ce processus n'aurait pas réussi. Plus tard, sur proposition du feu Abdelhak BENHAMOUDA au ministre de l'énergie actuellement dans l'exécutif et validé par le Président Zeroual, on a donné à Sonatrach un statut de grand groupe pétrolier pour rassembler autour de lui les sociétés ainsi déstructurées afin d'en faire de plus compétitives et redresser ainsi les erreurs du passé. Cette équipe, pour protéger ce groupe des convoitises, elle le verrouille pour rendre son unique action inaliénable, insaisissable et incessible par décret présidentiel 98-48 du 11 février 1998.Chakib KHELIL et maintenant d'autres après lui sont venus pour pervertir les objectifs de ce décret pour tenter de déverrouiller le groupe et ouvrir son capital aux entreprises américaines si ce n'est encore une fois une très forte contestation populaire pour contraindre les pouvoirs publics de revenir sur leur décision. Ramener donc la nationalisation à son contexte historique même s'il faudrait le rabâcher chaque année, contribuerait sans doute à mieux comprendre sa portée et surtout à situer les responsabilités des uns et des autres face aux affaires de corruption qui gangrènent ce mastodonte de la nation. Quelles sont les circonstances de cette nationalisation ? Quels étaient ses objectifs ? Enfin, ont-ils été atteints ? Qu'en est- il après ces quarante huitième années de cet événement historique ?

1-Des circonstances historiques de la nationalisation des hydrocarbures

La nationalisation n'était pas spécifique à l'Algérie mais elle est apparue avec la prise de conscience de certains pays qui se sont rendu compte de l'exploitation de leurs richesses par les grandes firmes multinationales. Il y a eu le Mexique en 1938 puis l'Iran de Mossadegh en 1951.Elle n'est pas non plus la conception d'une équipe au pouvoir mais largement explicitée dans les documents doctrinaux (01). Il s'agissait en fait de récupérer les ressources naturelles et contrôler les instruments de régulation de l'économie. Le Code Pétrolier Saharien(CPS), qui était le seul cadre institutionnel avant l'indépendance, s'est trouvé modifié par les accords d'Évian en 1962 dans sa partie consacrée aux hydrocarbures dans un sens encore plus favorable aux intérêts Français et vient ainsi altérer le transfert de la souveraineté au profit de l'Algérie. En dépit de l'accord Algéro -Français de 1965, plusieurs contradictions ont été relevées dans le comportement des sociétés exploitantes: insuffisance des investissements d'exploration; gonflement artificiel des charges d'exploitation dans le seul but de réduire la marge qui revient à l?Algérie et rapatriement insuffisant du chiffre d'affaire réalisé par le groupe ELF etc. Plusieurs mois de négociation ont confirmé la position de la France de refuser l'alignement du pétrole algérien sur le régime fiscal pratiqué par les pays de l'OPEP et de se conformer à un contrôle de gisement par l'Algérie. Plus tard, le Général de Gaule révélerait cette stratégie de manœuvres dilatoire dans ses mémoires (02).C'est donc avec la souveraineté nationale et le libre exercice de disposer de ses richesses qu'il fallait peser les conséquences de la nationalisation du 24 Février 1971. Elle consistait en fait : de récupérer 51% des intérêts français dans la production du brut ; nationaliser la totalité des réserves gazières et celle de tous les moyens de transport. La réaction Française était violente mais prévisible : les compagnies ont essayé entre autres de faire un Embargo sur le pétrole algérien en le déclarant «rouge» Il ne s'agit pas ici de déclencher la symbolique des années 70, mais juste souligner le caractère combatif de ce processus qui a exigé pour se concrétiser un acte de grand courage et une mobilisation très importante d'où son lien indéfectible avec l'organisation syndicale «d'antan» bien entendu.

2- Sonatrach est une mère de famille qui ne peut pas porter une mini-jupe

L'entreprise Sonatrach et ses tentacules parapétrolières ont été créees par une poignés d'ingénieurs Algériens après l'indépendance pour agir au nom de l'Etat dans le secteur des hydrocarbures. Son objectif est d'exploiter les richesses fossiles pour mettre des capitaux à la disposition du développement des autres secteurs qui devront prendre la relève de cette ressource tarissable. En plus, l'Etat lui assigné à titre exceptionnelle la mission de former les cadres capables de faire fonctionner les installations pétrolières sans continuer à recourir à l'assistance étrangère. Durant ses cinquante six ans d'existence, Sonatrach aurait alimenté les caisses de l'Etat d'un montant de plus de 1000 milliards de dollars dont 80% durant la période 2000 -2013. (03) Le ministre de l'énergie et des mines de l'époque estime que rien que le secteur pétrolier aurait absorbé 800 milliards de dollars de la nationalisation à l'arrivée de Bouteflika au pouvoir en 1999. (04). Elle a permis également d'importantes réserves de change (05) de 56 à plus de 190 milliards de dollars en 2013.Tout cela pour quel résultat ? Même si la démarche économique entreprise après l'indépendance reste historiquement et idéologiquement discutable (06), il existe une unanimité sur le fait que les changements opérés par les différents gouvernements qui se sont succédé sur le modèle de développement ont échoué. Cet échec a extrêmement fragilisé l'économie nationale et la rendue fortement dépendante de facteurs exogènes dont le contrôle échappe complètement aux décideurs.

3-l'échec du modèle de développement des années 70 n'est pas d'ordre humain

De nombreuses analyses, parfois même scientifiques (07) imputent l'échec nous citons «est justifié par le manque de main d'œuvre qualifiée, en outre le manque des procédés techniques avancées, citons aussi le protectionnisme de l'Etat algérien à cette époque comme une contrainte sachant que «le secteur industriel consomme son capital puisqu'il ne dégage pas de ressources suffisantes pour assurer son renouvellement.» C'est incontestablement prendre un raccourci en l'analysant de la sorte car son initiateur a bien précisé dans son discours tenu a Annaba qu'il «ne servait à rien de monter un tissu industriel si on ne forme pas le facteur humain capable de le prendre en charge» (08) Il faut préciser pour mémoire que l'Etat par le biais de sa société nationale n'a pas lésiné sur les moyens pour d'abord former les cadres et plus tard les mettre à niveau aussi bien en Algérie qu'à l'étranger. On peut estimer dans le cas le plus pessimiste le montant au 1/20 des dépenses totales de l'entreprise depuis sa création en 1963. Environ 40 milliards de dollars ont été consentis pour les formations longues, moyennes et courtes et ceci sans compter les bourses accordées par certains pays étrangers. Rien que les associés dans le cadre de la recherche/production (ARP) et à chaque contrat passé, ont réservé près de 1% du montant contractuel pour la formation. Tout cela pour quel résultat ? Les derniers scandales ont montré que les cadres dirigeants n'ont aucune culture managériale, ils obéissent les yeux fermés mais la bouche ouverte. Son schème motivationnel n'a pas réussi à consolider le savoir et le savoir faire. Non seulement Sonatrach voit impuissante ses différentes structures se vider de ses compétences, même les investissements consentis pour rehausser l'Institut Algérien du Pétrole (IAP), qui lui a été confié par l'Etat en 1999 au rang de pôle d'excellence s'est avéré un échec incontestable.(09)

3- La diversification sans créativité humaine restera un vain mot

Il faut dire d'emblée que l'alibi d'un pays jeune, indépendant depuis 57 ans, ne tient plus car de nombreuses nations ont démarré leur industrialisation dans les mêmes circonstances parfois moins favorables et durant la même période, ont réussi à faire décoller leurs économies pour devenir aujourd'hui émergents. Les deux Corées par exemple, la Turquie, l'Inde, le Mexique pour ne citer que ceux là. Bien avant eux, le Japon dans les années soixante. Ces pays ont un point commun celui de miser sur les ressources humaines et notamment leurs diasporas qui ont forgé une créativité à l'extérieur de leurs pays d'origine où ils étaient assistés. La fuite des cerveaux, le «brain drain», est un phénomène qui est souvent évoqué en Algérie, en particulier pendant ces périodes de crise et de restriction budgétaire dans la recherche publique. Brandie comme une menace, il est difficile d'en mesurer la réalité pour notre pays, alors que le «brain drain» touche sans conteste de nombreux pays de la planète, mais dés que ces pays retrouvent les pistes de la croissance, ils se retournent en premier lieu sur les ressources humaines perdues avant bien d'autres facteurs. Il faut rappeler d'abord que les pays de l'UE quand ils étaient à quinze «produisent» 600 000 diplômés scientifiques par an (de la licence au doctorat), les USA 370 000 et le Japon 230 000. Au niveau du doctorat en sciences (tous domaines), l'UE décerne 5,5 doctorats pour 10 000 habitants (classe d'âge 25-34 ans) chaque année, les USA 4,1, le Japon 2,7 et la France 6,5. L'Europe a donc un fort potentiel de main d'œuvre scientifique que l'on ne retrouve pas dans l'emploi scientifique : il y a 5,7 chercheurs pour 1 000 actifs dans l'UE (7 en France), 8 aux USA et 9,1 au Japon. L'Algérie à l'avantage de fournir prés de 200 000 diplômés chaque années et plus avantageux encore une population jeune à plus de 60% mais n'en fait aucun calcul de ces richesses qui moisissent dans l'environnement. A la fin des années 80 et à titre d'exemple, «l'Inde, le Brésil et la Turquie offraient à leurs citoyens non résidents pour un retour au pays des soutiens financiers sans pareil pour séduire des entrepreneurs à «success story» venus en particulier d'Allemagne, UK et USA et maîtrisant un savoir-faire. Résultat probant : Où se placent-ils aujourd'hui ces pays dans le classement mondial ?»(10)

4- La continuité mènera l'Algérie droit vers le chao vénézuélien

Rappelons, qu'après un pouvoir militaire qui a duré jusqu'au 1958, ceux qui ont repris le flambeau du libérateur de nombreux pays du sud américain Simon Bolivar ont échoué, principalement du côté économique. Le socialisme du 21éme siècle que prônait le chavisme s'est avéré et les nombreuses crises l'ont prouvé, un populisme qui a favorisé le transfert des richesses vers une minorité contre laquelle les leaders politiques ne pouvaient que s'en accommoder en distribuant des miettes pour une populace avide de l'assistanat mais permet d'assurer une paix sociale pour la continuité. L'oligarchie pousse à travers des artifices déstructurés pour empêcher la diversification de l'économie, sa régulation par le marché informel afin de continuer à sucer la rente pétrolière uniquement à leur profit sans aucune vision stratégique. Le lieutenant colonel, Hugo Chavez, a transformé la rente pétrolière vénézuélienne en influence diplomatique et en réformes sociales. Aujourd'hui, son successeur Nicolas Maduro doit faire face à la chute des cours et à l'hostilité de l'administration Trump qui l'étrangle par des artifices économique sans avoir besoin.de recourir à une intervention militaire. Pourquoi ? En 2002, lors de la fameuse grève du secteur pétrolier vénézuélien, El commande comme on l'appelait a licencié sur un coup de tête prés de 30 000 cadres du secteur. Il a crée une filiale de PDSVA, CITGO pour construire les raffineries de son pétrole lourds aux Etats-Unis. Il transforma ainsi cette influence diplomatique en une dépendance que la population paye aujourd'hui. En Algérie, la fuite des cerveaux devait commencer bien avant au profit des multinationales et sur une décennie pourrait atteindre le double. Et maintenant, on internationalise notre aval pétrolier après avoir perdu à jamais le savoir et le savoir faire gazier que l'Algérie a capitalisé depuis ces premières gouttes liquéfiées dans le monde en se lançant dans la grande aventure dans le gaz, en mettant en service le premier complexe de liquéfaction de gaz naturel, dénommé GL4Z (CAMEL ? Compagnie algérienne du méthane liquéfié), d'une capacité de traitement de 1,8 milliard de m3 de gaz par an. Aujourd'hui, les données statistiques de l'ONS et de la banque d'Algérie font ressortir que la production avait déjà chuté de 60.000 barils/jour de 2016 à 2017 en dépit de la légère hausse au premier trimestre 2017 mais a repris la pente pour atteindre 100 000 barils en 2018. La consommation interne que ce soit en gaz ou en produits pétroliers explose pour affecter sérieusement non seulement les engagements de Sonatrach mais aussi le volume des exportations qui sert à la gestion courante du circuit économique et social. Comment peut ?on se gargariser et bercer les Algériens de «hard currency» énorme lorsqu'on importe tout. De la simple garniture d'une tête d'injection dite Wash pipe qui peut immobiliser un appareil de forage, en passant par le petit tube d'une colle Backer Lock pour l'étanchéité des filetages au produits chimiques, turbines, compresseurs jusqu'aux usines clé en main. Aujourd'hui même pour faire manger son personnel, Sonatrach fait appel au catering étranger. Elle devra donc compter ses sous pour éviter d'arriver à une situation d'un échange des dollars contre d'autres sans bénéfices. La production d'un baril est le fruit de toute une chaine pétrolière depuis les levées pour l'établissement des cartes géologique jusqu'à sa commercialisation et qui doivent être incorporés dans les coûts pour estimer la rentabilité de l'exploitation de ses différentes découvertes. Or, dans toutes cette chaine, Sonatrach n'intervient que très peu. Ce sont les entreprises étrangères qui prennent la grosse part. On peut citer entre autres : Schlumberger, Haliburton, Weatherford et bien d'autres pour la recherche, diagraphie, la cimentation, l'interprétation, l'instrumentation, la sécurité aux puits, les éruptions etc. Toutes ces interventions sont faites en dollars qui amincissent le flux d'entrée et influent sur le prix de vente qui échappe complètement à la société car il reste l'œuvre du marché .Les coûts avancés s'appuient dans certains forums de pacotille sur des transparents qui datent des années soixante dix. Le coût de production se situerait autour de 5à7 dollars le baril. Le prix actuel du baril, comme ceux que qui ont été pratiqués dans le passé lors des chocs pétroliers de 1973 et 1979, repose principalement sur un déséquilibre de volume. D'abord l'embargo pétrolier qui n'est autre qu'un gel des volumes en 1973 suivi un peu plus tard par la révolution iranienne en 1979 ensuite la guerre Iran-Irak de 1980 ont conduit aussi à une contraction de l'offre par une baisse des volumes. Le premier événement à quadrupler les prix qui sont passés de 3 dollars le baril à plus de 12 dollars le baril.

Renvois

(01)- Programme de Tripoli et la charte d'Alger

(02)- Dans ses mémoires de l'espoir, le Général écrivait «pour garder la mise à disposition des gisements de pétrole que nous avons mis en œuvre et celle de nos bases d'expérimentation de nos bombes et nos fusées, nous sommes en mesure quoiqu'il en arrive à instituer un Etat indépendant au Sahara»

(03) lire l'article de Ali Titouche paru à El Watan le 15 janvier 2014 sous le titre «Sonatrach, otage de la politique.»

(04)- Déclaration du ministre de l'énergie et des mines au forum d'El Moudjahid en février 2013

(05)- Gouverneur de la banque d'Algérie devant l'APN en décembre 2013.

(06)- lire les détails dans notre contribution parue au quotidien El Watan du 15 septembre 2012

(07)- A FROUKH, S. TOUAMI «La perspective des hydrocarbures dans l'économie algérienne» Revue Algérienne de l'économie et finances N°07 d'Avril 2017

(08)- Discours du Président H. Boumediene lors de la pose de la première pierre du pôle d'ammoniac de Annaba

(09)- l'article paru dans soir d'Algérie du 19/09/2011

(10)-Lire l'article du Dr. LIES GOUMIRI paru au matin d'Algérie sous le titre «L'Algérie a besoin d'une stratégie industrielle globale et cohérente» le 09/02/2018

*Consultant économiste pétrolier