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Le mot du Chahid à ces gens-là...

par El Yazid Dib

Le 18 février, Journée du Chahid. Mausolée lui étant affecté. Foule. Des officiels. Beaucoup d'énergumènes. On le sentait, ce valeureux Chahid énormément dérangé dans son repos éternel. Les sirènes, après le brouhaha du désherbage et du chaulage que l'on se pressait de faire la veille pour embellir la sépulture oubliée l'année durant, indiquent l'arrivée des vivants.

 L'on se bouscule au positionnement de la haie dite d'honneur. Les yeux ne fixent plus ni l'histoire ni ces tombes blanches et identiques, silencieuses et austères ; mais s'obligent et s'excitent à se poser sur l'officiel. L'on zyeute, l'on repère, l'on cible.

 J'y étais. Il y a de ces gens-là qui poussent à l'écriture. Sans arriver à s'élever comme une muse, ils sont aptes quand bien même à donner de l'inspiration. Mauvaise certes, mais elle est là, elle extirpe vos mots, vos maux et toute la mélancolie que vous subissez à longueur de les voir agir et réagir. Ils sont à toutes les sauces. De tout événement. Sans rougir et sans se sentir rougir l'un comme l'autre, sachant réciproquement leur dessein sulfureux ; ils brandissent la carte du parti, celle de l'Etat, de la révolution, des chouhada, de l'histoire, de l'entente, de Aïn Fouara et même du Président. Ils passent pour être le peuple, dans sa grandeur quand l'opportunité avantageuse y est, de sa petitesse quand sa grandeur ne rapporte rien.

Le Chahid face à ces gens-là, sourire séraphin en bout de lèvres, me fait la confidence suivante : « dis-leur tous mes remerciements, toute ma gratitude ; mais par salut divin qu'ils ne viennent plus déchirer mon calme par leur hypocrisie. Je reconnais cependant le gré de l'Etat sans qui personne ne sera là, de la loi qui reste encore à parfaire, de l'étendard qui flotte au-dessus de ma tête et qui doit être incrusté dans le cœur et non pas servir de teeshirt ou de cache-col. Que Monsieur le Wali ou son ministre ne me ramènent plus ces mêmes visages, ces mêmes gueules. Ces gens qui exploitent ma tombe, mon nom, ma postérité pour se faire ouvrir des accès, de la proximité à des avantages précaires, mesquins et immérités. Dis-leur qu'ils arrêtent de faire de mon simple combat, de mon volontaire sacrifice un atout pour se faire valoir ou se maintenir dans ces mandats électoraux locaux qui n'en finissent plus. Qu'ils aillent faire le leur. Dis à ces élus locaux voraces et ambitieux de veiller d'abord à leurs promesses électorales et d'assurer l'eau potable, le gaz, l'état de la ville, de ses routes, de son éclairage et de toute l'hygiène sociale. Je n'ai plus envie de revoir ces faciès de députés, ces chefs d'associations, de fondations, de coordinations, de fédérations, magouilleurs, menteurs et scélérats. Dis-leur, par décence, par ultime respect, qu'ils en gardent du moins quelques brins de ne plus me mêler à leur instinct malsain. Je ne suis pas un faire-valoir pour les canailles et les renégats. Ni un trampoline pour les traînards et les assistés. J'ai cru entrapercevoir dans la densité qui croyait venir me rendre les hommages et se recueillir à ma mémoire ; des progénitures douteuses dont je m'indigne. Enfin dis-leur que j'y ai vu des âmes vieillies par l'usure et le temps, la marginalisation et l'indifférence, méditer sincèrement, de loin dans leurs hameaux, dans leur dénuement. Ce sont ces gens-là, proie aux maladies, à la souffrance, sans parade, sans cravate occasionnelle, sans maquillage que j'aurais bien voulu voir. Dis-leur chacun reconnaît les siens ».

Lourd, très lourd ce message. Je ne compte pas égaler la valeur de son émetteur, ni l'intensité de sa substance. Je me persuade néanmoins à tenter de le transcrire à défaut de pouvoir efficacement le transmettre. Il y aura certainement de l'écho, de la prise de conscience. Je doute encore que ces gens-là que refusent le Chahid, ne seront pas là et encore à toutes les dates nationales. Ils en font un métier, pas un engagement patriotique.