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Monsieur le Président, si j'avais à vous dire...

par El Yazid Dib

Vous êtes candidat. Vos concurrents intentionnés à ce jour ne sont pas de votre ère. Bien de modes de gouvernance, de pratiques du pouvoir, de répertoires historiques vous distinguent l'un de l'autre. C'est de l'évidence biographique. Eux n'ont connu ni côtoyé les grands de ce monde, Boumediene, Nehru, Nasser, Tito, Che Guevara, Arafat, Castro, Mandela, de Gaulle, reines, rois, émirs et sultans. Partout ailleurs, le monde s'est vidé de ses icônes. L'on n'en fabrique plus. Sinon de simples tentatives à la Erdogan, Poutine, Merkel ou autres molles figurines. Eux émargent à twitter, instagram et autres digitalisations inconnues à votre époque. L'on ne peut remettre les aiguilles d'un siècle sur un autre ou pouvoir manipuler un levier en marche arrière. C'est ce temps qui manque à l'un au moment où il s'offre volontiers à l'autre qui fera la résolution d'une équation temporelle difficile à cerner. Le futur président ne doit plus se prendre pour un peuple, voire l'incarner ni être son Etat, mais leur représentant volontaire. Il ne peut être qu'au service des deux et sujet mis délibérément à la disposition de la souveraineté populaire.

Vous serez élu. Votre lettre du consensus patriotique et national serait un déverrouillage du grand hermétisme dans lequel le pays s'est politiquement et moralement stationné. C'est à ce propos que si j'avais à dire quelque chose, je vous dirais : «Commencez par la théorie de la table rase». «L'inclusivité» dont il est question ne doit pas arroser ceux-là mêmes qui ont façonné la mentalité actuelle du citoyen. Plus de confiance face à leurs mensonges, plus d'écoute face à leur verbiage, plus d'espoir face à leur incontestable fausseté. Si j'avais à vous dire quelque chose, je vous raconterais de ces ministres, de ces walis, de ces députés, de ces maires et de ces militants qui vous exhibent ouvertement leur inclination mais vous réprouvent intérieurement. Je vous dirais des choses qu'ils n'ont jamais eu le courage de vous les dire ou de vous les insinuer. Ils usent à l'excès de l'emphase pour vous situer, de la vapeur pour cacher le ressentiment qui les dévore.

Croyez-vous Monsieur le Président, que nous sommes en face d'une grande œuvre de votre grandeur quand l'un de vos ministres s'adressant au peuple leur assène qu'il est votre messager et que vous l'aviez missionné pour couper un ruban au seuil d'un simple guichet municipal ? Le croit-on quand, par un plissement frontal, il essaye de montrer son chagrin devant une inondation ou par un nœud de gorge, il estime ainsi exprimer compassion et regret devant les cadavres que la mer refuse ? Quand on prend l'objectif d'une caméra pour un objectif sectoriel, c'est que l'on est en plein tournage d'un rôle que l'on joue juste pour faire croire prouver un amour qui en fait n'existe pas.

Votre rang a été tellement aligné à un niveau où chacun, voulant se faire plaire, ne rechigne à le coller qui à un don de sac de semoule du Croissant-Rouge, qui à un ravalement de trottoir, qui à une trémie ou à un chauffage d'une nouvelle école rurale.

Il y a de ces ministres, l'un plus que l'autre, qui excellent en la matière. Ils vous respirent en public, vous attribuent toutes leurs attributions et vous ingurgitent silencieusement mal. A entendre l'un d'eux, l'on dirait qu'il n'a de responsabilité que de vous citer, de vous endosser ses actes, ses activités et reste là tranquille soumis à ses inepties, à ses incohérences. Si j'avais à vous dire de ces députés, je ne vous montrerais pas le cadenas qui barricade encore leur intégrité politique. Leur déficit de loyauté légale, leur dessein parlementaire ou leur vision bornée au douar ou à un hôpital de leur village. Aussi, serait-il question de l'un de ces walis qui oublie sa forfaiture verbale blessant des moudjahidine et collectionne les couvre-chefs de colon.

Ainsi, il y a énormément de choses à dire. Des choses qui dépassent l'âge du pays, qui s'enfoncent dans la profondeur des caprices maléfiques de ses récents façonneurs qui seront certainement et encore de votre campagne. Et si vous y mettiez de nouvelles têtes, des têtes sans costumes étatiques, sans CV mauvaisement médiatiques, mais juste des insignes de simplicité, de bénévolat, de citoyenneté, d'art, de culture, de sciences, de sourire et d'honnêteté ? Beaucoup d'autres choses, de soupirs et de stress social restent à vous dire si jamais...