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Macron : il faudrait le calmer !

par Pierre Morville

Avec le mouvement des « Gilets jaunes », la France est en train de vivre une crise sociale et politique exceptionnelle.

Depuis bientôt neuf semaines, chaque samedi réunit de nombreux protestataires, à l'appel d'un mouvement spontané qui s'est lui-même nommé les « Gilets jaunes », du nom d'un survêtement en plastique, d'un jaune très visible que doit avoir chaque automobiliste et qu'il doit mettre en cas d'incident (voiture bloquée...) sur la voie publique. Ce mouvement réunit de nombreuses catégories de Français : salariés, artisans, cadres mais également des professions libérales, voire des patrons de PME. Complication : le mouvement des « Gilets jaunes » qui n'a pas de dirigeants ou représentants officiels, n'a pas non plus de programme portant des revendications précises. Tout est décidé par la base qui peut changer d'avis selon les régions. Néanmoins, parmi les thèmes récurrents qui fleurissent lors des occupations des ronds-points routiers, des péages d'autoroutes, des rassemblement et manifestations dans les villes et les banlieues, surgissent quelques thèmes majeurs.

Sur le plan social et économique, la principale demande commune à l'ensemble des participants est une hausse du pouvoir d'achat. Celui-ci stagne depuis plus d'une décennie, ce qui signifie souvent pour les couches populaires mais également pour les retraités et pour certaines classes moyennes, une réelle baisse de ce pouvoir d'achat et le sentiment d'un appauvrissement, alors que la fiscalité continue de grimper.

Autre forte demande, le retour à l'Impôt sur les Grandes Fortunes (ISF) qui taxait les plus fortunés mais qu'Emmanuel Macron avait immédiatement supprimé après son élection présidentielle.

Le mouvement social s'est rapidement transplanté sur le plan politique : les « Gilets jaunes » exigent de plus en plus le retour à une réelle démocratie de base : ils contestent autant le pouvoir exécutif, qu'ils critiquent le nombre trop important à leurs yeux, de députés et sénateurs. Ils réclament surtout la possibilité d'organiser tout sur le plan local que national, l'instauration de « référendums « à l'initiative des citoyens.

Jusqu'à présent les réponses du gou-vernement Macron restent peu compréhensibles. Au départ, au cours du mois de novembre ce gouvernement surpris par ce mouvement hors des traditions, a parié sur un essoufflement rapide.

Puis il a cru que ce mouvement souvent désordonné, serait condamné par une opinion publique inquiète des débordements. Pas de pot ! Le mouvement est spectaculairement populaire. Au cours du mois de novembre, environ 80% des Français le soutiennent ! En ce début d'année, les proportions sont plus faibles : 55% des sondés a de la sympathie pour le mouvement des Gilets jaunes mais 75% les encouragent toujours à continuer.

Après avoir longtemps minimisé la colère des Français, Emmanuel Macron a fait à la mi-décembre une sorte d'autocritique télévisuelle, reconnaissant publiquement s'être trompé et proposant au mouvement une série de mesures dont une augmentation partielle du salaire minimal, le SMIC, le tout pour des dépenses sociales supplémentaires de l'ordre de 10 milliards.

Mais ces mesures n'ont nullement calmé la grogne sociale. Du coup en fin d'année, le gouvernement est revenu sur une « ligne dure », assimilant les « Gilets jaunes » à un mouvement quasi subversif. Le blocage politique de la société française est donc, à ce jours, quasi-total entre un mouvement social et un gouvernement qui ne veulent ni l'un, ni l'autre reculer. L'ouverture de négociations est d'autant plus complexe pour le pouvoir que le nouveau gouvernement Macron a marginalisé d'emblée les « corps intermédiaires » élus locaux et syndicats qui sont les relais et négociateurs traditionnels. Autre complication, Emmanuel Macron semble faire de ce conflit une affaire personnelle et vexé semble refuser toute idée de compromis.

Le mouvement dans une ville du sud de la France

Dimanche 6 janvier, aux pieds des Arènes de Nîmes. Endroit romain superbe. Mais il faisait froid, ce jour-là, avec un mistral glacier. De cent à trois cent manifestantes, selon les moments et les endroits de rendez-vous, avaient répondu à l'appel des « femmes Gilets jaunes » de Nîmes et du Gard. Beaucoup de femmes étaient bien sûr présentes.

« On ne reculera pas » explique, début janvier, Martine B, l'une des animatrices du mouvement sur Nîmes. Même si, dans ce mouvement personne n'est officiellement « animateur », ni bien sûr « animatrice » : « ll n'est pas question de reculer. Le mouvement des Gilets Jaunes est l'expression d'une grande colère de la population française. Le gouvernement doit écouter les revendications populaires », explique-t-elle, après avoir accepté de répondre à des questions d'un journaliste. Martine était cadre dans une entreprise. Son mari est patron d'une petite PME. « Alors, comment voyez-vous les prises de positions des salariés, voire de vos salariés, des retraités, des chômeurs.. ? ». « On partage la colère de tout le monde ! Et on est là pour longtemps ! », assure-t-elle.

Il est vrai que la mobilisation dans le Gard a été bien supérieure aux prè-estimations préfectorales. Le gouvernement, comme partout en France, pariait sur un essoufflement voire, après les fêtes de fin d'année, sur une anorexie progressive de la contestation. 50 000, 100 000 participants en ce début du mois de janvier ? Peut-être plus, après les fêtes fins d'années, contrairement aux espérances officielles. Restant, ce qui surprend le plus, c'est l'extrême diversité sociale et politique des personnes rencontrées. Et de leur extrême colère. Visiblement durable.

« Foule haineuse »

Le gouvernement et son Président en ont-ils conscience ? A la mi-décembre, Emmanuel Macron avait fait une déclaration publique gentillette, en sorte de s'excusant auprès des Français, de ses éventuelles erreurs passées. Mais à la fin de l'année, le discours présidentiel, une quinzaine de jours plus tard était totalement différent. Là, on ne rigole plus. Les protestataires ? Des séditieux. Lors de ses vœux aux français, le 31 janvier 2018, pour appeler aux attentes de la Nation pour l'année qui suit, le Président Macron s'en est violemment pris aux Gilets jaunes, les définissant comme une « foule haineuse » qui veut s'en prendre aux élus, aux forces de l'ordre, aux journalistes, aux étrangers, et même, aux juifs et aux homosexuels... Pitoyable.

« Le peuple ? Mais quel peuple ? » a-t-il même conclut pour dénoncer ses protestataires. « Le Président ? Mais quel Président ? » pourrait-on également constater.

Le débat citoyen peut-il enfin s'enclencher ?

Le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux, a été évacué samedi dernier, de son bureau après l'intrusion de manifestants violents dans la cour de son secrétariat d'État, situé rue de Grenelle, non loin de l'Assemblée nationale. Il est vrai que la dernière intervention télévisuelle du Porte-parole a surpris par ses excès verbaux : « Nous devons aller plus loin dans le changement, être plus radicaux dans nos méthodes ». Intervenant au nom du gouvernement, Benjamin Griveaux, Porte-parole du gouvernement, ce mouvement est désormais « devenu, pour ceux qui restent encore mobilisés, le fait d'agitateurs qui veulent l'insurrection et, au fond, renverser le gouvernement ». Les « plus radicalisés », dont certains « sont habitués des plateaux télés », sont « dans un combat politique », a-t-il dénoncé, voulant renverser la république en appelant à une « radicalisation du gouvernement ». Radicalisation du régime ? Comme si dans le cadre de la Vème République, cette hypothèse pouvait être constitutionnellement crédible ? Griveaux se prend pour Massu mais Macron n'est pas De Gaulle...

Mais dans le même temps, ce président veut à tout prix maintenir de nouvelles réformes qui vont mettre en mouvement de nombreuses populations : le maintien de l'Impôt sur les Grandes Fortunes (ISF), les réformes sur les chômeurs du Pôle Emploi, retraités, « réforme » de la Fonction publique. Et pour finir, une remise en cause d'un accord profond de notre société, la Loi de 1905, scellant un compromis fondamental de la Nation française de séparation entre l'État et les Religions.

Bref, il faudrait calmer le Président. Et surtout relancer un dialogue et de véritables négociations.