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Retour à 1990 pour la croissance chinoise

par Akram Belkaïd, Paris

Serait-ce la fin de la belle histoire du très grand bond en avant ?

En 2018, la croissance du produit intérieur brut (PIB) chinois a marqué le pas avec un taux de 6,6%. Certes, de nombreux pays paieraient cher pour afficher un tel dynamisme. Par exemple, les économistes du Fonds monétaire international (FMI) ont calculé que l’Europe pourrait atteindre le plein emploi avec un tel taux, voire qu’elle serait en pleine surchauffe, ce qui l’obligerait à faire appel à des travailleurs étrangers.

Mais, pour la Chine, ce niveau d’augmentation de la création de richesses ou la somme totale de la valeur ajoutée, car telle est l’une des définitions -partielles- du produit intérieur brut (PIB), n’est pas acceptable. D’abord, cela la renvoie à 1990, date à laquelle la croissance avait atteint ce «plancher». Ensuite, parce que le modèle économique chinois n’est pas encore entré en phase de normalisation.

Faiblesse des demandes interne et externe

Pourquoi une telle contre-performance ? Les raisons majeures sont doubles. Il y a d’abord la faiblesse de la demande interne. Les Chinois ont moins consommé en 2018, car le gouvernement a veillé à freiner les crédits et à encourager le désendettement progressif des ménages. Cela fait des années que la bulle du crédit inquiète les dirigeants du Parti communiste chinois et leur volonté de contrôler les circuits d’endettement, que cela concerne les ménages ou les entreprises, notamment publiques, ne sont pas une surprise.

Cela fait partie d’une stratégie d’assainissement de l’environnement financier qui va de pair avec l’affirmation de la Chine en tant que puissance économique. Plus la dette intérieure est contrôlée, plus le yuan sera considéré comme une monnaie solide, susceptible de jouer un rôle plus accru sur le plan international (certains pays commencent déjà à l’inclure dans leurs réserves de change). Le prix à payer pour cela est un ralentissement de l’économie, ne serait-ce que parce que cela limite les capacités de relance par l’investissement public.

Ensuite, il y a la faiblesse de la demande mondiale qui pousse les exportations chinoises à la baisse. On peut ajouter à cela l’attentisme lié à la bataille commerciale qui se déroule actuellement entre Pékin et Washington. Il ne fait nul doute que le chiffre de la croissance 2018 va être brandi par le président américain pour prouver à quel point il peut, par ses sanctions et surtaxes, infliger des dommages à l’économie chinoise. En réalité, c’est plus l’atonie de la demande mondiale, avec des pays émergents à la peine, qui explique pourquoi le «made in China» a été moins conquérant en 2018.

Un nouveau modèle à trouver

Faut-il pour autant déceler la fin de cette extraordinaire phase d’expansion entamée par la Chine à l’orée des années 1980 et accélérée en 1990 grâce à la mondialisation ? Il est encore trop tôt pour y répondre. Les deux ou trois prochaines années nous diront si la Chine se «normalise» avec une économie affichant des taux de croissance plus raisonnables. La question sera alors de savoir quels choix feront les dirigeants du PC chinois. Quel sera le modèle retenu ? Garderont-ils le cap sur l’expansion planétaire au risque d’entrer de plus en plus en confrontation avec les États-Unis ? Privilégieront-ils le marché intérieur ? Et comment feront-ils pour répondre aux attentes d’une population chinoise qui ne saurait se contenter d’un retour aux conditions sociales et économiques des années 1990 et encore moins à celles des années 1980 ? L’affaire est à suivre.