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Où en est la Muséologie en Algérie ?

par Réda Brixi*

«Dar el-Adjeb», «la maison des curiosités», tel est le vocable sous lequel fut désigné le musée d'antan. Le musée en Algérie est né sous l'étoile coloniale, d'une part pour implanter leur nouvelle identité, et d'autre part pour affermir leur bonne conscience de civilisation judéo-chrétienne.

Son immersion a suivi les découvertes archéologiques et quelques brides d'anciennes reliques. Le démarrage fut l'œuvre de quelques férus en muséologie (sous-préfet, officiers de l'armée) pour édifier des musées de sites, en dépeçant les monuments existants tels que les médersas (la Tachfniya, la Yacoubiya, etc.), les mosquées, les maisons des gens célèbres (Maqqari, Lokbani, ibn El Habbak, le père de l'astrolabe), etc. Du coup, la peinture rupestre, mise en relief par les officiers du Sud, à partir d'Aïn Séfra, la route des chars, etc.

Les algérianistes avec la ?Revue africaine' lancèrent une culture d'une vision coloniale. Ce fut un artéfact d'une facture riche en documentations. Il perdure encore comme socle culturel. Trajectoire culturelle enrichie par de célèbres professeurs, tels que M. Belhamissi pour le volet «course en Méditerranée». M. Hadjiat (Abou Hamou II), Mahfoud Kaddache (Algérie médiévale), Chérif Sahli, Mohamed Harbi (Messali Hadj), Atallah Dhina, Kaddour M'hamsadji, A. Ferrah, Nouredine Saoudi, Djilali Sari (Cheikh Bouâmama), Bourouiba (Ibn Toumert), Abderrahime Benmansour (Aïn El-Houtz), Sid Ahmed Bouali (les deux sièges de Tlemcen), Réda Brixi (La route du sel, la Tachfiniya, Musée de Tlemcen), etc. La vision de ces témoins a élargi les dioramas muséologiques pour impliquer une inspiration de scénarios d'expositions.

La science des Musées est relativement jeune. Elle a moins d'un siècle. C'est dans le second quart du XXème siècle qu'apparaissent les premières recherches sur les musées, leur fonction, la manière de les concevoir. La muséologie s'est d'abord préoccupée de questions liés à la conservation des objets d'art et à l'architecture des musées. Jusqu'à date l'héritage des anciens palais ottomans (Bardo, Antiquités, Musée populaire de Khedaouche el Amia, Dar Aziza, Dar Abdeltif, etc.) ait bonne figure. Il faudrait ajouter la majestueuse grande poste qui a été récupérée récemment pour en devenir Musée de la poste ou du timbre. Elle clôture la gamme architecturale d'obédience ottomane. Le reste suit la ligne coloniale, tels le Musée des beaux-arts, le MOMA, des Antiquités, etc. à Tlemcen, le nouveau musée national d'art et d'histoire est logé dans l'ancienne mairie coloniale d'un style bâtard. L'écomusée de Bou-Saâda répond plutôt au style de son tuteur moral : Nasreddine Dinet, d'une couleur locale ocre du Sahara. Le Musée national Maritime dans les voûtes de Khereddine Barberousse possède sa marque de fabrique, faudrait-il qu'il émerge de sa nasse engluée dans les dédales de faisabilité ? Le contenant surclasse le contenu. Les carapaces sont plus historiques, elles éclipsent «intérêt de l'exposition, maquillage et décor pédagogique, le site sera visité, en tant que tel, comme monument et non pas l'imposer dans un corsage torsadé pour introduire un fragment important de l'histoire de l'Etat algérien.

D'autre part, l'espace est soumis à l'effet d'un classement mondial sous la coupe de La Casbah. Cela veut dire qu'il n'est pas permis de planter un clou ou d'opérer une ouverture quelconque. Alors que la réglementation inflige des sorties de secours ou des rampes pour handicapés. Des puits de lumière, etc. Un musée qui va patiner dans la choucroute, cela dure depuis 2006. En 2019, rien à l'horizon.

Le projet du Musée africain, annoncé à grands fracas, au Sommet de l'Union africaine avec le Musée maritime sont des projets morts-nés. Initié en 1996, plus de dix années après c'est toujours du patinage artistique d'annonces féeriques non réalisées. Le projet sommeille et dépense au moment où l'Algérie doit compter ses sous. L'état annonce une série de mesure d'austérité où les grands projets sont abandonnés. Le Musée africain passe à la casserole. Son assiette choisie à la ?Sablette' est délaissée pour un terrain vague. Demeure le Musée maritime qui vivote au cœur de l'Amirauté. Il est enveloppé dans une carapace où l'armée l'a sous haute surveillance. On y entre avec laissez-passer. Une camisole de force qui va le maintenir pour combien de temps ? Un autre pendant d'une dépense incertaine. Un musée est viable quand il répond aux normes nationales et internationales. Le Musée maritime, étriqué dans un corsage forcé, à l'intérieur d'une zone militaire, quoique promise de déménager depuis le décret de l'an 2000. L'armée est souveraine dans ses agissements. Le deuxième point de vue, irréversible, c'est son exiguïté. Sa carapace peut être historique mais ne peut répondre aux normes viables. Comment peut-ont caser un musée sur un espace aussi étroit ? Cent mètres de long sur douze mètres de large, ne peuvent édifier un musée à triple usage (musée de l'Histoire de la marine, Centre d'interprétation maritime et ethnologique du rivage méditerranéen). Depuis la ministre Khalida Toumi qui a cherché vainement un architecte chevronné pour le prendre en charge, cela perdure depuis, en de vaines tentations. Le développement muséologique se trouve coincé dans son avancée, aussi bien technologique que scientifique. Tout est braqué sur La Casbah», notre identité qui doit être classée dans les musées, va encore rejoindre les méandres de la médiocrité. Le Musée est le reflet de la société. Il émet les rayons de son passé, de son présent et anticipe sur sa trajectoire. L'identité demeure son socle sur lequel se greffent mémoire et ambitions. Une histoire riche que compose toute une sédimentation d'envahisseurs des couches de civilisation superposées qui constituent tout un amalgame de populations, à partir des Numides en passant par les Phéniciens, les Romains, les Français, si on suit cette chronologie d'occupations, chacune dégage toute une panoplie de dioramas au musée. Une richesse et variété qui peupleront le musée et privilégieront l'histoire algérienne.

Le besoin du musée est vital, sa radiation ou son ignorance équivaut à une amnésie radicalement déstructurante. C'est un haut lieu où peut se propulser une nouvelle énergie créatrice dont a besoin notre société. Libérer les innovations, le pays se porterait mieux !

Pour que le Musée puisse devenir un acteur culturel, au même titre que le théâtre, le cinéma, l'université, l'examen de l'état de notre muséologie s'avère nécessaire, afin de réajuster les données conditionnées par la colonisation et la structure post-indépendance. La charpente muséologique est dépourvue de toute éthique ou de modalité de maintien d'expositions (aucune exposition temporaire, ni publications), comment le Musée, dans ces conditions, pourrait-il servir notre Jeunesse et la Société algérienne ? comment rendre le Musée plus attrayant et devenir un distributeur de savoir et un lieu de délectations ? Le Musée n'est-il pas le dépositaire d'un patrimoine ? La collection reflète la valeur historique ou anthropologique de la région. Le visiteur doit ressentir des émotions qui lui feront vivre de mémorables moments. Le Musée doit renouveler sa thématique en l'exposition temporaire, tous les six mois. Thématique pédagogique ou même politique comme au théâtre. La question de savoir où en est la muséologie algérienne reste sans réponses, du fait que la priorité ne demeure pas dans le culturel mais plutôt dans la volonté politique. Les nouveaux musées édifiés depuis l'indépendance sont des musées d'appoint nécessaires pour combler le débordement des trouvailles archéologiques (Sétif, Cherchell) l'éco-musée de Boussaâda, après son incendie, traîne, même s'il est doté du caractère national. Il n'y a pas à la base une politique qui régit la muséologie. De l'héritage colonial on est passé à un héritage bricoleur, faire face à l'urgence et laisser faire. Résultat aucun intérêt pour la matière. Par contre les missions à l'étranger battent les records. Nos directeurs ont sillonné le monde. Ils ont vu, bu et rien, avec des rapports de missions aussitôt classés.

La plupart des musées sont demeurés, à quelques acceptions près, tels quels. Certains n'ont pas changé d'un iota. Ils se maintiennent sur un niveau très désuet par rapport à l'évolution de la muséologie. Notre muséologie jusqu'en l'an 2000, est restée figée, archaïque et incohérente dans toutes ses latitudes. Les collections qui constituent l'épine dorsale demeurent très faibles. Les principales, telles que la numismatique au musée des Antiquités est l'œuvre méritoire de son ancien directeur. Les autres collections, habillement, instruments de musique, culinaire, bijoux, sont très disparates. L'histoire des outils est absente. Sur le plan muséographique, la disposition des artéfacts est abracadabrante sur des présentoirs archaïques, des supports démodés, des étiquettes en papiers, une lumière mal au point et une sonorisation complètement absente. Les catalogues rarissimes. Les muées sont tenus par des archéologues ou d'anciens enseignants qui ne sont pas des conservateurs formés pour. Il y a un déficit flagrant de muséologues, pour la restauration et la conservation. L'Algérie fait appel à l'étranger.

La politique d'acquisition demeure très timide desservie par des budgets étriqués, les services responsables de la muséologie ronronnent sur le même refrain, sauf quand il y a un festival ou une manifestation, à grande échelle. Un feu de paille. Il n'y a aucune formation de concepteurs, même les inventaires ne sont pas à jour, les publications, les séminaires, la réflexion muséologique est absente, par contre la formation archéologique est prolixe. Nos archéologues courent la rue. Le site de SIGA qui peut absorber une partie est toujours à l'abandon, une ancienne capitale d'où dépend tout un enjeu historique, par l'archéologie, on peut déterminer les maillons manquants de l'histoire des massaeyssyls. La nouvelle muséologie est considérée au même titre qu'un acteur qui participe au projet «sociétal».

*Ex directeur du Musée de Tlemcen, ex Directeur du Musée national maritime d'Alger

Notes :

1- Musées sahariens, mémoires des sables

2- Les Musées dans l'imaginaire du monde arabo-musulman

3- Les Musées célèbres en Europe Le Louvre, L'Ermitage