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Tlemcen- Evocation : Sid Ahmed Bouhaïk, l'auteur de «La galerie des humbles» n'est plus

par Allal Bekkaï

Grabataire depuis plusieurs années, notre confrère Sid Ahmed Bouhaïk a rendu l'âme le dimanche 16 décembre 2018 ; il est décédé à l'âge de 74 ans en son domicile sis à la cité des Moudjahidine au quartier Kiffane (Tlemcen).

Sid Ahmed Bouhaïk est né le 13 avril 1944 à El Eubbad. Sa famille déménagea par la suite pour s'installer en 1951 à Bab El Djiad (ex-rue de Sidi Bel-Abbès), au bout de derb H'laoua. Fils de Kaddour, commissaire-priseur et Salima Bousalah. Le petit Sid Ahmed dut affronter son statut d'orphelin dès la prime enfance. Il fut élevé par sa demi-sœur Mina. Il fréquenta l'école Jules Ferry de Dar E'Daw (regroupant deux cycles) où il obtint son brevet élémentaire (B.E) en 61-62. En 1966, le jeune Eubbadi embrassa l'enseignement pour devenir instructeur à Hennaya avant d'être muté à l'école Pierre Curie de Triq Ettout (allée des Mûriers). Il contracta le goitre, une maladie quasi inconnue à l'époque. Il dut abandonner l'enseignement pour s'intégrer dans l'administration. En 1972, Sid Ahmed Bouhaïk occupait le poste de secrétaire général de la daïra d'Oran, selon son ancien ami Hadj Fouzi Kahouadji qui était enseignant à Tounane avant d'exercer dans les finances.

Puis vint une traversée du désert qui le mena en France où il vadrouilla quelque temps avant de rentrer au bercail. Sid Ahmed prit son frère aîné Noureddine, menuisier à l'hôpital de Tlemcen, comme modèle de part sa virilité et sa moralité. «Sid Ahmed aimait les pauvres, fréquentait les gens humbles, c'était un philanthrope», témoigne Fouzi. Ce dernier nous appris que Sid Ahmed était l'ami intime du miniaturiste Issiakhem. Il avait également rencontré à plusieurs reprise l'écrivain et dramaturge Kateb Yacine.

A propos d'art, Sid Ahmed était un portraitiste caricaturiste; d'ailleurs, le médaillon (représentant son portrait sous forme de croquis) qui illustrait ses chroniques hebdomadaires dans «Le Quotidien d'Oran» était de son crû. La guitare faisait aussi partie de sa passion. Jacques Brel était son idole et Belmondo son acteur favori. Quant à l'humour, il adorait Louis de Funès ainsi que Gad El Maleh. Pour son ami Fouzi, Sid Ahmed était un artiste né qui avait le verbe facile, le sens de l'humour ; il affrontait la foule sans complexe avec ses pitreries. Outre Kahoudji Fouzi, il avait comme amis Chaïb Bouhafs, Mustapha Saïdi, Guenfoud Réda, Abdelghani Charef, Salih Kara, le célèbre musicien Mustapha Aboura, entre autres.

Fouzi se rappelle non sans nostalgie les bons moments passés ensemble à la plage de Rachgoun. Ils formaient un groupe qui s'appelait «Les Wagrents» (euphémisme de «vagabons» dans le sens noble du terme) dont, notamment le trio acronyme «Faw SidKaw». Dans ce sillage, notre interlocuteur nous évoquera une anecdote qui remonte à 1970 à Oran, lorsque Sid Ahmed fut invité dans un restaurant par un ami émigré du nom de Abderrahim Kerrache. Comme ce dernier était loquace, de la même veine que son vis-à-vis qui ne le laissait pas parler, placer un mot, lui dédia avec humour un anagramme : «Tu ne t'appelles pas Bouhaïk, mais Bouyahki !».

Dès 1986, Sid Ahmed Bouhaïk se «rangea» et commença à fréquenter assidûment la khalwa de Cheïkh Senouci située à Derb Beni Djemla, dans la vieille médina (Medress) où Si Mohammed Baghli, chercheur en legs universel, anime chaque vendredi une séance académique. «Sid Ahmed Bouhaïk occupe une place importante dans la genèse de la khalwa», nous dira Si Baghli. Dans les années 90, Sid Ahmed Bouhaïk travailla comme gérant chez un privé, en l'occurrence un fabricant de rubans pour machine à écrire, à la zone industrielle.

Parallèlement, il collaborait durant cette période avec le journal «Le Quotidien d'Oran» pour le compte duquel il commettait des chroniques de haute facture assorties de son «médaillon» (en croquis), où se mêlent analyse et critique, au titre de la rubrique hebdomadaire du jeudi «Autrement dit», notamment, outre celles consacrées à la «Culture», «Contrepoids» ou «La galerie des humbles» au parfum local, dédiée aux simplets de la ville.

Citons «Mohammed Dib ou les formes de l'exil» (28/10/2001), «Le sous-développement durable» (13/09/2001), «Burnous et bottes de cuir» (23/08/2001), «El Eubbad, haut-lieu de mémoire» (23/07/2001), «Un zoo et un cimetière» (09/08/2001), «Le dialogue inter générations en débat» (09/06/2001), «La question ordinaire et extraordinaire» (17/05/2001), «Maître Omar Boukli Hacène, un des fondateurs du Croissant-Rouge algérien» (12/05/2001), «En flânant à l'allée des Pins» (04/11/1999), «Un hommage à un de ses grands maîtres Ibn Khaldoun» (1997), «Hammou le simplet et le vote» (01 :04/1999), «Le francophone algérien» (04/06/98), «Le café Romana.

 Qui s'en souvient ?» (16/07/1999), «Une ouverture de façade avec un démarrage de pure forme», «Blass el Khadem» (17/08/1999), «Centenaire Messali Hadj, destin, destinations, citoyen simple et histoire complexe» (14/05/1998), «Municipales au pays de la commune» (21/03/2001), «Pouvoirs d'automne» (série d'articles), «El Karro de Ba' el Hocine» (29/03/2001), «Une époque pokémonesque» (05/04/2001), «Mimisse, Hammouda et les autres» (12/04/2001), «De Moscou à Oued Besbès» (19/04/2001), «Les coquelicots de nos printemps» (03/05/2001), «Une soirée chez Ba' Mostéfa» (10/05/2001), «Mohammed Dib au Méchouar», «Nos moulins à vent» (05/07/2001), «Les jeunesses malmenées» (31/05/2001), «La canne du festival» (29/05/2001), «La calèche et le TGV» (08/11/2001), «Les rideaux hérissés de nos bachots» (07/02/2002), «Ciel d'automne en clé de sol» (11/11/1999), «Langue et société algérienne» (28/09/2002)?

Il faut souligner que Sid Ahmed Bouhaïk avait présenté une communication de haute facture intitulée «Situation linguistique en Algérie : la société prend langue(s)», dans le cadre de la conférence internationale initiée par le Monde bilingue sur le thème «Pour une politique linguistique mondiale fondée sur le plurilinguisme et la paix par les langues», qui s'était tenue en 2002 à Tlemcen, sous le haut patronage de l'Unesco, à la bibliothèque centrale Dr Abdelmadjid Meziane de l'UABT, en présence de Mohammed Bedjaoui, ambassadeur, représentant permanent de l'Algérie auprès des Nations unies à New York et du wali Zoubir Bensebbane.

A ce titre, il plaide pour un profil linguistique où «l'Algérien du IIIe millénaire(sera) un arabophone heureux de pratiquer avec aisance la langue de Molière et un francophone complètement réconcilié avec son arabité et sa maghrébité, en possédant la langue d'El Mutanabbi». Et de souligner : «Si donc, nous nous sommes brouillés avec la culture, c'est que nous nous sommes d'abord brouillés avec nous-mêmes en nous tirant à qui mieux-mieux la langue!». Sid Ahmed Bouhaïk fait publier cet essai dans le quotidien «El Watan» (du 23/01/2003), outre le journal «Le Quotidien d'Oran» (du 28/09/2002)? Son baptême de la plume, c'était un compte rendu d'une journée d'étude sur Ibn Khaldoun, initiée en 1996 au collège éponyme de Tafrata par Si Mohammed Baghli, et en marge de laquelle fut célébré l'anniversaire du Dr Abdelmadjid Meziane, penseur, ancien ministre de la Culture. Son article court-circuita le nôtre dans «Le Quotidien d'Oran» dont nous étions le correspondant attitré, sans que nous nous en formalisions outre mesure.

Il faut savoir que Sid Ahmed Bouhaïk vivait depuis plusieurs années dans un dénuement pitoyable après un «exil» familial raté au Maroc et suite à des déboires financiers ; il souffrait par ailleurs de troubles confusionnels. Pour notre part, nous avions lancé un SOS en sa faveur par le biais d'un article intitulé «Le correspondant de presse, ce journaliste amateur» publié en mai 2009 à l'occasion de la Journée mondiale de la presse (3 mai).

Comme nous avions sollicité dernièrement dans ce sens mais sans résultat, la cellule de communication auprès de la wilaya qui a honoré trois correspondants malades, à la faveur de la Journée nationale de la presse (22 octobre 2018). La dépouille du défunt a été transférée du domicile mortuaire de son frère chirurgien dentiste, sis à Riat Essafar vers la mosquée de Sidi Senouci avant d'être enterré après la prière du Dohr au cimetière éponyme de Aïn Wazouta (Tlemcen) en présence d'une foule nombreuse.