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Présidentielle : Le général Ali Ghediri et les garanties qui manquent (1ère partie)

par Omar Mazri*

Comment caractériser les élections dans une ambiance rose en surface et apocalyptique en profondeur, au regard du chaos institutionnel, de la diversion politicienne, de l'exclusion, du retrait des poids lourds politiques, du discrédit incontestable des autorités, des crispations sociales avec des révoltes larvées, climat de fin de règne, contexte international chargé de menaces et d'imprévus politiques et géostratégiques.

Nous revenons à la case de décembre 1991 : absence de garanties avec cette fois-ci absence du chef de l'État qui peut donner sa caution dans le sens d'une répression ou dans le sens de l'apaisement et du dialogue.

En plus de la vacance au sommet de l'État, il y a un effritement des partis politiques qui ne peuvent se prévaloir du rôle d'interlocuteurs valides ou de relais au pouvoir. Les grandes puissances étrangères, par leur silence médiatique, semblent montrer un désintérêt manifeste pour l'Algérie, la considérant ingérable pour faire d'une manière crédible et durable, valoir leurs positions stratégiques sinon elles sont en attente de l'aboutissement du scénario de désintégration bien entamé qui arrange bien leurs affaires et au moment opportun elles viendront imposer une solution ou partitionner la géographie et le pouvoir politique pour continuer ce qu'ils n'ont pas réussi à faire en Syrie. Notre chaos n'est ni inédit, ni isolé, ni fortuit : il accompagne le désordre mondial qui annonce la fin de la modernité et l'émergence de la post- modernité. Nos principaux partenaires, la France et les USA sont en décomposition, ils ne peuvent apporter ni secours ni feuille de route, sauf le désordre, la voracité et l'incompétence.

One two tree viva l'Algérie ou Chaâb et Djeich tahya al Djazaïr ne seront plus un rempart contre l'efficacité de la subversion extérieure et la prédation des rentiers intérieurs qui sont appelés objectivement à converger puis à se coordonner. On peut tuer le général d'une armée mais non l'ambition dans le cœur des hommes enseignait Confucius. Où est notre ambition, où sont nos hommes ? La loi de l'existence des peuples et des nations est implacable et immuable: effondrement et disparition ou salut et renaissance. Oui le pire comme le meilleur sont des possibilités, selon les conditions psycho-morales et les conditions matérielles du lieu et du moment. On ne peut pas dire que nos conditions sont bonnes ou en voie d'amélioration, à moins de se mentir ou de croire aux fables. Ni le bouc-émissaire jeté en pâtures aux crédules ne nous donnera l'illusion de catharsis ni d'ailleurs l'homme messianique ou le Mahdi mountadar ne donnera l'illusion salutaire. Nous sommes une virtualité de désintégration, une entropie en puissance, une réalité morbide à qui manque le temps de réalisation pour qu'elle soit un réel actuel, une réalité tangible dans les faits sociaux, politiques, économiques et géostratégiques. Ce temps ou plus exactement le délai et le terme échappent à notre entendement humain, mais son processus est suffisamment avancé et ancré pour que les plus lucides le ressentent dans leur chair et le vivent déjà comme un cauchemar avec les yeux ouverts.

Le Coran nous enseigne que la défaite et les catastrophes ne sont pas un destin, mais l'œuvre des hommes mal pensants ou mal agissants. La catastrophe peut être évitée si les Algériens, tous sans exception, refusent l'écœurement actuel et acceptent le changement même s'il est difficile et confus. Ce qui se trame dépasse Bouteflika, l'Armée algérienne et les élites civiles. Nous sommes sur le plan socio-politique dans ce que Antonio Gramsci a décrit comme un interrègne cette phase historique « où l'ancien meurt et où le nouveau ne peut pas naître... Une grande variété de symptômes morbides sont observés ». Dans de telles périodes, pour les tenants de la rente, le nouveau est non seulement insensé et dangereux mais impensable. Pour les partisans du changement, il est difficile de montrer la voie et de faire des promesses à un peuple nourri à la gamelle de la rente et à la fascination du zaïm. Nous sommes dans la phase de l'effondrement de la morale la plus basique qui montre que ce n'est plus Hizbfrança qui gouverne, mais Hizb as Chaytane.

Jamais ne nous aurions imaginés, dans une situation « normale» que les seconds couteaux humilient, intimident et menacent, publiquement et médiatiquement, avec une ardeur de démons et avec l'assurance d'impunité des hommes de grand talent et de grande probité comme Hamrouche et le général Ali Ghediri. Ceux qui croient encore que l'ANP est détentrice du pouvoir réel qu'ils s'interrogent comment un homme instruit, de bonne éducation, discipliné, laborieux ayant servi quarante ans puisse être traité de cette manière sans que ses pairs ne réagissent ? Combien d'officiers et de civils ont été contraints à l'exil ou à la réclusion à domicile. J'ai toujours pensé qu'on a fait payer à l'ANP le prix de la bravoure impardonnable de l'ALN. Le FLN a payé le prix. Le peuple a payé aussi le prix et ils vont continuer à payer le prix jusqu'à être discrédités pour effacer la mémoire de la résistance populaire et du sacrifice des martyrs. Ceux qui affichent leurs insultes ne sont pas le pouvoir réel, ils sont l'ombre de l'ombre de la revanche.

Que le Président Bouteflika soit candidat, que l'Armée ait son candidat, que tel parti ait son candidat, il n'y a pas de problème, nul ne doit être exclu tant qu'il est transparent et qu'il cherche la légitimité par les urnes, même si les urnes ne sont pas garant de la légitimité et ne peuvent donner la véritable légitimité lorsque les conditions et les garanties de l'expression sont noyées par la confusion, la suspicion, la haine et la panique, pour certains.

Est-ce que les conditions actuelles de programmation des élections hâtives et presque clandestines ne vont-elles pas cristalliser les frustrations, les méfiances et les défiances et les transformer en rancunes, en contestation et en confrontation avec tous les débordements possibles et toutes les déflagrations possibles. La responsabilité morale, civile et politique est que, sur le plan politique, social et sécuritaire l'élection ne soit pas l'exacerbation des contradictions, affichées ou occultées, mais l'instauration de la confiance pour préparer la fondation d'un nouveau pacte républicain. Entretenir l'illusion d'un nouveau premier novembre est une faute politique car la génération montante ne connaît du premier novembre 54 que le récit scolaire tronqué et le triomphalisme chauvin. L'ancienne génération ne connaît le Premier Novembre qu'à travers son prisme idéologique. Pour les uns c'est l'Etat-nation à la lumière du jacobinisme français, pour d'autres c'est l'islamisme de Benbadis, pour d'autres c'est le libéralisme américain. Chacun s'approprie une date comme un clocher de paroisse idéologique ou de secte partisane avec ses arrières-pensées. Nous savons tous que l'impérialisme mène une guerre d'usure contre notre existence comme il mène une prédation, sans limite, contre nos ressources, nous savons aussi l'ampleur et l'intensité de nos clivages culturels et idéologiques et ce n'est pas, en jetant des anathèmes que nous allons les surmonter. Le seul dépassement est de participer, tous, pour l'émergence du citoyen et que celui-ci aient non seulement le droit, mais les moyens de participer à la conduite des affaires publiques...

N'est-ce pas que Hamrouche et Ghediri sont dénoncés comme usurpateurs par des « partisans » du premier novembre alors qu'ils se réclament du premier novembre. Il y a volonté de brouiller toutes les cartes et toutes les représentations mentales sur l'avenir, le présent et le devenir de l'Algérien. Cette date historique et bénie fut, paradoxalement, à la fois l'élan libérateur contre le colonialisme et le socle fédérateur de tous les clivages idéologiques pour affronter le colonialisme en laissant en suspens l'édification nationale, la citoyenneté. L'Algérie était fracturée avant la révolution de Libération nationale par des imaginaires incompatibles. L'incompatibilité est toujours ancrée dans notre imaginaire collectif. Nous pouvons envisager une nouvelle appropriation sociale, idéologique, culturelle et politique du premier novembre, si nous prenons le temps de lui donner un nouveau contenu, une nouvelle perspective et surtout un nouveau socle rassembleur et résistant. Les mots, plus que jamais doivent coller à notre réalité actuelle et à nos défis présents : « Lorsque les mots perdent leur sens, les gens perdent leur liberté » disait Confucius. Ce chantier de ré-appropriation historique et de remise à niveau idéologique n'est pas ouvert, car il n'y a ni débat ni conditions pour débattre. Il n'y a que des passions sur la culture, l'idéologie, le pouvoir et la rente.

La politique consiste à pratiquer l'État et à gérer le bien-être de la cité investie par des citoyens, c'est-à-dire des hommes libres, consentant à vivre ensemble malgré leurs diversités, à exercer leurs devoirs de solidarité et à trouver un dénominateur commun qui transcende les clivages idéologiques. A deux mois avant l'élection ? de tous les dangers ? nous n'avons pas de débat autre que des déclarations d'intentions qui sont traînées dans la boue lorsqu'elle suggèrent la rupture, une nouvelle république. Je ne pense pas que la rupture avec Bouteflika soit l'essentiel de nos préoccupations, l'homme a accompli son temps et celui-ci sera témoin en sa faveur ou contre lui, le Jour de la Justice suprême.

A suivre...

*Auteur et écrivain