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Elections présidentielles en Algérie en 2019 et les contingences de l'histoire

par Medjdoub Hamed*

Les médias doivent donner leur langue au chat tant ils n'arrivent pas à décrypter la situation politique qui prévaut en Algérie alors que nous sommes à quelques encablures du dénouement de l'impasse politique sur ces élections, bien sûr si impasse politique existe. Et ils y vont dans tous les scénarios possibles. Ils parlent de quinquennat actuel, de la fin de règne du président Bouteflika, du report des élections présidentielles ou encore d'une conférence nationale pour trouver un compromis au blocage politique actuel, en Algérie.

Comme l'écrit le Quotidien d'Oran, du 1er avril 2018, dans un éditorial, intitulé «Sinistrose» : «A un an ou presque, de la prochaine présidentielle, rien ne transparaît des intentions des partis politiques quant à leur préparation pour cette échéance que d'aucuns présentent déjà comme une simple formalité si le président Bouteflika se porte candidat. Même si les partis d'opposition tardent en fait à s'exprimer sur cette échéance, hormis le PT qui, lui, veut mettre en place une assemblée constituante avant avril 2019, des échos parviennent de certains états-majors selon lesquels il n'y a aucun consensus pour le moment pour que des candidats émergent. Une candidature commune représentant les principales tendances de l'opposition ne serait pas possible pour affronter le candidat du pouvoir, si tant est que le président Bouteflika est partant pour cette présidentielle, car aucun rapprochement extraordinaire n'est visible ou possible, ni maintenant ni à l'horizon. [...]

Un état des lieux qui fait peur et provoque une certaine sinistrose, dès lors que les portes de l'accès à la magistrature suprême, de l'avis de cette opposition et d'observateurs, sont fermées tant que l'actuel pouvoir maintient une chape de plomb sur toute alternative politique que celle qu'impose le pouvoir en place. D'autant que les partis d'opposition sont fatigués de jouer les figurants d'une présidentielle où ils n'auront aucune chance et qu'ils refusent, d'autre part, de crédibiliser un processus, à leurs yeux, antidémocratique.» (1)

L'Editorial du journal ne peut être plus clair quant à la situation de passivité qui prévaut au sein des partis d'opposition. Cependant, on ne peut s'empêcher de dire que l'Algérie comme les autres nations du monde cherche sa voie, et pas seulement dans le probable candidat qui sera porté à la magistrature suprême aux élections présidentielles à venir. Et peu importe celui qui le sera. L'Algérie est riche d'hommes capables de prendre les rênes de sa destinée. Le problème relève d'abord de son histoire avant d'être celui des hommes. Beaucoup minimise l'action de l'histoire dans le déroulement des différentes étapes et conjonctures qu'a connues la nation algérienne. Un pays ne saurait aller de l'avant sans la dynamique que son peuple joue dans sa propre histoire et l'histoire de l'humanité. Deux histoires qui se juxtaposent parce qu'elles relèvent de la même essence. C'est parce que c'est ainsi que toute la classe politique algérienne, que ce soit celle du pouvoir en place ou de l'opposition qui aspire à gouverner parce qu'elle se sent constitutionnellement légitime d'être une alternance politique crédible pour la nation, reste dans l'expectative. Pourquoi ? Parce que le rendez-vous des élections présidentielles est un peu spécial. L'attente pour que s'éclaircissent les enjeux et les défis qui attendent l'Algérie de demain est amplement justifiée parce qu'il y a des forces herméneutiques qui avertissent déjà les consciences. Beaucoup dans la classe politique ont conscience de ces forces, les redoutent mais ils savent que « ces forces relèvent de notre histoire et de l'histoire du monde qui nous entoure » contre lesquelles ils ne peuvent rien sinon les affronter comme elles sont. Parce que «c'est ainsi», parce que cela relève du développement du monde, du progrès du monde. Aucun peuple n'échappe à cette mutation de l'histoire de l'humanité.

Regardons l'Union européenne.

La sortie du Royaume-Uni et le Brexit qui ne finit pas d'être négocié, l'Allemagne devenue le fer de lance de l'Europe, l'Espagne menacée par une scission politique. Les États-Unis qui veulent construire un mur contre l'immigration de l'Amérique latine. La Chine qui veut devancer les États-Unis et elle le sera. Les médias occidentaux pronostiquent à l'horizon 2040 la Chine, première puissance mondiale, l'Inde deuxième puissance mondiale et les États-Unis viennent en troisième position. Donc le monde change et il est tout à fait normal que l'Algérie doit aussi changer, d'autant plus qu'elle est la première puissance africaine sur le plan territorial, elle fait face à l'Europe et c'est la première république dans le monde arabe qui a fait sa mutation démocratique, en 1989, avant les autres pays arabes.

Et surtout que les forces subversives avec l'islamisme sponsorisé par l'Occident ont cherché à la décomposer mais n'y sont pas arrivés. L'Algérie ne pouvait se décomposer parce qu'elle avait l'histoire pour elle. Son peuple est soudé. Et c'est un pays jeune, sa jeunesse, une des premières au monde.Toutes ces donnes sont des atouts pour elle en regard de la dénatalité et la forte espérance de vie qui affectent les pays riches et leur fait craindre sérieusement la contraction démographique et son remplacement par l'immigration.

Évidemment, tous ces phénomènes relèvent des vicissitudes de l'histoire. En d'autres termes des contingences de l'histoire qui ne nous semblent pas intelligibles mais le sont après-coup parce qu'elle reflète le mouvement immuable du progrès humain. Le temps n'appartient pas à l'homme, il appartient à l'Essence par laquelle l'humanité est.

Et c'est ce progrès qui nous fait dire que l'Algérie ayant passé par beaucoup de vicissitudes a «beaucoup mûri». De par sa situation interne qu'externe et les étapes historiques qu'elle a traversées. Tout d'abord la formidable levée des boucliers de l'opposition contre l'élection du président Abdelaziz Bouteflika en 2014 est dépassée, et bien dépassée. Après quatre années et huit mois, depuis 2014, nous sommes à quelques mois des élections présidentielles, force pour la classe politique de constater qu'en fait l'histoire avait tranché avant même qu'elle ait commencé, ceci dit dans le sens que l'histoire est «objective», et «ne retient que ce qui est et ce qui doit être.» Par conséquent, le quatrième mandat pour le président algérien sortant, nonobstant la contestation passée de l'opposition, était en phase avec l'histoire.

Pour comprendre, prenons un exemple très simple, un homme qui marche dans la rue ou dans un autre lieu, s'il marche, c'est parce qu'il doit marcher, c'est dans son essence de marcher. De même, s'il marche, c'est qu'il va vers un objectif, quel que soit l'objectif, qu'il en est conscience ou non. Cette marche donc lui est donnée, et relève de l'essence même de son existence.De la même façon, si le président A. Bouteflika, même malade et fortement handicapé par la maladie, a rempilé pour un quatrième mandat, c'est que cela devait être, malgré les obstacles qui lui étaient érigés. L'essentiel est qu'il a pleinement conscience de sa mission de premier magistrat du pays, et de la responsabilité qu'il endosse dans sa décision de marcher pour un quatrième mandat. On peut dire aussi que son destin entrait dans la marche de l'histoire, et donc des «nécessités de l'histoire».

Par analogie, Emmanuel Macron, inconnu du grand public, devient en une année président de la république française en mai 2017. En effet, après avoir créé, en avril 2016, son parti «En marche», démissionné, quatre mois plus tard, du gouvernement, il remporte le 7 mai 2017, le second tour, et devient, à 39 ans, le plus jeune président français de l'histoire. C'est tout simplement un «prodige» de l'histoire où en fait l'homme n'est qu'un «instrument» au «service» de l'histoire. On peut reprocher à ce raisonnement que des forces souterraines de l'ombre en fait ont jeté leur dévolu dès le départ sur Emmanuel Macron parce que le candidat François Fillon devait absolument tomber en disgrâce. Le motif est qu'il était l'ami de Poutine, et Poutine bloque l'expansion de l'Occident sur des terres qui ne lui appartiennent pas. Mais tout cela relève d'une Intelligence qui dirige le monde, et tout a été fait pour que cela soit ainsi. Ce sont des événements heureux ou malheureux qui se succédant construisent le monde. L'homme qu'il soit fataliste ou non est fataliste par essence. Le fatalisme n'est qu'une forme d'impuissance de l'homme qui ne sait pas totalement le sens de son existence.

Dans cet ordre d'idées, Emmanuel Macron savait-il qu'il allait être le président de la France en 2014 quand il est devenu ministre de l'économie ? Ou même en 2016 lorsqu'il a lancé son parti «En marche» ? Ou encore le général de Gaulle savait-il avant 1958 qu'il allait de nouveau présider au destin de la France ? C'était la conjoncture historique et la nation française qui l'ont appelé. Pourquoi ? Parce que de Gaulle était l'homme de la situation, à cette époque, conflictuelle de la France.

Plus récemment, en Algérie, Mohamed Boudiaf, de sa résidence à Kenitra, au Maroc, appelé, après l'interruption du processus électoral, à présider en janvier 1992 le Haut Comité d'État (HCE) savait-il qu'il allait être assassiné 6 mois plus tard ? Il est évident que s'il savait, il ne serait pas revenu. Chacun tient à sa vie tant qu'elle lui est donnée sauf le suicidaire qui lui n'en veut pas parce qu'il est ainsi, «conçu ainsi». Ou encore le président Liamine Zéroual qui a démissionné de tous les postes tant dans la haute hiérarchie militaire que civile, savait-il qu'il allait revenir à la tête de l'Etat pour devenir, en 1996, le sixième président algérien. Liamine Zéroual savait-il que la formidable campagne médiatique qui a précédé sa démission relevait d'un forcing historique ? Et qu'il allait laisser la place à un nouveau président.

Le prix du baril de pétrole passé à 10 dollars, suite à la crise asiatique en 1997, et la crise brésilienne et russe en 1998, constituait un danger mortel pour l'économie algérienne, et allait remettre en question toutes les années de lutte contre l'extrémisme islamique radical. Le président Abdelaziz Bouteflika devait ramener les milliards de dollars dont avait besoin l'Algérie. Si le prix du baril de pétrole ne s'était pas redressé, à partir de 1999, et que la baisse du pétrole était durable, et l'Algérie faisant face à une grave crise économique et financière ? les caisses de l'État étaient vides ?, le président Bouteflika serait-il resté à la tête de l'État jusqu'au quatrième mandat ? L'histoire avait tranché. Bouteflika devait rester à la tête de l'État et continué l'œuvre de son prédécesseur dans la «réconciliation nationale».

On comprend dès lors pourquoi la classe politique algérienne se mure aujourd'hui dans son silence. La seule réponse est qu'elle a compris «que rien ne sert de s'opposer si c'est simplement pour s'opposer.» Si Bouteflika devait encore rempiler pour un cinquième mandat, qui pourrait arrêter ce que pourrait être déjà en puissance dans l'histoire ? Il est évident personne si l'histoire avait déjà fait son choix. La nation suivra forcément l'histoire. D'autant plus, que si on regarde les quatre années passée de ce quatrième mandat, elles se sont déroulées sans problèmes majeurs pour l'Algérie et son peuple. Par comparaison, voir ce qui se passe à ses frontières et au-delà de ses frontières. L'Algérie est devenue un ilot pour ainsi dire de tranquillité alors que le monde arabe est en pleine déliquescence. N'est-ce pas déjà une chance que l'Algérie soit préservée des dérives des guerres hégémoniques des puissances qui ont transformé le Proche et le Moyen-Orient et une grande partie de l'Afrique du Nord en zone de confrontation ? Et qui paie la facture ? Si ce ne sont les peuples syrien, yéménite, libyen... qui ont éclaté, abandonnant biens et maisons, et se trouvent à errer à travers le monde, à chercher refuge contre la destruction et la mort. Et ce n'est pas tous qui ont échappé, une partie des populations se trouve prisonnière dans des enclaves tenues par la rébellion, et bombardé quotidiennement par l'aviation de la coalition internationale ou de l'autre des régimes loyalistes.

Ceci étant, que peut-on dire de la course au pouvoir qui anime la scène politique algérienne ? Il y a bien ce constat qu'une certaine morosité voire même une démobilisation imprègne la scène politique nationale tant la situation est confuse, et la méfiance de l'opposition qui craint d'être le dindon de la farce dans ce que projette le pouvoir est tout à fait légitime. Avec leurs multiples déconvenues passées, on ne peut que leur donner raison. Mais que faire ? Le système politique algérien, à l'instar des systèmes autoritaires politiques arabes, est ainsi fait. Et si ces pays sont qualifiés de «pays en développement», c'est qu'ils n'ont pas atteint les standards des pays développés. Donc l'évolution fermée de ces pays est tout à fait normale, l'ouverture démocratique de ces pays est très récente. Mais les pesanteurs des systèmes politiques sont là, et les partis politiques créés dans le cadre de l'ouverture démocratique ne peuvent rien contre des systèmes qui leur ont accordé le droit d'existence. De plus, il y a une crise économique, le prix du pétrole a fortement baissé depuis quatre ans, ce qui a engendré des mesures austéritaires prises par le gouvernement qui sont nécessaires.

Cependant, ces mesures austéritaires suffirontelles pour juguler la décroissance économique ? Les perspectives sont moroses dans les années à venir sur le plan pétrolier, et l'Algérie dont l'économie dépend fortement des recettes pétrolières, les exportations d'hydrocarbures lui procurent 97/98 % de revenus en devises étrangères. Et ce sont ces devises qui lui permettent le financement des importations. Il faut se rappeler les événements du 5 octobre 1988 dus à la contraction des importations des produits de première nécessité tels la semoule, le sucre, l'huile, le café, etc., qui ont provoqué des émeutes et, par des conséquences extrêmement graves pour la nation, ont changé le cours d'histoire de l'Algérie. Avec l'avènement du multipartisme, le terrorisme islamique radical, et donc la décennie noire, et l'époque de près de deux décennies de faste financier dû au troisième choc pétrolier depuis les années 2000.

Aujourd'hui, c'est le contrechoc pétrolier qui a commencé en 2014. Et il n'y a guère d'espoir que le prix du baril de pétrole va revenir au cours des 100 dollars et plus. Il est évident que la situation d'aujourd'hui rappelle la situation qui a suivi le contrechoc pétrolier de 1986 et donné les événements d'octobre 1988, ou encore la situation du mini-contrechoc pétrolier de 1998 qui a vu la démission du président Liamine Zéroual. Dès lors il y a péril dans les années à venir si le prix du pétrole ne se relève pas. Et tout confirme que la situation pétrolière ne va guère se raffermir, l'OPEP tente de limiter l'affaissement des cours mais le peut-il ? Lorsque l'on sait que les cours sont fixés dans les grandes Bourses de commerce occidentales, à New York, à Chicago, à Londres.

Vu la situation difficile que vit le pays et les appréhensions à venir, il est certain que le système politique s'est déjà penché sur la question de la succession présidentielle. Tout semble montrer que le mandat présidentiel nécessite un renforcement du système. Le mandat 2014-2019 du président Bouteflika a permis de temporiser voire même jouer comme période de transition. En effet, la situation à l'époque était dangereuse avec l'avènement du Printemps arabe qui a déstabilisé la plupart des régimes arabes, disons des pays les moins dotés de monnaies sonnantes et trébuchantes pour acheter a paix sociale. Le contrechoc pétrolier de 2014 n'avait pas fait encore son apparition. Le prix du baril de pétrole s'échangeait à 115 dollars au premier semestre. Ce n'est qu'au deuxième semestre qu'a commencé la chute des cours avec la fin de la politique monétaire non conventionnelle menée par la Réserve fédérale (Fed), i.e. la Banque centraleaméricaine. Et depuis les cours sont restés bas avec des déficits ininterrompus de la balance commerciale algérienne. Les réserves de change de la Banque d'Algérie ont fondu, passant de 180 milliards de dollars à environ 85 milliards de dollars aujourd'hui.

Dès lors, vu la situation économique de l'Algérie qui va être de plus en plus difficile parce qu'il faut compter que sur les réserves de change qui restent et qu'il faut faire durer le plus possible, le candidat retenu par le système politique algérien aura précisément cette tâche centrale de gérer cette situation économique difficile, d'apporter de son poids les réformes nécessaires et qui doivent être acceptées par la population. Par conséquent le futur président ne doit pas léser la masse pour des couches privilégiées. Et toute paix sociale va dépendre de cette gymnastique politique qui va être extrêmement ardue et malaisée tant la situation va certainement empirer sur le plan économique. Donc le futur président, et peu importe qui il sera, qui sera retenu, ce n'est pas tant l'homme qui compte, qu'il vienne d'un parti politique, ou du système, et déjà vraisemblablement, il viendra du système, pourquoi ? Pour la simple raison que le système ne lâchera jamais le pouvoir pour un candidat d'un parti d'opposition sauf si ce candidat de l'opposition constitue déjà une garantie pour le système lui-même.

Ceci comme premier élément de base dans la succession. Le deuxième élément qui est le pendant au premier, c'est l'assurance que cet homme saura gérer la crise économique qui ira en s'empirant. Le président Bouteflika, dans ses quatre mandats, a eu de la chance, il avait pour lui la conjoncture historique pour lui. Le prix du baril de pétrole n'a pas cessé d'augmenter et permis cet enrichissement de l'Algérie. Ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. La roue a tourné, et ce retournement pétrolier va durer. Et on comprend ce silence des autorités sur l'homme qui fera consensus pour le mandat présidentiel 2019-2024.

Cependant, devant une situation difficile à venir, le système politique combien même il est fermé, cherchera obligatoirement le secours de l'opposition dans la gestion politique et économique de l'Algérie. L'objectif étant d'éviter une débâcle multiforme au sein de la nation. Et c'est la raison pour laquelle il ne faut pas se focaliser sur qui sera le futur président, ce n'est pas l'homme qui importe, mais sur ce qu'il fera sur le plan politique et économique pour préserver, pour assurer la sécurité à la nation. Et c'est cela le plus important. Enfin un dernier mot, l'Algérie ne fera pas, ni ne pourra faire l'économie des contingences de l'histoire. Ce sont les contingences de l'histoire qui font, qui mènent le monde. Et si l'Algérie, par son rôle historique, a été, est et devra être une nation qui compte au sein des nations, elle devra pour cela être avertie et avisée autant qu'il lui est loisible de le faire.

*Chercheur spécialisé en Economie mondiale, Relations internationales et Prospective.